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Politique sociale

Les francs-tireurs de la bataille pour l'emploi

Politique sociale | publié le : 01.10.2008 | Nadia Salem

Pépinière de seniors, réseau d'échange… Florilège d'initiatives locales portées par des citoyens engagés qui refusent la fatalité du chômage.

Olivier Queval

Un parrain pour les « chercheurs d'emploi »
“Le réseau a une vertu pédagogique, il permet de changer le regard sur un territoire.”

Pallier l'absence de réseau relationnel : la vocation première de Cap-Parrainage est claire. « Deux tiers des embauches se font sur cette base », souligne Olivier Queval, 38 ans, initiateur et cheville ouvrière du dispositif. Ce matin, dans la grande salle de cérémonie de la mairie de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, ils sont une vingtaine de chefs d'entreprise, cadres et managers à avoir répondu à l'invitation du maire, Jacques Bourgoin. Certains ont fait partie de la première campagne Cap-Parrainage lancée il y a sept ans, d'autres sont de nouveaux venus. « Gennevilliers, c'est le premier territoire à s'être lancé dans l'expérimentation Cap-Parrainage », précise le consultant. Convaincu de la nécessité d'accompagner les demandeurs d'emploi dans leur recherche, ce diplômé en action commerciale, passé par le Medef, a concocté au début des années 2000 un système de parrainage fort d'un principe simple : deux fois par mois pendant six mois, un cadre dirigeant ou un manager apporte bénévolement sa connaissance du recrutement, son expertise et son soutien à un « chercheur d'emploi ». « Le dispositif est ouvert à tous dès lors que la personne est réellement déterminée à trouver un emploi, qu'elle a un projet professionnel validé par le service public de l'emploi et qu'elle est suivie par celui-ci », indique Olivier Queval.

Le dispositif a une double finalité : créer un réseau de chefs d'entreprise et de cadres et pérenniser l'engagement de l'entreprise sur un territoire au travers d'une convention de partenariat. Selon son initiateur, « le parrainage permet de démystifier le rôle de recruteur auprès des chercheurs d'emploi et le réseau a une vertu pédagogique : il permet de changer les représentations et le regard sur un territoire ». Bilan : une centaine de communes (en Ile-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais surtout), 600 dirigeants, DRH ou managers impliqués, 900 chercheurs d'emploi parrainés, avec un taux de retour à l'emploi de l'ordre de 75 % sur certains territoires. Olivier Queval s'est fixé un nouvel objectif : essaimer sur l'ensemble du territoire national. Le jeune homme a doté le réseau d'outils de suivi performants. Un extranet, mis en place fin 2007, permet aux parrains, conseillers emploi et animateurs de réseau d'échanger davantage et d'assurer un meilleur suivi des candidats.

Corinne Cabanes

Des passerelles entre seniors et juniors

La voix est claire, le ton alerte. Invitée à présenter la pépinière de seniors mise en place en début d'année dans la région toulousaine, Corinne Cabanes, 49 ans, consultante en ressources humaines, ne se fait pas prier : « Ça a commencé dans un bistrot sur la place du Capitole, un soir après le boulot… » Ils sont trois copains, l'un est avocat, un autre conseil en gestion et elle conseil en ressources humaines. « On rentrait de nos rendez-vous respectifs et, en bavardant, on s'est rendu compte qu'on avait chacun la solution au problème de l'autre. » De là est née l'idée d'anticiper les ruptures plutôt que de les subir. Elle se matérialisera quelques mois plus tard par un sigle, RED, Réseau Emploi durable, une association d'une quarantaine d'entreprises de la région toulousaine qui œuvre pour favoriser les passerelles dans le bassin toulousain. Le bassin d'emploi a déjà connu les crises du textile, de la chimie. L'aéronautique pourrait suivre. « Avec la santé et l'agroalimentaire, le secteur constitue l'un des trois pôles d'activité du bassin. Si l'un de ces secteurs flanche, il faut être en mesure de faire basculer les ressources humaines de l'un à l'autre et créer l'habitude de passer d'une entreprise à l'autre », assure la consultante.

Lancé il y a deux ans, le RED a accouché en janvier 2008 d'un « superbébé », Red'Génération, une pépinière constituée d'experts (juristes, experts-comptables, DRH, coachs…) qui aident les entreprises à « réfléchir et à trouver des solutions au vieillissement au travail ». L'idée est de « dynamiser le patrimoine professionnel des seniors au travers d'une structure dédiée dans laquelle ils peuvent régénérer leurs connaissances et expériences auprès de jeunes diplômés. Et tout cela dans un cadre sécurisé ». Concrètement, tout senior qui arrive à la pépinière travaille en tandem avec un junior qui cherche du travail ou qui s'oriente dans ses études. Échange de bons procédés : l'un ouvre son carnet d'adresses et apporte son expérience et ses compétences, l'autre son dynamisme et son aisance avec les NTIC, par exemple. Les seniors, détachés de l'entreprise, suivent un parcours de trois à neuf mois, à temps complet ou partiel, selon une méthodologie spécifique. La pépinière, qui fédère de nombreux partenaires institutionnels, universitaires et économiques locaux (pôle de compétitivité Cancer-Bio-Santé, Ensat, CCI…), a pris la forme d'une société coopérative d'intérêt collectif (Scic) et espère pouvoir transmettre le concept aux autres bassins d'emploi. Une vingtaine d'entreprises (Steria, Agronutrition, CRP Consulting…) en sont d'ores et déjà adhérentes. Son engagement dans l'« aventure » RED, Corinne Cabanes l'explique simplement : « Mon père était dirigeant d'entreprise. À 50 ans, il s'est retrouvé au chômage. Il s'est délité et n'a jamais retrouvé d'emploi. Je me suis dit : plus jamais ça ! »

Thierry Frère

Le coach des jeunes de banlieue
“Rien n'est à exclure pour remettre ces jeunes en selle.”“Il faut créer l'habitude de passer d'une entreprise à l'autre.”

À 52 ans, Thierry Frère est convaincu qu'« il y a un sens à chaque parcours ». Lorsque, il y a quinze ans, un ami lui propose de le rejoindre pour s'occuper de ressources humaines, il lui répond qu'il n'y connaît rien. « Finalement, comme M. Jourdain, je faisais des RH sans le savoir », plaisante le consultant. Aujourd'hui à la tête de son propre cabinet de ressources humaines, C3 Consultants, qui compte une centaine de salariés sur 22 sites répartis dans six régions, le « spécialiste du reclassement » qu'il est devenu après quinze ans de pratique affirme exercer « un métier de conviction » et n'être guidé dans son action que par deux principes : faire des choses qui l'amusent et se sentir utile. Et, pour le coup, il se sent utile quand il revêt les habits de coach des jeunes de banlieue. Son entreprise vient en effet de remporter deux appels d'offres pour les nouveaux « contrats d'autonomie », une des mesures phares du plan « espoir banlieues » de Fadela Amara qui doit déboucher pour chaque jeune, au bout de six mois, sur un CDI, un CDD de plus de six mois, une création d'entreprise ou une entrée en formation qualifiante. Le cabinet touche au démarrage 25 % du budget alloué par l'État, 40 % si le jeune décroche un contrat et 35 % s'il est toujours en emploi au bout de six mois.

Thierry Frère entend consacrer « le nombre d'heures qu'il faudra » pour orienter et conseiller chaque jeune le mieux possible. « Le seul critère d'entrée dans le dispositif sera la motivation », précise le consultant. Une quinzaine de jeunes entre 17 et 28 ans ont signé un contrat en juillet 2008, « des jeunes qui ont vraiment la gnac », souligne leur coach. À terme, 500 jeunes devraient bénéficier des conseils de C3 Consultants dans le département des Yvelines. Tout y est : du CV jusqu'à la tenue vestimentaire en passant par l'aide financière pour la garde des enfants. Selon Thierry Frère, « rien n'est à exclure dès lors qu'il s'agit de remettre ces jeunes en selle ».

Jacques Gérault

Le VRP de l'emploi
“J'ai constaté dès mon arrivée que les chefs d'entreprise mettaient en exergue le critère de la motivation comme condition à tout recrutement.”

Dès son arrivée en Rhône-Alpes, en 2007, le nouveau préfet de région, Jacques Gérault, s'est fixé un objectif : remettre les jeunes chômeurs des banlieues lyonnaises au travail. Ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur, ce haut fonctionnaire de 57 ans est parti d'un constat : le chômage massif des jeunes des quartiers sensibles est non seulement « injuste et inacceptable », mais aussi « source de discrédit des politiques publiques ». En effet, alors que, dans le Rhône, 6 % des jeunes diplômés bac + 2 sont au chômage, cette proportion s'élève à 11 % pour ceux résidant dans les quartiers sensibles. Le nouveau préfet demande alors aux services de l'emploi le recensement des jeunes diplômés sans emploi issus des zones urbaines sensibles (ZUS) de l'agglomération. Résultat : 840 jeunes bac +  2 de moins de 30 ans inscrits comme demandeurs d'emploi sont identifiés en septembre 2007. Le préfet exige qu'on lui communique « personnellement » l'ensemble de ces CV et que chacun d'entre eux puisse être mis à la disposition des patrons.

