Avocats, profs ou migrants, ces citoyens chinois se sont engagés dans un combat pour l’éducation, le droit ou la démocratie… Leur conviction et leur courage sont à la mesure des montagnes qu’ils ont à déplacer.
Ils sont encore rares à jouer les mouches du Dragon. Difficile de parler de société civile, mais des individus et des groupes plus ou moins organisés essaient de faire évoluer les conditions de travail, les droits sociaux, l’éducation ou l’environnement en Chine.
Au grand jour ou clandestinement, ils œuvrent dans une zone grise que Pékin laisse se développer dans certaines limites. Beaucoup d’activistes sont universitaires, journalistes, avocats ou écrivains, mais cette mouvance déborde le cercle intellectuel, notamment grâce à Internet. La Toile, même censurée, fédère les initiatives individuelles et façonne une caisse de résonance nationale et internationale. Quand leurs actions rencontrent les intérêts de Pékin, ils sont propulsés au rang de symboles. Le Parti communiste chinois aime les idoles populaires même si elles ne sont jamais à l’abri d’un retournement de tendance. L’article 105 du code pénal permet de faire enfermer les électrons trop libres pour « subversion de l’État ». Portraits de quelques personnalités engagées qui rêvent de changer la Chine.
À Pékin, ils seraient 400 000 enfants de migrants en âge scolaire qui, parce qu’ils possèdent un hukou rural, sont refoulés des écoles classiques. La scolarité gratuite et obligatoire durant neuf années ne les concerne pas. Des écoles privées tentent donc d’éduquer ces enfants les plus défavorisés.
Aux murs, le portrait de deux petits vieux, des donateurs américains, fait face à une photo du Premier ministre Wen Jiabao au milieu des enfants de l’école. Tout est dit, l’État salue l’initiative mais se désengage financièrement de ces écoles pour migrants. L’école Xinzhi fonctionne grâce aux frais de scolarité (40 euros par élève et par semestre) et au système D. Le bus de ramassage scolaire, par exemple, est payé par un fabricant d’huile bien connu en Chine.
Le directeur, Li Benyao, fume cigarette sur cigarette et maîtrise parfaitement la rhétorique communiste. Pourtant, la sortie de la clandestinité et la reconnaissance de Pékin en 2003 n’a pas changé grand-chose. L’école a déménagé 10 fois en treize ans, repoussée toujours plus en périphérie par le développement de la ville. Li Benyao et son épouse, Li Sumei, sont eux-mêmes des migrants. Ils ont quitté leur village du Henan en 1993. Comme Li Sumei était institutrice, on lui a confié des enfants à garder. Au fur et à mesure, elle a gardé de plus en plus d’enfants et s’est installée dans un petit hangar… Xinzhi compte aujourd’hui près de 1 000 élèves et 50 salariés. Cette école poussiéreuse, dont certaines classes sont installées dans des préfabriqués ouverts aux quatre vents, est l’une des plus fameuses et des plus importantes écoles de migrants de Pékin.
Lauréat du prix des Droits de l’homme de la République française, il est l’un des « avocats aux pieds nus » qui militent pour le mouvement Défense des droits (weiquan yundong). Sa notoriété en Chine et à l’étranger ne le protège pas.
Teng Biao a été kidnappé, cagoulé et retenu de force dans un endroit inconnu pendant quarante heures par des hommes qui se présentaient comme des policiers de Pékin le 6 mars dernier. Il aurait pu se reposer sur ses lauriers obtenus en 2003. À l’époque, il s’était emparé d’une bavure – la police de Canton avait battu à mort un jeune graphiste, Sun Zhigang, qu’elle avait pris pour un migrant – et avait lancé une pétition qui a abouti à la fermeture des centres de détention pour migrants et à la création d’un bureau de révision de la Constitution. Seulement, l’avocat a continué sur sa lancée. « C’est ma responsabilité d’intellectuel et mon devoir d’être humain de continuer. Si je baissais les bras, mon âme serait corrompue. » Ainsi parle Teng Biao. Il s’oppose à la peine de mort, comprend les Tibétains. Le jeune homme de 35 ans est pour le moins à contre-courant.
Teng Biao partage son temps entre l’Open Constitution Initiative (OCI), un centre de recherche qui veut faire avancer l’État de droit en Chine « cas après cas » en analysant la jurisprudence, et son travail de défenseur des indéfendables. Il était par exemple l’un des avocats de Chen Guangcheng, un avocat autodidacte, aveugle, qui s’est opposé aux stérilisations forcées dans le Shandong. Il défend aujourd’hui quatre jeunes hommes de Chengde condamnés à mort sans preuve pour viol et meurtre.
Les risques sont importants, comme le rappelle son « agression » du 6 mars, et Teng Biao joue l’équilibriste entre ce qu’il peut publier dans les revues universitaires, les journaux grand public et sur Internet. Ce père d’une fillette de 2 ans a peur, mais son sacerdoce est de nourrir d’idées une société civile qui n’existe pas encore.
