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Enquête

Les méthodes du privé gagnent la fonction publique

Enquête | publié le : 01.06.2008 | Anne Fairise, Nadia Salem

Mobilité, gestion des compétences, rémunérations à la performance… les canons de la GRH du privé deviennent, peu à peu, ceux de l’administration. Une révolution pour les fonctionnaires.

L’idée a germé dans les rangs de l’UMP durant la présidentielle de 2007. Elle se concrétise aujourd’hui sous le sigle barbare de RGPP, révision générale des politiques publiques. La philosophie de la réforme est simple : faire mieux avec moins d’argent. Pour cela, elle emprunte les méthodes de management éprouvées du privé et les applique à la gestion publique. Importée du Japon, la cure d’amaigrissement imposée aujourd’hui à l’État s’apparente au lean management (ou management amaigrissant). Élaborée par Toyota dans les années 60, elle vise à réduire les gaspillages, améliorer la productivité et s’adapter en permanence. À la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME), on assure le service après-vente en expliquant que cette méthode « devrait permettre d’augmenter à la fois la performance publique, la satisfaction des usagers mais aussi la confiance des agents ».

Dans les faits, la réforme a pris corps avec les deux cents et quelques mesures décidées au cours de deux Conseils de modernisation des politiques publiques dont le gouvernement attend 7 milliards d’économies budgétaires en trois ans. Pas moins de 167 audits ont été réalisés entre octobre 2005 et avril 2007. Des cabinets de conseil réputés, Ernst & Young, McKinsey ou le Boston Consulting Group, ont commencé par passer au peigne fin près de 150 milliards d’euros de dépenses de l’État dans tous les domaines : l’éducation, la protection sociale, les transports, la sécurité, la justice, etc. En juillet 2007, une seconde salve d’audits a mobilisé hauts fonctionnaires et consultants. Objectif : « proposer des réformes portant sur l’ensemble des 1 000 milliards de dépenses publiques », précise un document de Bercy. Pourtant, sous l’apparence d’un instrument budgétaire, la RGPP n’en bouscule pas moins le service public et ses agents. Certains y voient même un moyen de justifier a posteriori le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Une opération de destruction ? « Personne ne conteste l’intérêt de réformer la fonction publique. Encore faut-il réfléchir dans le sens de l’intérêt général, sans a priori idéologique », estime Jean-Marc Canon, secrétaire général du syndicat des fonctionnaires de la CGT. De fait, les conflits anti-RGPP se multiplient : à Météo France, dans l’Éducation nationale (enseignants et lycées), à la Culture ou aux Finances, on s’insurge contre la « logique exclusivement comptable » du gouvernement. « De fusion en restructuration, d’externalisation en privatisation et de flexibilité en précarité, une vaste opération de destruction des fondements du service public et de la fonction publique s’accélère sous nos yeux », déplorent les auteurs d’un manifeste anti-RGPP, dont l’un des premiers signataires n’est rien moins que le coauteur des lois de 1983 sur le statut de la fonction publique, Anicet Le Pors, ministre de l’époque, qui dénonce une « mise en extinction » du statut général des fonctionnaires. Recours accru au contrat, rémunération au mérite, plans de départs volontaires… Inventaire de ces méthodes du privé qui imprègnent progressivement la fonction publique. Non sans résistance interne.

STATUT

Intérim et contrats de droit privé en vue

Tailler des croupières au sacro-saint statut de la fonction publique, Nicolas Sarkozy en rêve. « Il serait souhaitable qu’on laisse le choix aux nouveaux entrants entre le statut de fonctionnaire ou un contrat de droit privé », a-t-il déclaré en septembre dernier, préfigurant ainsi un rapprochement de la gestion des fonctionnaires de celle des salariés du privé. Séduit par le modèle britannique de contrat de droit privé pour les fo nctionnaires, le chef de l’État va devoir pourtant patienter. Le dossier est beaucoup trop explosif. Ce n’est d’ailleurs pas non plus l’option choisie par Jean-Ludovic Silicani, conseiller d’État et auteur du « Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique » qui doit servir de base aux négociations censées s’ouvrir avant l’été entre le gouvernement et les organisations de fonctionnaires. L’objectif ? Dessiner la « fonction publique de métiers » que le gouvernement appelle de ses vœux. Il préconise cependant d’« en finir avec l’hypocrisie » actuelle dans la fonction publique qui recourt de façon « massive » aux contractuels – 20 % des effectifs sont recrutés hors statut. En marge des 5,2 millions de fonctionnaires, ces derniers constituent déjà un bataillon de 1,1 million de salariés. Une approche pragmatique consisterait, selon lui, à « faire relever les agents contractuels de la fonction publique du droit commun », c’est-à-dire du Code du travail. « Les contractuels se trouvent dans un régime juridique moyenâgeux, souligne le conseiller d’État. Ils n’ont ni les droits des fonctionnaires ni la protection du statut privé. »

