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Vie des entreprises

À propos de l’audience électorale

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.09.2008 | Jean-Emmanuel Ray

L’audience électorale est au cœur de la loi portant rénovation du dialogue social promulguée au mois d’août : elle devient un sésame incontournable pour qu’un syndicat soit reconnu comme représentatif et pour qu’un accord collectif soit considéré comme valable… cela à tous les niveaux. On ne mesure pas encore bien toutes les répercussions de ce big bang social.

La rentrée va être chaude, mais pas où on l’attend. Car, dans chaque entreprise, les prochaines élections professionnelles vont servir de rampe de lancement à la loi d’août 2008 voulant « rénover la démocratie sociale » : la restructuration du paysage social français voulue par ce texte issu de la position commune commencera donc par les entreprises. Et nombre de DRH et de syndicalistes sont, au mieux, excités ; au pire, très inquiets des conséquences à vrai dire assez imprévisibles de ce big bang social.

Car, pour bien comprendre les enjeux de cette si importante loi, il faut lier ses deux parties : si la première reformate complètement la représentativité et les règles de validité des accords collectifs, la seconde, portant sur la durée du travail, accroît encore les possibilités de flexibilité par négociation d’entreprise. Sur trois thèmes, par exemple, le texte donne même le pouvoir à la négociation d’entreprise d’imposer sa loi à la convention de branche, devenue pour la première fois carrément subsidiaire.

Le lecteur aura compris l’impact que peut avoir la première sur la seconde, et plus généralement sur la flexibilité négociée : certes, le couperet des 10 % de suffrages exprimés va éliminer de petits syndicats pas vraiment représentatifs mais qui ne rechignaient pas à signer des accords. Mais, des deux côtés de la table, on s’interroge sur le nouvel équilibre qui va se créer. Côté entreprise, telle nouvelle configuration syndicale peut paralyser la négociation ou, au contraire, permettre de profiter pleinement de la flexibilité offerte par les lois de 2005-2008 : ce qui, en termes de concurrence, n’est pas neutre. Côté syndicats, outre les chaises vides laissées par ceux qui échoueront à l’examen de passage des 10 %, les négociateurs ne feront plus ce qu’ils veulent avec le double seuil de validité fixé par la loi d’août 2008 ; et il faudra leur expliquer que leur signature peut exclure leurs mandants de la protection de la convention collective de branche.

Trois constats, avant de pouvoir lire la synthèse à deux voix actuellement rédigée par Gilles Bélier et Henri-José Legrand : « La négociation collective d’entreprise après la loi d’août 2008 : nouveaux accords, nouveaux acteurs », éditions Liaisons, collection « Droit vivant ».

LES ÉLECTIONS CHANGENT DE FONCTIONS

Septième et dernier critère de représentativité cité par la position commune, l’audience électorale est remontée à la cinquième place dans la loi d’août 2008. Mais, en réalité, elle est devenue le sésame d’un nouveau droit collectif du travail, nos braves élections étant désormais quadrifonctions.

Avant, il s’agissait de savoir si Vincent allait rester secrétaire du comité d’entreprise, si Anne allait continuer à gérer la très risquée opération « arbre de Noël » (l’horrible affaire des fillettes ayant hérité des deux tanks et d’un pistolet destinés aux garçons ayant, eux, découvert deux Barbie et un Ken était remontée jusqu’à la DRH du groupe), enfin, de quelle hauteur de voix tomberait cette pauvre Myriam devant assumer les faiblesses récurrentes de la cantine. Bref, souvent un scrutin à fort coefficient personnel, au-delà de l’appartenance syndicale de chacun.

À cette fonction, qui évidemment demeure, s’en ajoutent aujourd’hui trois autres :

1° Désignation des syndicats représentatifs seuls habilités à négocier : ceux ayant recueilli plus de 10 % des suffrages exprimés au premier tour, quel que soit le nombre de votants. Exit, donc, la jurisprudence Adecco : même si plus de la moitié des inscrits ne s’est pas déplacée, il faudra dépouiller le premier tour.

2° Promotion comme DS des nouveaux « représentants de la section syndicale » et validation des délégués syndicaux déjà désignés : tous deux doivent désormais s’y présenter, et obtenir au moins plus de 10 % sur leur nom.

3° Conditions de validité des accords d’entreprise : les signataires doivent avoir recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés, les non-signataires pouvant faire disparaître l’accord en exerçant leur droit d’opposition s’ils ont obtenu plus de 50 %.

Bref, nos braves élections vont désormais servir à légitimer, mais aussi à éliminer organisations syndicales et délégués syndicaux, tout en fixant pour quatre ans le score de chacun. Aux deux parties de sortir leur calculette le soir du premier tour afin de savoir quelles combinaisons, variables selon les sujets, seront possibles pour assurer la validité des futurs accords de l’entreprise.

Comme désormais elles peuvent directement et automatiquement (+ 10 % : oui, ou non ?) mettre en cause des personnes morales (les syndicats) mais aussi et surtout des personnes physiques qui comptent dans l’entreprise (délégué syndical, représentant de la section syndicale pour lesquels elles constituent l’épreuve de vérité), les élections doivent donc faire l’objet d’une immense attention, sociale mais également juridique, pour éviter le judiciaire qui risque de s’envoler : protocole d’accord préélectoral négocié selon les nouvelles règles (art. L.  2314-3-1 nouveau), campagne électorale parfaitement égalitaire, y compris sur l’intranet, vrais isoloirs, urnes inviolables et suivi attentif des votes par correspondance…

VALIDITÉ DES ACCORDS : LE TRIPLE VERROU AU 1ER JANVIER 2009

Article L. 2232-12 nouveau : « La validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections […], quel que soit le nombre de votants, et à l’absence d’opposition d’une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants. »

Minimum 30 % des suffrages exprimés pour les syndicats signataires, chacun devant avoir obtenu au moins 10 % pour être représentatif, et minimum 50 % pour les éventuels opposants. Applicable au 1er janvier 2009, ce triple verrou est tout sauf virtuel.

