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Politique sociale

Black-out sur le coûteux régime des intermittents

Politique sociale | publié le : 01.06.2008 | Fanny Guinochet

L’Unedic renoue avec les excédents, mais le régime des intermittents garde son milliard de déficit. Reste que ni l’État ni les partenaires sociaux ne veulent rouvrir la boîte de Pandore.

Le protocole de 2003 a creusé l’écart entre salariés de l’audiovisuel et artistes du spectacle vivant

Un milliard d’euros. C’est le déficit que présente chaque année le régime d’assurance chômage des intermittents. À l’heure de la rigueur, ce gouffre ne semble pourtant émouvoir personne. « Le sujet n’est pas sur la table », assure Raymond Soubie, le conseiller du président de la République pour les affaires sociales. « Nicolas Sarkozy n’en avait pas beaucoup parlé pendant sa campagne. Ce n’est pas sa priorité », confirme un proche. Signe que le président n’est toutefois pas totalement indifférent au sujet, cette petite phrase – rapportée par le Point – lors d’une visite au studio d’enregistrement de sa femme : « Que pensez-vous du statut des intermittents ? » a-t-il demandé aux musiciens en pleine répétition.

Pour le reste, et à quelques semaines des festivals de l’été, silence radio. Ce statut particulier qui permet à 76 000 artistes et techniciens du spectacle de percevoir un salaire de remplacement entre deux contrats de travail ressemble à une boîte de Pandore que gouvernement et partenaires sociaux n’entendent pas rouvrir, de peur qu’elle ne leur explose au nez.

La preuve, le 6 mai reprenanait la négociation de la convention d’assurance chômage. Comme c’est le cas tous les trois ans, les partenaires sociaux, sous la houlette de l’État, ont jusqu’à la fin décembre pour rediscuter de la durée d’indemnisation, de la définition d’une offre raisonnable d’emploi, de l’intégration du nouveau contrat de travail… Mais les délicates annexes 8 et 10 – textes sur lesquels repose pourtant le régime des intermittents – ne sont pas inscrites au programme. Rien n’oblige en effet les négociateurs à passer en revue ces textes supplétifs. « Ne pas prendre en compte spécifiquement ces annexes est une ineptie », déplore pourtant un fonctionnaire proche du dossier. Et pour cause, selon ce spécialiste, les intermittents grèvent lourdement le budget de l’Unedic qui, avec la baisse du chômage, se remet à flot. Après avoir accumulé jusqu’à 15 milliards d’euros de déficit, l’assurance chômage connaît à nouveau un excédent, de l’ordre de 3,5 milliards, en 2007. Mais le milliard d’euros des annexes 8 et 10, lui, ne se résorbe pas.

Filet de sécurité. Et ce n’est pas le fameux accord de 2003 – qui, à l’époque, a déclenché la colère des intermittents et l’annulation de nombreux festivals – qui a allégé l’addition. Certes, les règles se sont durcies et le nombre d’indemnisés a baissé : pour être intermittent et bénéficier d’une indemnisation pendant huit mois, il faut justifier de cinq cent sept heures de travail sur dix mois pour les techniciens et sur dix mois et demi pour les artistes. Mais ce durcissement des conditions d’accès a suscité de vifs remous chez les intéressés. Pour apaiser la situation, un « fonds transitoire » destiné à venir en aide à ceux qui ne parviennent pas à réaliser les cinq cent sept heures en dix mois – mais en douze – a été créé en 2004. Transformé depuis en Fonds de professionnalisation et de solidarité, ce filet de sécurité existe toujours. Géré par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle – rattachée auparavant au ministère du Travail et transférée depuis à Bercy –, ce fonds a cumulé depuis 2004 environ 290 millions d’euros de dépenses pour 40 000 bénéficiaires. Abondé par l’État, « [il] garantit des revenus sur douze mois », argumente-t-on au ministère de la Culture.

