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Enquête

“Les employeurs ont gardé une vision simpliste de la motivation : celle de la carotte et du bâton”

Enquête | publié le : 01.10.2008 | Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet

Comment naît la motivation ?

Les gens aspirent à exercer une activité en harmonie avec leurs valeurs et leur image de soi. C'est un ressort central. Quand identité et travail entrent en conflit, le risque de désengagement est fort. L'utilité sociale du travail joue, aussi, un rôle prépondérant. Dans une PME, vous savez à quoi sert votre boulot, ce que votre entreprise vend et à qui, vous connaissez le patron et ses valeurs morales. Le processus d'identification est beaucoup plus facile que dans une multinationale où l'information circule mal et où vous avez parfois l'impression de réaliser des tâches absurdes.

Existe-t-il des métiers dans lesquels il est impossible d'être motivé ?

Tout dépend de la représentation que vous vous faites de votre travail. Je me rappelle d'un appariteur qui, à l'université Paris V, était chargé d'organiser le stationnement des véhicules des profs dans la cour. Ce monsieur était persuadé que, sans lui, l'université ne pouvait fonctionner. Il était très motivé. Pour trouver du sens à leur travail, d'autres s'inventent leurs propres règles. Face à une cliente désargentée, certaines caissières vont, par exemple, « oublier » de compter des articles.

Les dirigeants appréhendent-ils bien la motivation ?

Voilà quinze ans, quand les cadres ont été touchés par la crise, les employeurs ont cru s'être débarrassés du problème. Ils pensaient que la peur du chômage allait suffire à motiver les troupes. Ils se sont lourdement trompés, mais leur perception n'a pas évolué pour autant. Ils ont gardé une vision extrêmement simpliste de la motivation : celle de la carotte et du bâton. Les syndicats n'y comprennent rien non plus. Eux aussi sont restés sur une logique matérielle. Mais on ne motive pas seulement à coups de négociations salariales.

La rémunération ne serait plus un moteur ?

Elle ne suffit plus, même s'il faut bien nourrir sa famille. Le salaire joue surtout lors de l'embauche. Quand un individu change de poste, il recherche celui qui lui offre le plus d'avantages. Mais après ça, il faut le motiver. Et c'est une autre affaire. Avec les nouvelles formes d'organisation du travail, on ne sait plus récompenser avec justice. Comment individualiser les rémunérations quand on travaille en équipe ? Comment évaluer la qualité du travail alors que les résultats dépendent aussi de facteurs extérieurs à l'individu ? La récompense au mérite devient impossible à gérer de façon précise et efficace.

Comment manager un salarié démotivé ?

Il faut d'abord réagir. Dans toutes les organisations, certains ne font pas correctement leur boulot, arrivent en retard. Si vous ne dites rien, vous dévalorisez, par ricochet, le travail des autres. Et vous les démotivez à leur tour. Ce risque de contagion existe aussi en cas de suppression de postes. Quand vous réduisez les effectifs d'un service, vous signifiez indirectement à ceux qui restent que leur travail est inutile, ou secondaire.

Quel levier faudrait-il actionner pour remotiver les troupes ?

La communication est essentielle. Les salariés ont besoin de comprendre la stratégie de leur entreprise et le rôle qu'ils ont à y jouer. Sinon, ils n'ont aucune raison d'adhérer aux discours et de se sentir engagés. Il faut aussi développer les compétences managériales pour apprendre à donner du sens au travail de chacun.

Les managers sont-ils armés pour le faire ?

Ces compétences ne sont pas enseignées. On apprend davantage aux managers à contrôler le travail qu'à gérer les hommes. En France, il y a souvent une solidarité de mafia des élites, qui s'accompagne de formes de mépris pour tous les autres. Ces derniers sont pourtant très essentiels aux entreprises. Les dirigeants continuent à penser qu'il faut donner le moins possible d'informations à l'étage du dessous. Alors qu'il faut faire l'inverse.

CLAUDE LÉVY-LEBOYER

Professeur émérite de psychologie du travail à l'université Paris V.

Auteur de nombreux ouvrages dont :

Re-motiver au travail (2007), la Motivation au travail (3e édition, 2006), RH, les apports de la psychologie du travail (3e édition, 2006), tous publiés chez Eyrolles.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet