Les DRH qui arrivent aux commandes des grands groupes présentent de nouveaux profils et participent pleinement à la réflexion stratégique.
Danone, Schneider Electric, Publicis, EDF, Legrand ou encore Total, on ne compte plus le nombre de grands groupes ayant changé de DRH cette année. Cette valse n’est pas le fait du hasard. Certes, elle s’explique en partie par le passage de relais d’une génération à une autre, le papyboom commençant aussi à se faire sentir chez les professionnels des ressources humaines. Mais il y a d’autres raisons. Le DRH fait désormais partie du cercle des hauts dirigeants. Or les relations étroites qu’il tisse avec son directeur général poussent très souvent le successeur de ce dernier à se choisir un binôme moins lié au passé. Certaines directions d’entreprise souhaitent carrément changer le profil de leur DRH et portent leur choix sur un manager opérationnel. De cette façon, elles espèrent sensibiliser la fonction aux besoins des responsables de projet ou de business et des patrons de filiale. Enfin, une modification du périmètre, avec une acquisition ou une cession, comme un changement de métier peuvent également conduire le directeur général à se séparer de son DRH. Le choix du remplaçant se porte alors sur un profil et une expérience plus adaptés aux besoins du moment. Tour d’horizon de cette nouvelle génération de DRH.
Il faut au moins vingt ans d’expérience professionnelle pour espérer remplacer un directeur des ressources humaines. Dans la fonction ou au sein de l’entreprise. « Les DRH groupe nouvellement nommés sont juristes ou issus de Sciences po, note Jean-Pierre Catu, spécialiste des DRH chez Spencer Stuart, un cabinet de chasse de têtes. La multiplication des diplômes supérieurs en gestion des ressources humaines est trop récente pour compter des quadragénaires parmi leurs anciens détenteurs. On trouve aussi quelques ingénieurs, des gens formés dans des écoles de commerce ou au sein de grandes écoles. » Les chiffres sont cependant très favorables aux DRH ayant fait toute leur carrière dans la fonction. Pour un Frédéric Lavenir, énarque, inspecteur des finances, qui débarque dans la fonction RH de BNP Paribas à 48 ans après un parcours de cadre dirigeant au sein du groupe, on trouve neuf Thierry Baril, nommé DRH d’Airbus à 42 ans, après une carrière exclusivement consacrée à la fonction RH. Les DRH professionnels ne sont donc pas démodés, mais le parcours des heureux élus d’aujourd’hui est souvent plus diversifié que celui de leurs aînés. « Ceux qui accèdent aux manettes ont généralement accepté de multiplier les expériences. Beaucoup ont été expatriés ou ont démontré leur capacité à travailler dans l’interculturel », estime Stéphane Charbonnier, DRH de PepsiCo France.
La bonne connaissance de l’entreprise ou de ses métiers peut aussi être déterminante. Ancien professeur d’histoire-géographie, Erik Leleu est surtout un homme du sérail chez Vinci. « Je connais tous les métiers du groupe et un grand nombre des patrons de filiale. Je garde aussi un contact direct avec les managers de terrain car je dois comprendre les spécificités de leur business. Cela permet de répondre le plus précisément possible aux besoins des patrons. » Pour Gilles Verrier, consultant et auteur de Réinventer les RH (éd. Dunod, 2007), cette capacité à évaluer le corps social reste importante : « Le DRH doit anticiper sur la façon dont les équipes vivront un nouveau projet. » Et, dans ce domaine, le savoir-faire est primordial. En remplaçant Franck Mougin à la tête de la RH de Danone, Muriel Pénicaud, 52 ans et une longue carrière dans les RH derrière elle, démontre que les DRH expérimentés n’ont pas dit leur dernier mot.