La possibilité de recours à l’intérim prévue par le projet de loi relatif à la mobilité est une véritable bombe

Pour autant, les contractuels continuent d’affluer en masse dans les administrations, à la recherche, comme les entreprises, de davantage de flexibilité. À cela, une raison bien simple : exit le concours, place à de nouvelles formes de recrutement ! À l’Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT, on reconnaît que « les flux de recrutement sans concours sont trop massifs pour être qualifiés de dérogatoires ». Et si, officiellement, le mode de recrutement demeure le concours, la réalité est « bien plus composite ». Procédures dites « sans concours » visant la catégorie C (recrutement aux niveaux CAP, BEP) telles que le pacte junior, les recrutements sur titres, la validation des acquis de l’expérience… Les modes de recrutement tendent, en effet, à se diversifier. Ce qui n’est pas du goût des syndicats de fonctionnaires très attachés à l’« égal accès aux emplois publics » garanti par le concours. Reste que celui-ci ne répond pas toujours aux exigences nouvelles de la GRH publique. C’est le constat de deux inspecteurs généraux de l’administration qui ont remis le 19 février dernier un rapport au ministre du Budget et de la Fonction publique. Ils dressent en 40 pages un état des lieux et des pistes pour « simplifier et professionnaliser » les concours de l’État. Ce sont « des machines à sélectionner des candidats sans objectif précis en termes d’emplois à pourvoir, plutôt que des actes de recrutement visant à satisfaire à un emploi clairement défini », indique le rapport Desforges.

Sur la base de ce document et des conclusions complémentaires qui devaient être rendues au printemps, Éric Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, et André Santini, secrétaire d’État chargé de la Fonction publique, devraient conduire en 2008 une réforme de l’organisation et du contenu des concours de l’État. Un souhait du président de la République et un engagement pris lors d’un Conseil de modernisation des politiques publiques en décembre 2007. Cette refonte concernera directement les plus de 700 000 candidats qui se présentent chaque année aux concours de la fonction publique d’État. « L’objectif pourrait être de recentrer les recrutements autour d’un nombre réduit de grands concours professionnalisés, en lieu et place des milliers de procédures annuelles qui existent actuellement. Il s’agira aussi de modifier substantiellement les épreuves des concours pour les rendre plus adaptées à la recherche des compétences, pour permettre l’égalité réelle des chances entre tous les candidats et pour répondre au souci légitime des fonctionnaires d’être promus en fonction de leurs compétences professionnelles », ont précisé les deux ministères.

Si cette intention louable rencontre peu d’objections, la possibilité pour la fonction publique de recourir, tout comme les entreprises privées, à l’intérim inscrite dans le projet de loi relatif à la mobilité est, en revanche, une véritable bombe. « Comment le ministre de la Fonction publique peut-il dire qu’un agent mis à disposition de l’administration par une entreprise de travail temporaire sera soumis aux obligations s’imposant à tout agent public ? » interroge Thi-Trinh Lescure, représentante du syndicat Solidaires, dans un courrier adressé à Hugues Portelli, sénateur du Val-d’Oise et rapporteur du projet de loi. Alors que la jurisprudence européenne et la loi Sapin de 2001 ont contribué à résorber la précarité dans la fonction publique – en requalifiant des CDD en CDI –, l’intérim en réinjecte une dose.

N. S.

RÉMUNÉRATION

Heures sup et salaire au mérite pointent leur nez

Lors des vacances scolaires de printemps, Christine a accepté d’effectuer des heures de soutien scolaire auprès d’élèves de CM2 en difficulté. « Pour des raisons alimentaires », explique-t-elle. Cinq demi-journées payées en heures supplémentaires (25 euros l’heure) lui auront fait gagner 375 euros de plus en avril. Une somme non négligeable pour cette institutrice d’une école élémentaire en région parisienne dont le salaire net s’élève à 1 786 euros. « Je gagnais quasiment la même chose lorsque j’étais éducatrice, en catégorie B, au ministère de la Justice, il y a six ans », précise-t-elle. Cet été, elle sacrifiera également une partie de ses congés pour assurer d’autres heures sup et compenser la perte des heures d’étude payées 30 euros l’heure qu’elle assure deux fois par semaine durant l’année scolaire.