On pousse les gens à changer de métier. Reste que cette caisse de soutien est loin d’avoir calmé le mécontentement des organisations syndicales, CGT Spectacle en tête, et des coordinations d’artistes. Toutes dénoncent une forte déperdition des effectifs, des freins aux nouveaux entrants, des exclusions… Pour essayer d’y voir plus clair, une mission conjointe de l’Inspection générale des affaires sociales, de l’Inspection générale de l’administration des affaires culturelles et de l’Inspection générale des finances vient d’être mandatée par les ministères de la Culture, du Travail et de l’Emploi. « L’objectif de ce système est d’abord de faire le tri. Sans l’avouer, on pousse surtout les gens à changer de métier », assure Jean Voirin, le secrétaire général de la CGT Spectacle. Selon le syndicaliste, « l’État cherche essentiellement à accompagner les reconversions professionnelles, exactement comme il l’a fait en son temps pour la sidérurgie ». Depuis 2006, les dispositifs de reconversion ont effectivement été multipliés. Les danseurs ou les artistes de cirque se sont, par exemple, vu proposer des formations pour acquérir des compétences reconnues dans le secteur marchand.

Des conventions collectives ont également été mises en place pour assainir un secteur aux pratiques parfois douteuses. Cela a été notamment le cas en 2007 dans la production audiovisuelle où le salaire des intermittents n’est pas toujours totalement déclaré par les employeurs, qui laissent les Assedic payer le complément. Seul hic : près d’un an plus tard, les sociétés de production qui l’appliquent se comptent sur les doigts d’une main. Le Collectif télé, de 800 intermittents – réunissant ingénieurs du son, chefs opérateurs, monteurs, etc. –, mène pourtant des actions pour faire plier ces employeurs peu scrupuleux. « On se fait entendre peu à peu mais, malheureusement, la fronde reste encore très limitée », note un membre. Difficile en effet de lutter contre la connivence entre employeurs et salariés. « Il arrive que des intermittents s’arrangent avec l’employeur pour travailler le nombre d’heures nécessaires. Pour le patron, c’est plus qu’avantageux puisque l’assurance chômage assume la flexibilité dont il a besoin », poursuit un membre du collectif.

Plus que cela, le protocole de 2003 a surtout creusé l’écart entre les salariés de l’audiovisuel et les artistes du spectacle vivant. Comédien depuis plus de quinze ans, Bruno confirme : « Les vrais perdants, ce sont nous, les gens de théâtre. Il est beaucoup plus difficile de faire nos heures dans le temps imparti. » À 46 ans, il s’interroge sur la pertinence de poursuivre son métier. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess) et auteur en 2005 des Intermittents du spectacle : sociologie d’une exception (éditions de l’Ehess), Pierre-Michel Menger tire les mêmes conclusions. Le chercheur fustige « un système où l’assurance chômage joue le rôle d’un matelas sur lequel on construit une pyramide d’inégalités extrêmes ».

Dossier à hauts risques. « Les intermittents, c’est une machine à prendre des claques », explique mezza voce un membre du ministère de la Culture. Le gouvernement n’a pas envie de revivre une saison de festivals perturbée par des manifestations. Accaparés par d’autres négociations, les syndicats n’ont pas non plus intérêt à se pencher sur ces annexes. Alors que la CGT et la CFDT font front uni sur des sujets comme la représentativité et l’emploi des seniors, il serait mal venu pour elles d’afficher leurs divergences. Car si la CGT défend bec et ongles un régime particulier pour les intermittents, la CFDT semble de son côté moins convaincue de l’utilité d’un tel système. En face, le Medef est également gêné aux entournures. Après l’affaire de l’UIMM, le patronat a perdu son négociateur en titre, Denis Gautier-Sauvagnac. Surtout, il n’est pas pressé de mettre sur la table un dossier dont, finalement, l’État supporte de plus en plus la charge. Dans ces conditions, le milliard des intermittents n’est pas près de se résorber.

76 000 C’est le nombre d’artistes et de techniciens qui bénéficient du statut d’intermittent du spectacle.

290 000 euros C’est la somme dépensée depuis 2004 par le Fonds de professionnalisation et de solidarité pour venir en aide aux intermittents.

1 800 euros C’est le montant mensuel moyen des indemnités versées par le régime spécifique d’assurance chômage en 2006.

Auteur

  • Fanny Guinochet