Faute d’encadrer des services paie ou du personnel, comme ce fut le cas pendant longtemps, les DRH groupe chapeautent de nouvelles compétences. En témoigne André Decoutère, 44 ans, DRH du groupe Barrière, qui, s’il n’a pas l’intention de se transformer en informaticien, pilote les trois grands projets de SIRH : la mise en place d’un outil de paie, d’un autre sur la gestion des temps et d’un troisième relatif au développement d’un baromètre social interne. « Presque tous les sujets que traite un DRH comportent une traduction informatique complexe. Sans être un expert, il est impératif de maîtriser ces aspects techniques », explique ce quadra. Du haut de ses 32 ans, Audrey Helle, la DRH France de Swatch, ne dit pas autre chose : « Dans un service RH, impossible de s’en sortir sans quelques connaissances et facilités en informatique. » Selon cette jeune professionnelle, la nécessité est réelle de s’approprier rapidement les logiciels que le groupe met en place pour calculer par exemple les bonus des collaborateurs, évaluer les budgets de formation, répertorier les absences… Quand il ne s’agit pas de développer d’autres outils, en fonction des besoins propres à l’entreprise. « Notre responsable paie a elle-même créé des indicateurs spécifiques à l’Hexagone. Sa dextérité à utiliser l’outil informatique est un vrai plus ! » assure la DRH France du célèbre horloger suisse.
Il est une autre compétence qui, peu à peu, s’installe dans les services RH : le comp and ben. « Le DRH n’a pas vocation a être fiscaliste, mais il doit pouvoir s’y retrouver dans les produits de protection sociale, de mutuelle… Les collaborateurs attendent de l’entreprise qu’elle leur offre ces avantages », constate Jean-Guillaume Bouchaud de la Forestrie, DRH France de Credit Suisse. Aujourd’hui, les bons responsables compensation and benefits s’arrachent. Et parce que le DRH est de plus en plus un business partner, il se positionne sur l’anticipation des besoins. Ainsi, chez Accenture, Isabelle Lamothe, DRH France, a créé en septembre 2007, au sein de son service, une nouvelle fonction entièrement dévolue à la prospective. « C’est une sorte d’explorateur de tendance version RH », souligne-t-elle. Chez Renault, même credo. À la DRH corporate, le constructeur automobile a créé il y a six mois 25 postes de « conseils en développement de carrière ». Leur job ? Réfléchir transversalement à l’évolution des métiers dont le groupe aura besoin demain, en fonction des nouveaux marchés et des produits à venir. Enfin, la gestion de la diversité, de l’égalité, de l’intégration est un domaine qui prend de plus en plus de place dans les RH. Jusqu’alors apanage des groupes américains, cette fonction gagne les sociétés françaises. Exemple ? « Sur les 23 personnes du service, 3 sont chargées de la diversité et de la non-discrimination », explique Christian Droz, le DRH corporate d’Adia, société d’intérim.
Le directeur des RH ne peut pas faire son boulot s’il ne connaît rien au métier et à la stratégie de son entreprise », affirme Gilles Verrier. Le consultant parle en connaissance de cause. Il a occupé le poste de DRH chez Décathlon. Son analyse est partagée par les professionnels du recrutement. À l’instar de Jean-Pierre Catu, chasseur de têtes chez Spencer Stuart, pour qui le DRH groupe n’est plus le responsable des relations sociales d’autrefois. « On lui demande plutôt de fidéliser les personnes clés et d’anticiper sur les futurs besoins en talents et compétences, en lien avec l’évolution du business. » Autrement dit, de prendre part à la réflexion stratégique.
