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Idées

Comment financer la prise en charge de la dépendance ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2008 |

Conformément aux vœux du chef de l’État, le gouvernement devrait présenter d’ici à la fin de l’année un projet de loi qui améliore la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées. Comment financer une dépense (environ 20 milliards d’euros par an) en constante augmentation ? Doit-elle relever de la solidarité nationale, de l’assurance individuelle ou d’un mixdes deux ? Les réponses de trois experts.

Philippe Marini Sénateur UMP de l’Oise et président de la mission d’information sur la dépendance.

Les concours publics à la prise en charge de la dépendance représentent aujourd’hui 20 milliards d’euros annuels, soit plus de 1 % du PIB. À cet effort important s’ajoute une participation des personnes âgées et de leurs familles qui semble dans certains cas difficile à supporter et, dans d’autres, parfaitement acceptable. Dans un contexte de croissance mécanique des dépenses liées au vieillissement, le défi est donc de continuer à garantir à nos concitoyens une base solide de prestations financées par la solidarité nationale tout en recentrant l’effort sur ceux qui en ont le plus besoin. Ce qui a deux conséquences : il est nécessaire de parvenir à une prise en compte plus satisfaisante de la capacité contributive de chacun en renvoyant vers des mécanismes de prise en charge assurantielle ceux qui le peuvent ; il est par ailleurs indispensable de dégager des moyens nouveaux en direction des publics dépendants, sans hausse des prélèvements obligatoires, mais en procédant par redéploiements au sein de la dépense publique. Dans cet esprit, la mission sénatoriale d’information a expertisé un mécanisme qui laisse le choix au bénéficiaire détenteur d’un patrimoine relativement élevé d’opter entre une allocation personnalisée d’autonomie à taux réduit et une allocation à taux plein, assortie dans ce dernier cas d’une prise de gage sur son patrimoine. Le seuil de déclenchement de la mesure pourrait être fixé à 150 000 euros. Le gage serait plafonné à 20 000 euros, ce qui enlève tout caractère confiscatoire au dispositif. Il s’agit également d’inciter les publics concernés à recourir davantage à des couvertures assurantielles. Sur ce terrain, la mission préconise par exemple de coupler au sein des Perp l’épargne retraite complémentaire avec une couverture du risque dépendance. Quant aux marges de redéploiement, elles sont réelles, particulièrement en ce qui concerne les dépenses médico-sociales : il faut en particulier mettre un terme à cette anomalie grave qui permet à certains établissements de percevoir des dotations de soins doubles ou triples de celles versées à d’autres à service rendu strictement identique. Par ailleurs, la mission sénatoriale souscrit totalement à l’idée selon laquelle les excédents structurels de la branche famille, s’ils se confirment, justifieraient une réallocation de la ressource vers la dépendance, mesure d’autant plus justifiée que la prise en charge des personnes âgées dépendantes comporte un volet important d’aide aux familles.

Francis Kessler Professeur à l’université Paris I (Sorbonne).

Aux termes de la recommandation du comité des ministres aux États membres du Conseil de l’Europe, « la dépendance est un état dans lequel se trouvent des personnes qui, pour des raisons liées au manque ou à la perte d’autonomie physique, psychique ou intellectuelle, ont besoin d’une assistance et/ou d’aides importantes afin d’accomplir les actes courants de la vie ». Le même texte précise : « Toutes les sections de la population peuvent se trouver affectées par la dépendance, et pas uniquement les personnes âgées, même si les situations de dépendance tendent à s’accroître avec l’âge et si, au grand âge, elle a des spécificités liées à l’augmentation des causes et en particulier à la multimorbidité associée. »

La dépendance est donc, n’en déplaise, inassurable. L’éventualité de la survenance d’une situation de dépendance (l’aléa) ne peut être calculée parce qu’elle est la conséquence de multiples facteurs qui peuvent se conjuguer à l’infini, qu’elle est fortement liée à l’environnement de la personne et qu’elle est évolutive, généralement, mais pas nécessairement dans le sens d’une aggravation de la perte d’autonomie. L’analyse des contrats d’assurance existants montre d’ailleurs que, quel que soit l’opérateur, les primes ou les cotisations sont calculées de façon plus intuitive que scientifique et que tous les contrats connaissent de sérieuses limitations du risque couvert, des franchises, des plafonds ou autres restrictions de garanties.

Il est à cet égard significatif que les Pays-Bas, l’État européen qui a donné une large place à l’assurance maladie privée, couvrent le risque dépendance dans un système public dit de dépenses médicales exceptionnelles financé par l’impôt. L’Allemagne, elle, a inséré son assurance dépendance au sein des caisses maladie. Ces solutions permettent de lier la dépendance aux politiques de santé publique. Elles garantissent l’accès aux infrastructures et aux services existants, le contrôle de leur qualité et, in fine, la liberté de choix de la personne dépendante. À l’opposé est le modèle de l’obligation d’assurance, «dépense obligatoire» mais hors du champ des dépenses publiques. Une solution inspirée de l’assurance catastrophe naturelle. Les personnes ayant contracté une assurance maladie cotisent obligatoirement à l’assurance dépendance par le biais d’une surprime, dispositif qui serait particulièrement pertinent dans l’hypothèse d’une mise en concurrence des caisses d’assurance maladie de base.

Yves Daudigny Président (PS) du conseil général de l’Aisne.

Quel formidable défi à relever ! Définir un droit universel d’aide à l’autonomie qui permette à tout individu d’accomplir les actes essentiels de la vie, de se déplacer, d’occuper un emploi, d’avoir sa place dans la société. Un droit qui complète les autres droits, tels que l’assurance maladie ou la retraite, et qui ne s’y substitue pas. Sa définition et son mode de financement authentifieront son caractère universel ou, au contraire, le rendront inégalitaire, à l’opposé de l’ambition de départ. La question est posée d’un financement durable d’une dépense particulièrement dynamique.

Le principe de solidarité nationale doit être affirmé comme l’élément de base de la prise en charge du nouveau risque reconnu. Son financement pourrait principalement être assis sur une ressource nationale identifiée, telle la CSG. La part reposant sur la fiscalité départementale, aujourd’hui prépondérante, ne saurait excéder 50 % des dépenses réelles, faute de provoquer des inégalités reposant uniquement sur la situation géographique des personnes concernées. L’appel à la responsabilité individuelle ne peut être écarté. Il doit être mesuré car il éloigne du droit universel, porte les germes d’une gestion pénalisant inévitablement les plus faibles. Le recours sur succession, parce qu’il est un puissant motif pour les familles de rejet des dispositifs d’aide publique, doit être écarté ou réservé aux patrimoines de très haute valeur. Peut-on envisager un système viager volontaire permettant à la personne d’utiliser son patrimoine de son vivant ? Des voies de cette nature peuvent certainement être explorées. Quant à une protection complémentaire fondée sur le principe d’une assurance personnelle, elle ne saurait s’adresser aux personnes déjà en situation ou proches de la perte d’autonomie.

Le système de financement doit être construit à partir d’un plan personnalisé de compensation aidant à l’autonomie, en garantissant à toute personne ayant besoin d’être aidée une réponse spécifique, mobilisant les aides nécessaires d’un même panier de référence de biens et de services, reconnus et identifiés comme indispensables. Il doit également tenir compte des limites et des difficultés de la solidarité familiale et de l’aide sociale, dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, de montée de la précarité et de contraintes budgétaires fortes. C’est à ces conditions que le regard de la société changera sur celles et ceux non frappés d’incapacités mais qui sont des « personnes autrement capables ».