« J'ai constaté dès mon arrivée dans le département que les chefs d'entreprise mettaient en exergue, de façon prioritaire, le critère de la motivation comme condition à tout recrutement », indique Jacques Gérault. En septembre 2007, il lance dans le département du Rhône une initiative dont la première étape concerne 1 520 personnes âgées de moins de 30 ans, 719 bacheliers, bac + 2 et plus, ainsi que 801 CAP ou BEP. Tous étaient répertoriés et suivis par l'ANPE dans le cadre d'un accompagnement vers l'emploi. Le préfet a écrit à quelque 600 patrons pour leur présenter l'action et les inviter à faire connaître leurs besoins. « 993 des 1 520 jeunes ont trouvé un emploi durable, CDI ou CDD de plus de six mois », atteste Patrick Lescure, directeur de l'ANPE de Rhône-Alpes.

Sur la base de ces résultats, le préfet de Rhône-Alpes décide de s'attaquer dans un second temps au chômage des non-diplômés mais « motivés ». Il lance un plan baptisé « motivés par l'emploi » étendu à 600 jeunes diplômés des zones rurales et à 800 jeunes non diplômés. Quatre cent cinquante entreprises ont « spontanément » fait connaître leurs besoins en main-d'œuvre exigeant des « qualifications techniques très pointues ». Cent trente entreprises parmi lesquelles de grands groupes tels qu'Areva ou Eiffage ont répondu présent à l'invitation du préfet en mai 2008. Ce dernier leur a remis sur clé USB le profil des jeunes « prêts à travailler immédiatement ». Les résultats de cette seconde « vague » sont « à nouveau au rendez-vous », estime le préfet. Sur 1 400 nouveaux CV étudiés, 743 ont déjà été placés. L'opération devrait être étendue à terme aux huit départements de Rhône-Alpes. Pour Patrick Lescure, l'un des enseignements majeurs de cette initiative est que « là où il y a un portage politique fort, ça marche ».

Thierry du Bouëtiez

Le réseau d'échange et d'entraide
Les 170 membres du réseau Groupie sont engagés à titre personnel : chacun remplit, lors de son adhésion, une fiche de compétences accessible à tous“Ce qui fait défaut, ce ne sont pas les mesures mais la manière de les utiliser.”

Son « engagement » date du début des années 90. Alors nommé sous-préfet à la ville dans le département de la Seine-et-Marne, à sa sortie de l'ENA, Thierry du Bouëtiez, 55 ans, constate que le monde de l'insertion et celui de l'entreprise s'ignorent superbement. Les mettre en relation sera son obsession. Désormais directeur général adjoint du conseil général de Seine-et-Marne, chargé de la solidarité, il lance en 2006 Groupie (Groupement des innovateurs pour l'emploi), un réseau d'échange et d'entraide dont l'objectif est de développer tous les liens et échanges possibles entre les entreprises et les associations ou services publics chargés de l'insertion, en s'appuyant sur des réseaux de personnes motivées pour apporter leur contribution au retour à l'emploi des individus qui en sont éloignés. Car, « ce qui fait défaut, ce ne sont pas les mesures et les dispositifs mais la manière de les utiliser », estime Thierry du Bouëtiez. Les 170 membres du réseau sont engagés à titre personnel. Chacun remplit, lors de son adhésion, une fiche de compétences accessible à tous. « La force du réseau réside dans la mobilisation des compétences et des savoir-faire de ses membres, tous désireux de dépasser les vieux clivages et d'innover », renchérit Adel Nedja, le trésorier.

Groupie fonctionne sur la base de groupes locaux dont l'objectif est de faire émerger et de valoriser toutes les innovations dans le domaine de l'emploi et de l'insertion. Pionnière, l'expérience de Groupie 77, en Seine-et-Marne, a montré l'utilité de cette démarche d'échanges et de contacts entre personnes d'origines professionnelles diverses qui facilite considérablement l'émergence et le montage des projets (plate-forme interentreprises d'accès à l'emploi, création d'entreprises solidaires…). Groupie tisse lentement mais sûrement sa toile : Thierry du Bouëtiez a créé en 2007 une association nationale. Objectif : constituer et animer des réseaux partout en France.

Auteur

  • Nadia Salem