Frédéric Lavenir, DRH de BNP Paribas, confirme. « J’ai un collaborateur qui assure la gestion des relations sociales en France. Personnellement, je me consacre surtout à l’identification des talents à l’intérieur du groupe, partout dans le monde, et je participe à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. » Jean-Christophe Benetti, DRH de Nexter (anciennement Giat Industries), estime que le DRH peut avoir une fonction d’arbitre au sein du comité directeur. « Je tiens souvent un rôle de médiateur pour aider les membres du codir à prendre une décision. Je ne suis pas attaché aux intérêts d’une fonction particulière, ce qui me permet de reformuler et de faire la synthèse d’une problématique tout en soulignant ses aspects humains. » Mais les responsabilités du directeur des RH sont aussi liées à la culture de son entreprise et aux besoins de son DG. Gérard Leclerc et Jean-Luc Vergne, respectivement DRH groupe de Renault et de PSA Peugeot Citroën, suivent encore de très près le dialogue social en France, pays majeur par le nombre et l’importance de leurs sites de production. La culture interne peut cependant évoluer très rapidement, précise Gérard Fournier, du cabinet Boyden Executive. « On nous appelle souvent pour trouver un DRH qui corresponde au problème du moment. Après l’arrivée de Denis Olivennes à la Fnac, l’enseigne a changé de DRH. L’ancien titulaire ne correspondait plus à la culture RH du nouveau président. »
Neuf DRH groupe sur dix sont présents au comité directeur ou dans l’instance de réflexion stratégique de leur entreprise. Et ils entretiennent des relations étroites avec leur patron. « J’ai besoin de partager la même philosophie que Xavier Huillard, P-DG de Vinci, et les mêmes convictions en matière de GRH pour être efficace », indique Erik Leleu, DRH du groupe. « Je gère en direct la carrière des 300 plus hauts dirigeants du groupe, note François Viaud, DRH de Total. Impossible à réaliser sans avoir la confiance totale de mon P-DG. » DRH de PepsiCo aux États-Unis, Stéphane Charbonnier va plus loin : « On est passé du DRH qui doit justifier sa présence au codir à un contributeur clé, dont on attend une opinion sur la stratégie marketing, la politique commerciale ou le développement de la production. » Un cadre dirigeant à part entière.
Chez McDonald’s, il a pour titre vice-président RH France-Europe du Sud. « Une fonction dont le périmètre commence en Hollande et se termine à l’île Maurice. » De fait, pour coordonner ses troupes, Hubert Mongon utilise quotidiennement l’anglais. « La langue de Shakespeare est aussi mon outil de travail pour participer à des projets RH transversaux », raconte ce responsable de 46 ans. Consultante chez Neumann International, un des leaders européens du recrutement de dirigeants, Chantal Berard ne voit plus une mission de DRH groupe « où l’anglais ne soit pas obligatoire, même lorsqu’il s’agit de sociétés françaises ». À l’en croire, sans être basé à l’étranger, un DRH – groupe ou corporate – a une très forte probabilité de manager des collaborateurs de nationalités différentes.
« Une des problématiques des ressources humaines est bien le décloisonnement. L’action de GPEC que nous menons va dans ce sens : repérer les talents où qu’ils se trouvent dans le monde », analyse Muriel Neveu, la DRH d’ADP, groupe gestionnaire de paie qui compte plus de 46 000 personnes. C’est aussi la vision d’Antoine Tirard, global head talent manager au sein de la DRH corporate du géant pharmaceutique Novartis. Basé en Suisse, ce Français de 41 ans travaille avec plus de 90 nationalités différentes et rapporte à un DRH monde, de nationalité allemande. « La fonction RH n’a plus de frontières. Elle s’est adaptée à un marché mondialisé », explique-t-il.
Même les entreprises à la culture très franco-française sont concernées par cette nouvelle donne. « Personne n’est à l’abri d’être racheté par un groupe étranger ou de fusionner avec une société étrangère », prévient, par exemple, Marie-Hélène Plainfossé, 47 ans, ancienne DRH chez Pechiney, passé sous la houlette d’Alcan, une société canadienne. Celle qui est aujourd’hui DRH France de The Phone House, une société anglaise, se souvient du changement de culture occasionné. Depuis, elle ne manque pas de souligner l’internationalisation grandissante de la fonction. « La plupart des organisations de travail fonctionnent selon des modèles anglo-saxons. Mieux vaut les connaître, sinon le choc peut être violent. » Une internationalisation qui se traduit par une normalisation et une standardisation des outils, comme en témoigne cette tendance à utiliser partout les mêmes logiciels de rémunération, d’évaluation et de progression de carrière.
162 700 salariés dans 85 pays. Chiffre d’affaires mondial : 31 037 milliards d’euros.
Bernard Lemée a consacré toute sa carrière aux ressources humaines. Il a ainsi occupé le poste de DG adjoint et responsable des RH du groupe BNP Paribas pendant quatorze ans. Ce docteur en droit a été nommé conseiller de la direction générale. Ce qui lui laisse le temps de négocier avec les partenaires sociaux pour le compte du Medef.
Énarque et diplômé de HEC, Frédéric Lavenir a créé la surprise en devenant DRH de BNP Paribas. Ancien de Bercy et du cabinet de Dominique Strauss-Khan, il était P-DG de BNP Paribas Lease Group en janvier 2007, au moment de prendre le poste. Cet opérationnel de 47 ans s’occupe désormais de GRH.
Ce licencié en sociologie titulaire d’un DEA de droit public est un homme de Total. Entré en 1981 comme juriste, il gravit tous les échelons : responsable des relations sociales, DRH adjoint après un bref passage comme directeur adjoint de la raffinerie de Normandie, puis DRH groupe pendant dix ans. Il occupe désormais le nouveau poste de secrétaire général du groupe.
Un DRH au sein d’une PME, pour quoi faire ? « Dans une petite société de moins de 50 salariés, la GRH consiste surtout à s’assurer que les équipes sont au complet pour faire face aux commandes », explique Jean Allègre , créateur de JA Consulting-Avenir, un cabinet de conseil en GRH. Les relations sociales sont assurées par le patron lui-même. La paie est confiée au comptable.
Mais les clients du consultant lui délèguent la rédaction des contrats de travail, le suivi de l’évolution du Code du travail ou le recrutement. Ils sollicitent aussi son avis sur la meilleure façon de rémunérer les heures supplémentaires. « On accompagne surtout le chef d’entreprise dans le labyrinthe des règles sociales », précise Jean Allègre.
Au-delà d’un certain seuil, le patron a évidemment besoin d’un spécialiste en interne. Laurent Demagnez a créé le poste de DRH chez Unither. Le laboratoire pharmaceutique comptait 150 salariés répartis sur deux sites. « Pour créer des outils de GRH, mettre en place des pratiques et impulser un certain type de management, j’ai organisé des groupes de réflexion dans les usines », raconte le DRH. Mais cette proximité n’a pas duré. En 2005, l’entreprise a acquis trois établissements. En passant de 200 à 500 salariés, elle a obligé son DRH à revoir son fonctionnement. Aujourd’hui, un responsable RH est garant de la bonne utilisation des outils RH sur chaque site. De son côté, Laurent Demagnez est moins impliqué dans le dialogue social, n’intervenant qu’en amont, pour les négociations, et en aval, pour les accords. « Je suis surtout sollicité par les patrons d’usi’ne pour les aider à modifier l’organisation. Et je participe aux réflexions du comité directeur. »
Un changement de statut engendré par la croissance de lentreprise autant que par le partage d’une même vision des RH avec son DG.
E. B.
96 442 salariés dans 130 pays. Chiffre d’affaires mondial : 158,75 milliards d’euros.
Polytechnicien, diplômé de l’École nationale supérieure du pétrole, François Viaud a fait ses armes chez Elf, puis Total. Ingénieur forage, puis directeur des opérations d’exploration-production, il est responsable de filiale quand il accepte, en 2002, le poste de DRH de la branche exploitation-production du groupe Total.
Bras droit de Franck Riboud pendant six ans avant d’être évincé du Groupe Danone en février 2008, Franck Mougin connaît tous les rouages du métier de DRH. Il a tenu cette fonction au sein de plusieurs groupes industriels, comme CGEE Alsthom, puis Luchaire, Matra Électronique, Fruehauf France. Il a également été DRH monde du fabricant de plâtre BPB à Londres.
76 000 salariés dans 120 pays. Chiffre d’affaires mondial : 12,7 milliards d’euros.
Nouvelle DRH du Groupe Danone, Muriel Pénicaud effectue un come-back. À 52 ans, cette titulaire d’un DEA en histoire, sciences de l’éducation et psychologie, qui est passée par l’administration territoriale et le ministère du Travail avant de devenir DG adjointe de Dassault Systèmes, chargéede l’organisation des RH et du développement durable, revient aux ressources humaines d’une entreprise où elle a travaillé dans les années 90.