Le credo sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus » entend s’appliquer à la fonction publique comme au secteur privé. Depuis le 1er octobre, les heures supplémentaires font l’objet d’une exonération d’impôt sur le revenu et de charges sociales. Elles sont désormais systématiquement rémunérées 25 % de plus que les heures normales. En 2006, la dépense au titre des heures supplémentaires dans la fonction publique d’État s’est élevée à 1,1 milliard d’euros, dont 955 millions d’euros pour les seuls enseignants. Pour le gouvernement, il s’agit ni plus ni moins que d’étendre à tous les agents, quel que soit leur statut, la possibilité d’en effectuer. Selon Bercy, elles « doivent être un levier important dans l’appréciation de l’évolution du pouvoir d’achat des agents ».

Les fonctionnaires qui peuvent déjà bénéficier des heures sup pourraient aussi connaître les joies de la rémunération au mérite. Le gouvernement entend remettre à plat la politique de rémunération des agents pour en faire un instrument de gestion des ressources humaines plus efficace. C’est ce qu’a proposé le gouvernement aux huit fédérations syndicales de la fonction publique, réunies par Éric Woerth et André Santini en octobre 2007. Adaptation de la grille de rémunérations, place de la politique indemnitaire, introduction de mécanismes d’intéressement collectif (en cohérence avec la Lolf) ou individuel, recours accru aux heures supplémentaires, réforme des comptes épargne temps, développement de la protection sociale complémentaire… le gouvernement souhaite « élargir la négociation salariale à l’ensemble des instruments pouvant concourir au pouvoir d’achat ». À Bercy, on dit vouloir discuter de « la productivité » dans les administrations et des moyens qui permettront de distinguer ce qui relève du « traitement automatique » du « traitement au mérite ».

Depuis 2004, six ministères pilotes (Finances, Équipement, Agriculture, Justice, Intérieur et Défense) expérimentent la « rémunération liée à la performance », mais uniquement pour les directeurs. Cette expérience étendue en 2006 à l’ensemble des ministères pourrait concerner à terme tous les fonctionnaires. Selon Elsa Pilichowski, de l’OCDE, « la prise en compte systématique d’objectifs et d’indicateurs de performance dans la budgétisation et la gestion des ressources humaines est de toute évidence un phénomène nouveau », dont la mise en œuvre n’est pas sans présenter des difficultés.

Pour Maya Bacache-Beauvallet, directrice de recherche au pôle économique de l’Edhec, « les primes à la performance incitent les fonctionnaires à se concentrer sur les tâches quantifiables ». Le nombre d’arrestations, de reconduites à la frontière, voire le temps d’attente d’un usager lorsqu’il contacte une administration sont autant d’indicateurs mesurables. D’après ses résultats en termes de baisse du chômage, un directeur régional ou départemental d’ANPE peut percevoir entre 350 et 4 700 euros de prime sur l’année. Selon le nombre de contrôles opérés en entreprise, les vérificateurs de Bercy perçoivent une prime de rendement qui peut atteindre 6 000 euros annuels. « Mais, finalement, pour éviter les conflits, les chefs de service distribuent la même somme à chacun, constate Thi-Trinh Lescure, représentante de Solidaires. On est loin de la rémunération au mérite. »

Aux yeux de Maya Bacache-Beauvallet, « on ne saurait importer sans discernement les outils de gestion du privé dans le public. Cela ne veut pas dire que l’égalité nuit à la performance, cela signifie qu’il faut imaginer d’autres outils qui ne soient pas simplement copiés du privé ». Pour l’ensemble de la fonction publique d’État, la part des primes, seule composante variable dans la rémunération, est de 15 % en moyenne aujourd’hui. Reste à savoir jusqu’où elle pourra s’élever et comment elle sera intégrée dans le calcul des retraites. Une forte préoccupation des syndicats de la fonction publique.

