Le taux de remplacement a baissé de près de dix points pour un salarié du privé appartenant à la génération 1955 (55,5 %) par rapport à un retraité né en 1938 (64,1 %) et parti à la retraite juste avant la réforme d’août 2003. Alors que la situation financière des régimes par répartition exige un nouveau de tour de vis, comment stopper cette tendance ? Les réponses de trois experts de la protection sociale.
Le taux de remplacement, exprimé en pourcentage du dernier revenu professionnel, est un mauvais critère : implicitement, on suppose que le revenu va toujours croissant jusqu’à la retraite, ce qui est de moins en moins vrai. Reste la vraie question : le niveau de vie des retraités en proportion de celui des actifs. Une croyance domine : ce serait à l’État de faire le nécessaire pour « sauver nos retraites ». Ce préjugé coûte très cher aux actifs : il débouche sur une augmentation sans fin des prélèvements obligatoires. Nous devons au contraire plafonner la proportion du revenu d’activité transférée aux retraités par quelque canal public que ce soit, de façon à établir un véritable pacte intergénérationnel. Et mettre chacun face à ses responsabilités : travailler plus pour avoir une pension mensuelle plus élevée, ou arbitrer en faveur de davantage de loisirs. Seul un régime à cotisations définies, par points (ou comptes notionnels), avec neutralité actuarielle et possibilité de liquidation partielle et réversible, permet un tel arbitrage, dans la clarté : une vraie réforme des retraites doit être mise à l’étude, au lieu de perdre du temps en rafistolages inefficaces comme la loi de 2003 ou la réformette spectacle des régimes spéciaux. En refusant de seulement faire étudier les solutions innovantes, les gouvernements successifs commettent une faute lourde.
On objectera qu’il n’y a pas de travail pour les seniors. Cela va devenir de moins en moins vrai : la récente enquête Unedic/Credoc montre des intentions d’embauche au plus haut et une grande difficulté à pourvoir les postes. Il faut faire sauter quelques verrous qui bloquent le travail des seniors, et la force des choses amènera les mentalités à évoluer, que ce soit du côté des employeurs ou de celui des salariés.
L’insuffisance de formation continue, la notion obsolète d’âge légal ou normal de la retraite, la réglementation malthusienne du cumul emploi-retraite font partie des obstacles à supprimer. Dès que chacun comprendra qu’il est responsable de sa propre retraite, que son bien-être dépend de lui bien plus que d’un État providence, les perspectives changeront radicalement. Et qu’on ne dise pas que ce serait au détriment des plus faibles et des malchanceux : les cotisations à la retraite doivent faire partie de l’assurance chômage, de même qu’un bon filet de solidarité, comme il en existe en Suède, le pays dont nous devrions le plus nous inspirer.
En basant le calcul de la pension sur les vingt-cinq et non plus les dix meilleures années, la réforme de 2003 a fait chuter le rendement des retraites pour les salariés du secteur privé, sans que l’on puisse dire précisément de combien. Les réformes françaises ne donnent aucune autre garantie que minimale pour les taux de remplacement à l’avenir. À la différence de la Suède qui informe, chaque année, les actifs de l’évolution de leur pension future, la France se contente de les inciter à épargner en tenant un discours anxiogène sur la crise du système par répartition. Pour remédier à la dégradation des taux de remplacement, la première urgence est de stimuler la croissance économique. La Suède ou les Pays-Bas ont retrouvé des taux de croissance supérieurs à 3 % en investissant massivement dans les activités à forte valeur ajoutée afin de favoriser la création d’emplois de qualité. À ce titre, les 14 milliards d’euros consacrés au paquet fiscal sont une erreur.
La deuxième piste est de revoir le déroulement des carrières. La Finlande, qui avait un faible taux d’emploi dans la tranche des 60-64 ans, est parvenue, en moins de dix ans, à allonger la durée d’activité de un an et demi en valorisant les seniors par des campagnes de communication institutionnelle et en stigmatisant les employeurs qui ne conservaient pas leurs salariés « âgés ». Favoriser l’allongement des carrières, c’est aussi développer la formation continue. Après 45 ans, les salariés ne sont plus bénéficiaires ni demandeurs de formation. Or il leur reste encore quinze ans de carrière, si ce n’est davantage, avec l’allongement de la durée de cotisation pour prétendre à une retraite à taux plein. La formation professionnelle est d’autant plus impérative que les évolutions technologiques sont très rapides.
Enfin, il convient de s’interroger sur le fait que les Français ont le sentiment de travailler de plus en plus dur. Or, paradoxalement, nous sommes l’un des pays développés où le nombre d’heures travaillées par an est le plus bas. Mais aussi celui où la productivité horaire est l’une des plus élevées. Pour faire passer la pilule de l’allongement de la durée des carrières, il faudra donc proposer un deal aux salariés : travailler plus longtemps, mais dans de meilleures conditions. L’amélioration du niveau des pensions appelle, en clair, une nouvelle stratégie économique qui va bien au-delà de l’aspect purement comptable de l’allongement de la durée d’activité à quarante et un ans.
La réforme de 1993 a parfois été perçue comme la réforme miracle qui avait permis de briser le « triangle » des retraites. Elle allait nous dispenser de hausses de cotisation en n’ayant pratiquement pas touché ni au taux de remplacement ni à l’âge de la retraite. Ce n’est pas le cas. Cette réforme affecte fortement le taux de remplacement, à travers des mécanismes complexes mais dont les effets commencent à se manifester : passage à un calcul fondé sur les vingt-cinq meilleures années de carrière, revalorisation moins généreuse des salaires passés pour le calcul de la pension. Les évolutions des régimes complémentaires sont allées dans le même sens.
Peut-on enrayer cette chute ? On rappellera d’abord que la réforme de 2003 a évité d’aller plus loin dans cette direction, en poussant plutôt au report de l’âge de cessation d’activité. Elle a aussi donné des instruments pour contrer la baisse du taux de remplacement avec, à la fois, le mécanisme de la surcote et de plus grandes facilités d’accès à l’épargne retraite.
La première chose à faire est d’essayer d’arriver à ce que ces mécanismes fonctionnent. S’agissant de la surcote, il faut, simultanément, que les salariés s’approprient le système et que leurs employeurs leur donnent bien la possibilité d’y recourir : vaste sujet.
Faut-il aller plus loin ? Restaurer des taux de remplacement équivalents à ceux d’avant la réforme serait coûteux. On serait ramené au troisième côté du triangle des retraites, la nécessité de revoir les taux de cotisation à la hausse. Des marges de manœuvre existent peut-être sur ces prélèvements, mais où doivent-elles aller en priorité. Quid des autres dépenses sociales ? Et quid de la politique de revalorisation des retraites ? Se focaliser sur le taux de remplacement, c’est s’intéresser avant tout au niveau de la première pension. Après quoi se pose toute la question de l’évolution de cette pension au fil du temps. Vaut-il mieux des droits initiaux modérés mais bien indexés, ou des droits initiaux élevés mais qui décrochent ensuite fortement avec le temps en pourcentage du niveau de vie moyen des actifs ?
Ce dernier débat n’a jamais été tranché. Il gagnerait sans doute en lisibilité si, plutôt que de gérer le système à l’aide de paramètres techniques aux effets indirects et complexes, on se fixait directement des cibles de taux de remplacement et de niveau de vie relatif des retraités. Malheureusement, le système français n’est pas conçu pour être piloté de cette façon.