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“Les partenaires sociaux sont enfin capables de s’entendre sur la flexicurité”

Actu | Entretien | publié le : 01.06.2008 | Nadia Salem, Fanny Guinochet

Mettant en regard l’accord sur la modernisation du marché du travail et les systèmes de nos voisins, cet économiste d’origine autrichienne décèle la fin d’une exception française.

Trouvez-vous l’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail innovant ?

C’est surtout la démarche globale pour négocier cet accord qui est nouvelle. Elle reflète une ouverture d’esprit. Il y a dix ans, les partenaires sociaux se seraient opposés sur la flexibilité. Ils sont enfin capables de s’entendre sur la flexicurité. Garantir les parcours est au cœur des discussions. Sur le fond, la portabilité des droits des salariés en matière de prévoyance santé est une idée innovante. Même la rupture à l’amiable, qui, a priori, apparaît comme une flexibilité sur le marché du travail, prévoit des contreparties : le salarié peut avoir recours à un tiers, être assisté. Il dispose d’un délai de réflexion de quinze jours pour revenir sur sa décision. C’est une sécurité. Le plus curieux, c’est que la possibilité de rupture à l’amiable n’existait pas en France. L’Allemagne l’avait prévue depuis longtemps. Le problème en France est la grande méfiance préalable à tout échange entre partenaires sociaux. Si le modèle danois fonctionne aussi bien, c’est parce qu’il est fondé sur une confiance réciproque. C’est pourquoi ce modèle n’est pas transposable tel quel dans l’Hexagone. Il faudra en passer par une série d’accords, à l’instar de celui sur la modernisation du marché du travail, pour modifier les comportements.

Que pensez-vous du « contrat à objet précis » que prévoit l’accord ?

Le marché du travail n’est pas uniquement déterminé par les employeurs. Prenez le contrat nouvelles embauches : les départs à l’initiative des salariés ont été plus nombreux que les licenciements des employeurs. Pour le nouveau contrat à objet précis, tout dépendra du nombre de salariés intéressés et de leur profil, et pas seulement des offres de l’employeur. Il est incroyable que, parmi la multitude de contrats de travail existants en France, aucun ne réponde à ce besoin. En Allemagne, le programme de coalition de 2005 comprenait un contrat unique dont la période de consolidation pouvait aller jusqu’à deux ans. Mais cela n’a convaincu ni les employeurs ni les syndicats : c’est très attrayant sur le papier mais une solution unique ne peut s’adapter aux différentes situations d’embauche. Le contrat unique a, par définition, quelque chose de totalitaire.

En France, le gouvernement Fillon veut renforcer les obligations des chômeurs. N’est-ce pas la fin d’une exception française ?

En Allemagne, après six mois, un demandeur d’emploi doit accepter l’offre qui lui est faite. Même esprit en Grande-Bretagne… Tous les pays d’Europe qui ont connu une hausse du chômage ont mis en place des politiques d’activation pour favoriser l’activité plutôt que l’assistanat. Derrière, il y a toujours l’idée que le chômage est volontaire. En réalité, cette catégorie de chômeurs profiteurs est faible. Partout, il y a obligation pour le demandeur d’emploi d’accepter le travail qu’on lui propose au terme d’une période de chômage. Mais il faut aussi pouvoir mettre à sa disposition un travail ou une formation. Or ce n’est pas toujours possible. En réalité, le modèle de flexibilité que la plupart des pays européens ont en tête se calque sur le marché du travail américain. Les Américains peuvent accepter un job loin de chez eux car ils disposaient – jusqu’à la crise récente – d’un marché immobilier très souple. Ce n’est pas le cas en France ni en Allemagne. Et, au Danemark, les services de l’emploi sont exigeants mais, en contrepartie, ils accompagnent presque individuellement les chômeurs et leur proposent des travaux d’intérêt collectif ou une formation qui les maintient dans l’activité. De fait, de nombreux chômeurs finissent par quitter le système. En France, l’accompagnement individuel est balbutiant. Pour le coup, il faudrait être innovant et imaginer par exemple que les seniors et les licenciés hautement qualifiés mettent leurs compétences au service d’autres chômeurs…

Comment augmenter le taux d’emploi des seniors en France ?

Ce faible taux d’emploi s’explique surtout par les préretraites qui, il y a encore cinq à dix ans, étaient la solution. Dans les faits, les entreprises continuent à privilégier les préretraites aux licenciements secs, et tant pis si cela leur coûte cher ! Nouveauté, cependant : l’État ne veut plus payer pour les ajustements des entreprises. Il faudrait, pour les seniors, trouver, là aussi, une forme de flexicurité : travailler à mi-temps en fin de carrière… Cela exige des entreprises qu’elles soient plus imaginatives. Il faut aussi admettre que les salariés âgés, lorsqu’on leur pose la question, n’aspirent pas à travailler davantage. C’est une dominante partout en Europe.

PETER AUER

Chef de l’unité recherches et analyses sur l’emploi au département de l’analyse économique et des marchés du travail du BIT*.

PARCOURS

Après des études d’économie et de sciences politiques à Paris, Vienne et Brême, il a notamment été chercheur associé au centre de recherche en sciences sociales de Berlin (WZB).

PUBLICATION RÉCENTE

L’Introuvable Sécurité de l’emploi (Flammarion 2007) avec Bernard Gazier.

* Ces propos n’engagent que leur auteur.

Auteur

  • Nadia Salem, Fanny Guinochet

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