N. S.

MOBILITÉ

Des passerelles entre les trois fonctions publiques

Proche de zéro dans l’administration, alors qu’elle est érigée en vertu cardinale dans le secteur privé, la mobilité va faire partie de la GRH de la fonction publique. D’ici à 2012, un ingénieur informatique servant dans l’administration centrale d’un ministère pourra rejoindre un hôpital pour conduire un projet puis exercer ses talents dans l’administration territoriale. Cette gestion par les compétences, le gouvernement en a posé la première pierre avec le projet de loi sur la mobilité et les parcours professionnels, présenté ce mois-ci aux députés. Désormais, les fonctionnaires pourront, s’ils le souhaitent, « changer facilement de métier ou de région », entre les ministères ou entre les trois fonctions publiques. La « première étape de la modernisation de la fonction publique », martèle le ministre de la Fonction publique, Éric Woerth. Une petite révolution, de l’aveu de l’un de ses rédacteurs, qui va secouer les corporatismes, en sapant l’organisation verticale des fonctions publiques actuellement composée de 670 corps et cadres d’emploi, chacun avec ses propres règles. Au point de transformer les administrations en royaume d’Ubu ! « Pour passer d’un service à un autre, même au sein d’un ministère, il faut parfois changer de corps, avec toutes les procédures et la paperasserie afférentes », déplore un ingénieur de la Défense.

Le projet de loi lève ces entraves statutaires. La procédure de détachement est simplifiée. L’agent détaché se verra proposer, après cinq ans, une intégration dans le corps d’arrivée. S’il rejoint son corps d’origine, les avancements obtenus en détachement seront pris en compte… Mieux, il a la garantie que sa rémunération sera maintenue, l’administration d’accueil complétant, le cas échéant, le manque à gagner par une indemnité. « Le projet de loi paraît assez complet. Il reprend beaucoup des recommandations énoncées depuis dix ans dans les rapports sur la fonction publique. Sur le papier, rien ne manque », souligne Nicolas Tenzer, coauteur avec Bernard Cieutat d’un rapport en 2000 sur la stratégie de renouvellement dans les fonctions publiques. Pas de quoi, toutefois, pour cet ancien du Commissariat du Plan, grossir à court terme les bataillons clairsemés de fonctionnaires volontairement mobiles (4,9 % servent hors de leur administration d’origine). La faute au manque d’outils, de formation continue, de pratique, de pilote, susceptibles de les accompagner. « Aucun ministère, hormis celui de la Défense, n’est aujourd’hui capable de construire des parcours individualisés. Et il est actuellement impossible de gérer la mobilité interministérielle, aux niveaux central et déconcentré, alors que c’est la clé de tout. La gestion du personnel continue de se faire sur la base des corps. Changer de logique prendra du temps », explique-t-il. « Pour réussir, la réforme ne doit pas être qu’un processus technique mais générer du sens. Il faut donner de la visibilité aux agents sur leurs missions et leurs carrières. Ce qui n’est pas toujours le cas », renchérit Sylvie Trosa, auteure de la Réforme de l’État : un nouveau management ? (éd. Ellipses).

Premier pas « technique », la création d’un service interministériel, sorte de bourse de l’emploi public, est annoncée pour l’été. Pour avoir plus de visibilité, les fonctionnaires devront patienter. « Le « tableau de correspondance » entre les métiers des fonctions publiques reste à construire », souligne Jean-Ludovic Silicani dans son « Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique », qui prône le passage à une fonction publique de métiers, organisée en sept filières et une cinquantaine de cadres statutaires.

Bien plus que ces difficultés de mise en œuvre de la « mobilité volontaire », c’est la seconde partie du projet de loi qui inquiète les syndicats, quasi unanimes à dénoncer la création d’un cadre de « mobilité forcée ». Au moment où la RGPP initie d’importantes réorganisations, la FSU qualifie le projet de loi de « plan social », et a exigé son retrait. Particulièrement visé, l’article sur la réorientation professionnelle selon lequel l’agent refusant successivement trois postes sera « mis en disponibilité d’office » (sans salaire) ou à la retraite ! Du jamais-vu ! À la différence des salariés du secteur privé, les fonctionnaires concernés par des réorganisations étaient jusqu’alors assurés de rester dans le giron administratif… « Le texte transforme le droit de la fonction publique. La garantie de l’emploi reste, certes, juridiquement assurée. Dans les faits, tout dépendra de la manière dont les agents seront accompagnés, ou pas, dans leur reconversion. Pour l’instant, l’État n’a pas les outils ni les moyens de cette politique, hormis dans les grands corps déjà surprotégés. Les agents peuvent être incités à quitter l’administration », note Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS Cevipof. Le cabinet d’Éric Woerth célèbre, lui, la naissance d’un « droit à l’accompagnement personnalisé », créant, pour les administrations, de nouvelles obligations en matière de formation et de recherche d’emplois. Reste à en faire une réalité.

A. F.

Le “pécule” évoqué par Nicolas Sarkozy pour quitter la fonction publique s’est mué en “prime de départ volontaire”
PLANS DE DÉPARTS

Des chèques pour rejoindre le privé

Jusqu’à deux ans de salaire pour les fonctionnaires quittant la fonction publique ! Le « pécule » évoqué par Nicolas Sarkozy en septembre 2007 s’est transformé en une substantielle « prime de départ volontaire » dans le projet de loi sur la mobilité. « Plus qu’inciter à la mobilité, il s’agit clairement de réduire les effectifs. C’est l’ouverture d’un plan de départs volontaires qui ne dit pas son nom », déplore un haut fonctionnaire. Une méthode directement inspirée du secteur privé, où ce substitut aux plans sociaux a le vent en poupe… et du Canada, qui y a recouru entre 1993 et 1997, lorsque l’État fédéral a supprimé 9 ministères sur 32 et éliminé 60 000 postes sur 350 000. Dans les rangs de la majorité, elle est perçue comme un complément à la politique de non-remplacement des départs à la retraite (un sur trois dès 2009, notamment à l’Éducation, la Défense, le Budget) jugée insuffisante pour réduire la voilure de l’État.

De quoi inciter massivement les agents à poursuivre une « seconde carrière » hors de la fonction publique ? Rien n’est moins sûr pour Nicolas Tenzer, qui craint une saignée parmi les plus gradés. « Ce dispositif intéressera les fonctionnaires qui ont des compétences monnayables. » Le paradoxe étant qu’ils sont déjà, pour la plupart, mobiles. Comme le montre le dernier rapport de la Commission de déontologie de la fonction publique de l’État, qui recense les départs définitifs ou temporaires de l’administration : sur les 1 189 agents ayant fait le saut en 2006 (sur un total de 2,5 millions !), 42 % étaient des fonctionnaires de catégorie A. « Dans un contexte de chômage toujours élevé, les autres ne vont pas tenter l’aventure, surtout à 50 ans et plus. Leurs compétences valent peu dans le secteur privé. Il faudrait des systèmes d’accompagnement, que l’État ne va pas financer dans le contexte actuel », reprend cet ancien du Commissariat du Plan. Le gouvernement est plus optimiste. Selon une enquête Ipsos menée pour l’Observatoire de la fonction publique, 3 % des agents envisagent sérieusement de quitter l’administration dans les deux ans à venir. L’équivalent de 75 000 agents rien que dans le périmètre de la fonction publique d’État…

Difficile de tirer des enseignements des politiques de « pécule » précédemment mises en œuvre dans le cadre de restructurations. Le ministère de la Défense, qui y a recouru entre 1997 et 2002, a enregistré 13 000 militaires candidats au départ, contre de l’argent et une formation. Avec un coût certain : 600 millions d’euros. « For Mob », le plan qui a accompagné les réorganisations suivantes, était encore plus généreux, avec des indemnités de départ volontaire de 18 000 à 91 500 euros selon l’ancienneté ! « Les candidats au départ sont restés malgré tout peu nombreux », note Jean-Jacques Manach, secrétaire général de la FEAE CFDT à la Défense.

Même constat au Minefi, qui a proposé des primes de départ volontaire lors de l’externalisation de services. Comme celui du contrôle technique des poids lourds. Sur les 550 experts techniques dont le métier a disparu, seule une vingtaine se sont laissé tenter par la prime de 45 000 euros et ont quitté la fonction publique. « Rejoindre le privé, lorsqu’on est fonctionnaire, c’est le grand saut », souligne le SUI Minefi, syndicat majoritaire. Il peut désormais être tenté par tous : la prime de départ volontaire est ouverte à tous les services touchés par une réorganisation, et non plus seulement aux agents des ministères « riches ».

A. F.

700 000 candidats se présentent chaque année aux concours de la fonction publique d’État.

