Et de deux ! À peine trois mois après avoir conclu un accord interprofessionnel jetant les bases d’une flexicurité à la française, patronat et syndicats ont réussi à s’entendre sur une position commune qui révolutionne les modalités de la représentativité syndicale et les règles de validation des accords collectifs. La France serait-elle en train de tourner la page de l’omniprésence étatique dans la régulation du social ? Il est évidemment trop tôt pour le dire, mais l’adoption de ces deux textes paritaires, de surcroît sur des sujets aussi cardinaux, est de bon augure.
Ne nous y trompons pas. C’est un véritable aggiornamento du droit syndical et de la négociation collective qu’entend mettre en œuvre la position commune. La mise hors jeu de Denis Gautier-Sauvagnac, prosélyte du statu quo, aura été déterminante. Exit, d’abord, le Yalta syndical de 1966, autrement dit la représentativité automatique accordée au « club des cinq » et à eux seuls, et leur monopole de présentation au premier tour des élections dans l’entreprise. Le jeu sera ouvert puisque tous les syndicats légalement constitués pourront entrer en lice dès le premier tour de scrutin. Et CGT, CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC devront apporter la preuve de leur représentativité à tous les niveaux : entreprise, branche, interprofession.
Les critères classiques de la représentativité syndicale (effectifs, indépendance, cotisations, expérience et ancienneté) ne seront pas remis en cause, mais le nouveau critère qu’est l’audience électorale sera à l’avenir prépondérant. Bien que modestes, les seuils prévus (10 % des suffrages exprimés dans l’entreprise ; 8 % dans la branche et l’interprofession) devraient contribuer à réduire l’éparpillement syndical.
S’agissant des accords collectifs, un pas de plus est effectué dans la logique majoritaire introduite par la loi du 4 mai 2004 : quel que soit son niveau, un accord sera valide dès lors que les syndicats signataires pèseront au moins 30 % des suffrages et qu’il ne sera pas frappé d’opposition par des syndicats majoritaires. La solution est ingénieuse : plus satisfaisante que le compromis mi-chèvre, mi-chou de la loi Fillon, elle limite néanmoins les risques de blocage.
Le non-dit de cette réforme, son objectif implicite, est de provoquer une recomposition du paysage syndical, aujourd’hui émietté, la légitimation des syndicats par la voie élective et la logique majoritaire des accords conduisant, à terme – espèrent ses promoteurs –, les syndicats à se regrouper (les premières manœuvres ont d’ailleurs commencé avec le pas de deux entre l’Unsa et la CFE-CGC).
FO, la CFE-CGC et la CFTC ne s’y sont pas trompées, en refusant de ratifier le texte malgré les quelques concessions qui leur ont été lâchées. En dépit de l’hostilité de ces syndicats, il est essentiel que ces propositions ne restent pas lettre morte. Car il ne faut pas se voiler la face : notre système de pluralisme syndical est à bout de souffle.