Les travailleurs migrants sont 200 millions. Ce sont eux qui font tourner l’usine du monde et ils se trouvent souvent immigrés clandestins dans leur propre pays, pauvres, peu formés, exploités faute de posséder le bon hukou, le passeport intérieur. Un professeur de Shenzhen a choisi de leur apprendre à se défendre.
En visite dans un atelier du Jiangsu la veille de notre rencontre, Liu Kaiming persuadait une jeune couturière de 15 ans de retourner à l’école. D’ici à ses 16 ans, âge légal du travail en Chine, il fera pression sur l’usine qui l’emploie pour que cette dernière paie son logement, ses frais de scolarité et s’engage à la réembaucher si elle le souhaite.
Ce petit homme volubile dédie sa vie aux travailleurs migrants. Il a créé l’Institut d’observation contemporaine (IOC) à Shenzhen en 2002. Côté pile, un cabinet de consultants payés par des clients internationaux comme Burberry, Fuji Xerox ou Nike pour accroître la productivité de leurs sous-traitants chinois et les mettre en conformité avec la loi. Côté face, un centre d’aide aux migrants avec une hot line juridique et un espace où les travailleurs peuvent exposer leurs problèmes et s’informer gratuitement. La méthode de Liu Kaiming est simple : il fait pression sur les patrons via les donneurs d’ordres étrangers pour améliorer les conditions de travail des migrants dans les usines chinoises.
Lui-même issu d’une famille de paysans, Liu Kaiming a eu « la chance incroyable » de faire des études, qu’il a poussées jusqu’au doctorat. En 1989, il est emprisonné durant neuf mois alors qu’il relaie la contestation de Tian’ anmen dans son université du Shandong. Relâché, il fera sa thèse sur la naissance de la démocratie à Taïwan ! Il devient ensuite journaliste à Shenzhen. À la suite d’un reportage qui dérange sur un travailleur migrant, sa hiérarchie tente de lui imposer une ligne plus douce. Il claque la porte et crée sa propre structure parce qu’il n’a « pas besoin d’argent, ni d’une belle situation, uniquement d’apporter de l’espoir ».
Justement, quel espoir pour les migrants en Chine ? Selon Liu Kaiming, la situation s’améliore. Le sujet est largement débattu, y compris dans la presse officielle, mais la véritable solution viendra de l’abolition du hukou. L’optimiste y croit à l’horizon 2013.
Professeur de littérature connu pour son engagement antijaponais, fils de fonctionnaires du gouvernement de Nankin, il pourrait n’être qu’un universitaire réputé. Guo Quan a choisi de se battre pour le multipartisme.
« Depuis l’ère Internet, l’obscurantisme politique n’a plus les effets désirés sur les internautes citoyens. » Le préambule du nouveau parti des internautes chinois est limpide. En 2007, les internautes chinois ont révélé plusieurs scandales obligeant parfois le gouvernement à se dédire. Guo Quan, l’homme à l’origine de cette déclaration – et qui la signe de son nom –, voit plus loin que le développement d’un journalisme libre. Il a créé le Nouveau Parti démocratique chinois (NPDC) en 2002 et milite pour le multipartisme en Chine. « Internet est un formidable outil d’information, il nous sert aussi à faire connaître le NPDC et pourquoi pas à recruter des militants », explique celui qui poursuit néanmoins Yahoo devant la justice américaine, accusant le moteur de recherche de censurer les résultats contenant son nom. Guo Quan est interdit de chaire depuis février dernier. En mars, la police a réquisitionné son ordinateur et son disque dur pour la cinquième fois, mais ce chrétien convaincu assure ne rien craindre parce qu’il représente « environ 10 millions de militants », parce qu’il dit la « vérité » et que, s’il est tué, la postérité de son mouvement sera assurée pour des générations.
Depuis le printemps, une mousse verte issue d’une réaction bactérienne à la pollution tue toute forme de vie dans le lac Taihu. Un natif a voulu avertir les autorités, à ses dépens. Voilà plus d’un an que Wu Lihong est en prison. Cet activiste s’est battu une décennie contre les pollueurs du lac Taihu qui s’étend au beau milieu de la zone industrielle du Jiangsu. À Yixing, les usines chimiques déversent directement leurs déchets dans le lac. Wu Lihong commence son combat en 1998 quand les autorités annoncent une campagne zéro pollution. Il aide les journalistes, prend des photos, fait témoigner les paysans. La population locale le soutient. En 2005, cet employé est récompensé par la fondation Ford et par le Congrès du peuple. Mais les fonctionnaires locaux, qui ont des intérêts dans les usines, camouflent bientôt le scandale et Yixing est désignée « ville modèle » dans sa gestion environnementale. Ulcéré, Wu Lihong entreprend de poursuivre en justice la Sepa, l’agence de protection de l’environnement, sans succès. À présent, la presse officielle condamne son ancien héros devenu « écologiste brigand », selon le titre du Xin Jin Bao, qui l’accuse d’avoir fait chanter des entreprises qu’il menaçait de dénoncer. Selon sa femme, il a été emprisonné pour une affaire montée de commission sur la vente d’équipement industriel.