(Direction de l’administration et de la fonction publique) Un seul système de paie d’ici à 2011

Un seul système de paie d’ici à 2011

Pas facile de mettre en place un outil informatique commun quand on a 2,5 millions de bulletins de paie à éditer chaque mois et près de 200 règles à respecter ! Pour autant, avec la création, en mai 2007, d’un « opérateur national de paie », service à compétence nationale dont la direction a été confiée à Sophie Mahieux, ex-directrice du Budget, les pouvoirs publics ont décidé de relever ce défi… d’ici à 2011. Alors que la paie des agents de l’État est aujourd’hui déconcentrée au niveau des trésoreries régionales, sur la base des indications fournies par les ministères concernés, ce projet a pour objectif de mettre en place un super « calculateur commun » à tout le monde. Une mutualisation qui, selon ses promoteurs, permettrait d’économiser près de 3 800 emplois dans la fonction paie à l’horizon 2014.

Dans cette perspective, une procédure dite de « dialogue compétitif », autrement dit un appel d’offres, a été lancée, laquelle pourrait aboutir « d’ici à la fin de l’année ». L’une des principales difficultés à résoudre concerne toutefois la compatibilité de ce futur calculateur avec la trentaine de systèmes d’information RH (SIRH) existants, développés jusque-là dans les ministères de façon dispersée, à partir de plates-formes et d’applications multiples. Pour tenter de mettre un peu d’ordre dans ces développements anarchiques, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) édite, certes, depuis 2005 des « référentiels communs » visant à les rendre davantage « interopérables ». Autre contrainte forte, l’adaptation de ces SIRH, originellement bâtis pour gérer des salariés de droit privé, aux règles statutaires en vigueur dans la fonction publique. Apanage le plus souvent de gros cabinets intégrateurs, comme Accenture, cette mission vise non seulement à prendre en compte les spécificités de ces règles, telles que la gestion complexe des avancements des agents et les multiples validations hiérarchiques qu’engendrent les promotions, par exemple, mais aussi à permettre la publication des actes qui sanctionnent la moindre évolution statutaire. Ultime contrainte, la mise à jour des évolutions de ces règles dans les progiciels. À cet égard, la DGAFP s’est fixé comme objectif d’« accélérer cette mise en musique afin que les SIRH collent de plus en plus près à la réalité du droit ». Un chantier qui suppose que les informaticiens et les juristes établissent des passerelles entre eux…

Valérie Devillechabrolle

13 % C’est la part des dépenses de personnel de la fonction publique dans le PIB.

(Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique)

4,9 % des fonctionnaires servent hors de leur administration d’origine.

(Rapport annuel de la fonction publique 2006-2007)

3 % des agents envisagent de quitter l’administration dans les deux ans à venir.

(Enquête Ipsos pour l’Observatoire de la fonction publique)

Vers un service unique de gestion des pensions

Un pas de plus vers la création d’une véritable caisse centrale de retraite des fonctionnaires ? Éric Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, a confié au printemps à François Mongin, inspecteur général des finances, une mission pour réfléchir d’ici à la mi-juin à une optimisation de la chaîne de paiement des pensions des agents de l’État. Cette mission intervient après que la Cour des comptes et un rapport de la commission des finances du Sénat ont mis en évidence, en 2007, le caractère « encore inabouti » de la réforme engagée en 2006 avec la création d’un compte d’affectation spéciale destiné à recevoir les quelque 48 milliards d’euros consacrés en 2007 au financement de ces pensions. Alors que ce processus administratif est encore éclaté entre les ministères employeurs, le service des pensions chargé de la liquidation et les centres régionaux de la Comptabilité publique, responsables du paiement, les deux rapports de la Cour des comptes et de la commission des finances du Sénat estimaient en effet nécessaire de « décloisonner » ces maillons pour les regrouper dans un « service à compétence nationale » à vocation interministérielle, capable d’en assurer le pilotage stratégique. Une mutation qui permettrait au passage, selon les sénateurs Thierry Foucaud et Bertrand Auban, auteurs de ce rapport, de supprimer 1 200 des 3 000 emplois dévolus à cette tâche. Autre innovation de taille proposée par ces rapporteurs, la création d’un véritable système d’information centralisé qui abriterait les nouveaux « comptes individuels de retraite » visant à reconstituer l’historique des rémunérations des agents servant de base de calcul à ces pensions. Reste maintenant à savoir si le gouvernement Fillon va profiter du « rendez-vous retraite 2008 » pour accélérer une réforme qui, selon certains syndicats, contribuerait à rompre le lien aujourd’hui inaliénable unissant l’agent à son employeur jusqu’à la mort.

Valérie Devillechabrolle

Auteur

  • Anne Fairise, Nadia Salem