• Pour la première fois, la loi impose une majorité de construction de l’accord, certes relative, mais tout de même significative au pays de la critique sans raison pure.

Obtenir la signature de syndicats représentant un tiers des suffrages du personnel, soit 20 à 25 % des inscrits, élimine les accords minoritaires mais rend aussi problématique la signature d’accords difficiles (ex. : PSE, voire GPEC). Ce nouveau seuil positif pourrait également coûter cher aux abonnés du refus de signature : si la proposition patronale d’augmentation négociée de 2,8 % ne recueille pas ces 30 %, il est possible qu’aucune augmentation n’ait lieu. En ces temps d’inflation, les DS oubliant leur stylo risquent d’être soumis à de rudes et bien peu idéologiques questions de la part des salariés-électeurs.

• Si l’accord signé est jugé inique, les contestataires ne pourront plus se contenter de crier au loup. S’ils ont obtenu ensemble plus de 50 % des suffrages exprimés, ils pourront exercer leur droit d’opposition et rendre ainsi l’accord caduc.

Délibérément et astucieusement responsabilisante, la loi d’août 2008 va donc connaître une lente montée en puissance au fur et à mesure des élections professionnelles dans les entreprises. L’on évoque déjà ici et là les veinardes ayant procédé à leurs élections début 2008, et qui auront presque quatre ans pour voir venir… tout en tirant les conséquences de ce qui s’est passé chez les concurrents.

QUATRE CONSÉQUENCES CONCRÈTES

1° Les DS, y compris ceux appartenant au « club des cinq » qui bénéficiaient du confort tranquille de la présomption irréfragable de représentativité, vont sentir passer le vent du boulet, voire venir la guillotine. Car ils doivent désormais se présenter aux élections et y obtenir, sur leur nom, plus de 10 % des suffrages exprimés. Ce qui achève de brouiller notre summa divisioconsultation avec les élus/négociation avec des désignés.

2° La restructuration syndicale que l’on voit venir au sommet avec l’éventuelle fusion Unsa/CFE-CGC va commencer par la base : des délégués n’ayant guère d’espoir de franchir la double barre des 10 % (leur syndicat + eux-mêmes) tenteront de faire liste commune avec d’autres précaires électoraux pour sauver les meubles du local syndical, mais aussi leur propre mandat et la protection qui va avec.

3° Autour des 10 % fatidiques, la bataille électorale risque d’être rude, ou un peu démagogique, voire corporatiste afin de grappiller les voix estimées manquantes. Ces voix seront d’ailleurs plutôt celles des collègues en CDI que celles des CDD et autres mis à disposition : le délégué va lui aussi se recentrer sur son cœur de mandat, voire développer un syndicalisme de services.

4° Côté patronal, caler la négociation annuelle obligatoire ou toute autre négociation sensible (PSE…) quelques mois avant le scrutin est désormais une bien mauvaise idée. Côté syndical, en revanche, il n’est pas impossible qu’une section en danger et son très dynamique représentant, dont on n’a pas fini de parler, qui n’ont plus rien à perdre, déclenchent un conflit sur des revendications ratissant large pour se rappeler au bon moment au bon souvenir des électeurs.

Et en attendant les prochaines élections ? La présomption de représentativité, qui n’est plus irréfragable, a de beaux restes : « Jusqu’aux résultats des premières élections professionnelles dans l’entreprise ou l’établissement, est présumé représentatif tout syndicat affilié à l’une des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi, ainsi que tout syndicat représentatif à ce niveau à la date de cette publication. »

Nombre de représentants du personnel CFTC, CFE-CGC, voire FO, mais également CGT ou CFDT là où elles sont faiblement implantées, ont encore quelques mois ou années pour travailler au corps leur corps électoral afin de parvenir au seuil fatidique de 10 % au prochain scrutin. À moins d’un autre big bang aux élections prud’homales du 3 décembre 2008, cette fois : élections ne jouant officiellement aucun rôle dans le nouveau système, mais auxquelles tout le monde pense.

FLASH
Quid dans les branches ou dans l’inter- profession ?

Dans les quatre ans qui viennent (un cycle complet d’élections), le ministère du Travail va devoir consolider les résultats de toutes les entreprises, branche par branche, puis au niveau interprofessionnel. On lui souhaite vraiment bon courage vu les nouveaux enjeux, mais aussi l’état actuel de la collecte de ces données aujourd’hui si sensibles, par exemple dans les 200 branches regroupant moins de 5 000 salariés. Bref, premier résultat des courses au mieux début 2013 pour les conventions collectives de branche et les accords interprofessionnels puisque les décrets ne paraîtront que dans quelques semaines.

Et en attendant ?

Rien ne change… ou presque : « Jusqu’à la première détermination des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives au niveau de la branche professionnelle, sont présumés représentatifs à ce niveau les syndicats affiliés aux organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel mentionnées au II du présent article, et les organisations syndicales de salariés déjà représentatives au niveau de la branche à la date de publication de la présente loi. » Idem au niveau interprofessionnel.

La présomption simple de représentativité du « club des cinq », qui pourrait bientôt passer à six (arrivée de l’Unsa) puis redescendre à cinq (fusion Unsa-CGC), n’est pas encore morte.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray