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Un mariage lourd de conséquences

Dossier | publié le : 01.05.2008 |

La fusion ANPE-Unedic rebat les cartes pour leurs partenaires. L’Afpa craint d’être démantelée. Les associations d’accompagnement et les entreprises d’intérim sont poussées à redessiner leurs alliances. Mais les unes jouent leur survie, les autres leur développement sur un marché juteux.

L’Apec affiche une sérénité de façade

Passé les premières annonces et les inquiétudes qu’elles ont pu susciter, la sérénité est de mise à l’Agence pour l’emploi des cadres (Apec). Officiellement, la fusion ANPE-Unedic ne devrait pas « bouleversifier » la donne pour l’agence. Officieusement, un « lobbying forcené » du conseil d’administration et des syndicats a lieu pour assurer les arrières de cet organisme paritaire dans le collimateur de Bercy en quête d’économies et d’efficacité. Selon son président, Gabriel Artero (voir ci-contre), « on s’est posé des questions, on ne s’en pose plus ».

En interne, pourtant, le discours est moins catégorique. Notamment sur le partenariat entre l’ANPE et les opérateurs privés, dont l’Apec fait partie, pour le placement des chômeurs. « Les résultats du placement dans le cadre du projet personnalisé d’accès à l’emploi ne sont pas très bons. On n’est même pas sûr que le budget sera renouvelé », assure un consultant de l’Apec. Ce qui constitue néanmoins une confortable manne. Selon le parcours des personnes accompagnées, l’Apec perçoit de l’ANPE entre 560 et 590 euros par demandeur d’emploi. L’opération n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, l’ANPE confie à l’Apec l’accueil et l’accompagnement d’une partie des cadres et des jeunes diplômés. Après leur inscription à l’Assedic et un premier entretien professionnel à l’ANPE, ils sont accompagnés par un consultant référent à l’Apec jusqu’au jour où ils retrouvent un emploi. Via l’ANPE, l’Unedic finance annuellement le suivi par l’Apec de 27 000 demandeurs d’emploi relevant du régime d’assurance chômage, l’Apec prenant à sa charge le coût de l’accompagnement des 10 % de cadres demandeurs d’emploi non indemnisés.

Des séminaires régionaux devaient évaluer le dispositif et définir de nouvelles orientations mais Bercy reste très discret sur les conclusions de ces évaluations. Dans son rapport public, la Cour des comptes avait en revanche pointé en janvier dernier les limites de l’exercice et ses ratés : affectations inopportunes et irrégulières des demandeurs d’emploi créant des périodes de surcharge pour les consultants de l’Apec recevant les cadres, nuisant à la qualité du service rendu ; délais trop longs entre l’inscription, le premier entretien à l’ANPE et l’affectation à l’Apec ; absence de supériorité avérée de l’Apec dans le placement des cadres… Dans le nouvel accord de cotraitance passé entre l’ANPE et l’Apec pour la période 2006-2008, l’ANPE s’est engagée notamment à adresser le cadre sans emploi à l’Apec dans les cinq jours suivants son inscription. Sur le modèle de l’expérience menée en Poitou-Charentes en 2007 où les cadres en recherche d’emploi sont dirigés vers l’Apec dès leur inscription à l’Assedic, Laurent Mahieu, secrétaire national de la CFDT Cadres et administrateur Apec, plaide pour une intervention encore plus précoce de l’agence. « Plus le conseil arrive tôt, plus il permet de faire fructifier cette étape pour rebondir », estime le syndicaliste qui se dit attaché au modèle économique de l’Apec et à sa gouvernance paritaire. Des propos qui font écho à ceux de Gabriel Artero. Le président de l’Apec préconise notamment l’affectation des cadres dès la période de préavis, avant leur licenciement, « pour mettre à profit ce laps de temps » et « éviter le passage par la case ANPE ». Une idée qui mériterait, selon lui, d’être débattue avec les partenaires sociaux dans le cadre, par exemple, de la discussion sur la sécurisation des parcours professionnels.

L’Afpa redoute d’être démantelée

Les syndicats de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes sont vent debout. Le 26 mars dernier, le comité central d’entreprise a ni plus ni moins déclenché un droit d’alerte quant aux dangers qui pèsent sur l’association. L’une des raisons de leur courroux : l’éventuel transfert des services d’orientation, donc des 800 psychologues du travail de l’organisme, au nouvel opérateur né de la fusion de l’ANPE et de l’Unedic. C’est un amendement sénatorial, rédigé par la sénatrice UMP Catherine Procaccia mi-janvier, qui a provoqué la levée de boucliers des syndicats de la maison puis, quelques jours plus tard, de son directeur général, Pierre Boissier (voir encadré page 71). Si, pour le moment, ce transfert n’est qu’« éventuel » et si un rapport du gouvernement doit également être rédigé d’ici à fin 2008 pour juger de l’opportunité de cette idée, les syndicats restent mobilisés.

Au sein de l’Afpa, les psychologues du travail sont chargés de construire le parcours professionnel des demandeurs d’emploi avant leur entrée effective en formation. « Le jour où l’Afpa n’a plus ses psychologues, elle n’a plus lieu d’être ! » tonnent-ils en chœur. « On y voit la volonté de démanteler l’organisme, souligne Jacques Coudsi, délégué syndical CGT. Car, avec le transfert d’une partie du personnel, c’est aussi une partie de la subvention de l’État qui échapperait à l’Afpa. » Chantal Noël, du syndicat SUD, renchérit : « Si on enlève à l’Afpa tous les services qui font sa spécificité, elle devient un organisme de formation comme un autre. Or certains demandeurs d’emploi ne pourraient pas accéder à une formation sans le travail des psychologues. » En réalité, seuls 20 % des demandeurs d’emploi envoyés vers l’Afpa sont pris en charge par les psychologues maison.

Sur le terrain, dans certains centres régionaux de l’organisme, les discours sont autres. « Si la manœuvre consiste à faire entrer dans les consciences que les psys seront transférés tôt ou tard, c’est presque réussi, explique le directeur d’un établissement. Des psychologues, inquiets de l’avenir de l’Afpa, commencent à se dire que leur transfert vers le nouvel opérateur leur permettrait de retrouver un statut stable. Sur ce sujet, je n’ai pas constaté de mouvement social. Les salariés sont plus mobilisés sur le transfert des crédits de l’Afpa aux régions et la mise en concurrence de l’organisme qui doit entrer en vigueur début 2009. »

Parallèlement, l’Afpa est touchée par la décision de l’ANPE de lancer un appel d’offres avec six mois d’avance pour choisir les prestataires avec lesquels le nouvel opérateur public travaillera. Un appel d’offres dont les règles suivent celles du Code des marchés publics et dont le contenu s’avère être plus complexe et plus contraignant qu’auparavant. Il impose par exemple des localisations géographiques précises aux prestataires. Chargées de répondre à cet appel d’offres, les directions régionales de l’Afpa ont bien souvent cherché à nouer des partenariats avec d’autres prestataires, comme les entreprises d’intérim ou les associations spécialisées, pour avoir des chances d’être retenues. D’autres, comme dans la région Centre, ont purement et simplement boycotté l’exercice, trop chronophage. Le chiffre d’affaires en jeu n’en valait apparemment pas la chandelle.

L’intérim et le placement lorgnent un marché juteux

Dans le secteur de l’intérim et du placement, on se frotte les mains. « Nous voyons cette fusion comme une rationalisation du marché, explique François Béharel, président du groupe Vedior en France. Tout cela va booster encore un peu plus notre activité. » Et n’allez pas parler de concurrence avec le nouvel opérateur. D’une entreprise d’intérim à l’autre, le discours ne varie pas d’un iota : le chantier du chômage est tel qu’il y a de la place pour tout le monde. Mais, en coulisse, certains ont une analyse un peu différente. Notamment sur l’ensemble des prestations prescrites par l’ANPE, comme l’évaluation des compétences et des capacités professionnelles (ECCP), les bilans de compétences ou encore les prestations en groupe, traditionnellement confiées à des prestataires extérieurs. « La fusion va engendrer un tel bazar que certains ont pensé qu’il valait mieux confier le bébé au privé le temps que le nouvel opérateur se mette en ordre de marche », explique un observateur averti du marché de l’emploi.

Dans les rangs des entreprises privées prêtes à prendre le relais de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, les entreprises d’intérim et de placement font bonne figure. Forcément, le marché à remporter est juteux. Pour certains, il serait de près de 1 milliard d’euros sur deux ans, au niveau national. Reste que ce beau gâteau est à partager avec les entreprises du monde associatif, plus anciennes sur le créneau. Tout l’enjeu est donc d’en emporter la meilleure part. Les nouvelles règles de l’appel d’offres de l’ANPE s’appuient sur le Code des marchés publics et ne permettront pas à un unique opérateur de s’imposer. « L’appel d’offres poussait à la constitution de groupements, explique Christophe Bougeard, directeur du marketing et de la communication du groupe Vedior. Dans certaines régions nous avons répondu via des groupements, dans d’autres nous y sommes allés seuls. Tout dépendait de notre capacité à travailler avec le milieu associatif local et du degré de complexité de la prestation demandée par l’ANPE. »

En Ile-de-France, le plus « gros » marché en nombre de demandeurs d’emploi (60 000 personnes à accompagner dans les deux prochaines années), le groupe Vedior s’est associé, via sa filiale Vedior Accompagnement & Reclassement (VAR), à Solidarité & Jalons pour le travail (SJT) et au réseau associatif Aksis. Adecco, suivant les régions, aurait également rejoint des réseaux comme ceux des Greta (Éducation nationale) ou de l’Afpa. Chez Start People, Sandrine Pal, directrice de l’activité USG Restart, a fait le choix d’intégrer plusieurs groupements en Ile-de-France, Haute-Normandie, Bretagne, dans les Pays de la Loire ou encore en région Paca. « Nous nous sommes déterminés en fonction de la convergence d’intérêts et de philosophie que nous avons trouvée avec nos partenaires, explique Sandrine Pal. Nous n’avons pas intégré de groupement avec d’autres entreprises de travail temporaire. » Reste désormais aux « nouveaux amis » à apprendre à travailler ensemble et à se partager l’activité une fois les marchés décrochés.

Le monde associatif contraint de se restructurer

Du côté des petits prestataires, c’est la soupe à la grimace. En lançant un nouvel appel d’offres six mois avant la fin des contrats qui la liaient à ses différents prestataires historiques, l’ANPE a pris au dépourvu ses quelque 5 000 associations partenaires. Les premiers résultats officieux de ces appels d’offres sont tombés en régions mi-avril et confirment les craintes.

« Jusqu’à présent, lorsqu’on répondait aux appels d’offres, on y allait la fleur au fusil, explique le dirigeant parisien d’une de ces structures. Le point positif, c’est que nous avons été obligés de nous parler, de nous organiser et de confronter nos pratiques. » Pour Paul Duprez, DG de Solidarité & Jalons pour le travail, une association de 200 salariés implantée dans le Nord-Pas-de-Calais, en Picardie et en Ile-de-France, le partenariat « était inévitable car les appels d’offres sont de plus en plus sophistiqués et les calibrages des lots imposés par l’ANPE trop importants pour un seul prestataire ».

En Ile-de-France, plusieurs groupements ont ainsi vu le jour. Certains 100 % associatifs, comme Paris Prestataires, d’autres naissant du rapprochement des secteurs privé et associatif, comme Vedior avec SJT et le réseau Aksis (voir page 73). En région, des rapprochements ont également eu lieu. « Nous avons dû apprendre à nous faire confiance en moins d’un mois », raconte Bertrand Girard, membre du réseau Aksis, installé à Tours. Epsilon 55, petite SARL de trois consultants basée à Bar-le-Duc, a également fini par répondre avec un autre prestataire, Horizon, basé en Alsace et en Lorraine. « Si on ne remporte aucun lot, nous travaillerons un peu plus avec d’autres donneurs d’ordres comme l’Agefiph », explique Christian Charuel, consultant associé.

Jusqu’à présent, ce secteur n’était pas organisé sur le plan professionnel. En dehors du Syntec Conseil en évolution professionnelle, qui regroupe les grandes structures comme Altedia, aucun syndicat ne portait réellement la voix de ces milliers d’associations ou SARL, prestataires de l’ANPE depuis de très nombreuses années. Depuis janvier, seul le Syndicat des professionnels du conseil et de l’accompagnement social, créé en 2002 (voir encadré ci-dessus) et uniquement présent en Ile-de-France, avait pris la parole pour pointer les dangers de ce nouvel appel d’offres avant fusion. Depuis, la Fédération professionnelle de l’accompagnement et du reclassement (FAR) a été créée en avril. « Dans ce nouveau contexte de fusion, avec les nouvelles règles du jeu de l’appel d’offres, nos structures ont besoin d’une fédération pour les épauler », argumente Bertrand Girard, qui a porté les statuts de la Far sur les fonts baptismaux (voir également page 59).

Un peu tard. Bon nombre de structures vont y laisser des plumes dès cette année. « Au doigt mouillé, nous estimons que 50 % des petits cabinets vont se retrouver sur le carreau », note le responsable d’Aksis à Tours. Il y a fort à parier que certaines associations engageront des procédures en référé pour casser les décisions de l’ANPE. Plus fatalistes, d’autres cherchent déjà des solutions pour reclasser leurs consultants.

Gabriel Artero, président de l’Apec

« Être challengés sur les prix, ça nous va »

Ce qui fait baisser le chômage, c’est la créativité et la création d’activité qui en découle. Une structure, si performante soit-elle, ne peut pas à elle seule résoudre le problème du chômage si la création d’emploi n’est pas au rendez-vous. Et, pour ce qui est de l’emploi des cadres, nous vivons à l’heure actuelle un quasi-plein-emploi avec un taux de chômage de 3,8 %. La création d’une entité nouvelle regroupant ANPE et Unedic ne nous inquiète pas ou plus. Certains, même, redécouvrent les vertus de l’Apec. Parmi les prestataires auxquels l’ANPE confie des missions de placement, nous sommes celui qui dispose du plus gros volume, avec 30 000 cadres à remettre en emploi dans le schéma de la cotraitance avec l’ANPE. Si l’État nous demande d’en prendre le double, on s’adaptera en faisant des choix. Nous sommes challengés sur les prix et l’efficacité, et ça nous va bien. Vive la vérité des prix !

PIERRE BOISSIER, directeur général de l’Afpa

« Sauvegarder notre pluridisciplinarité »

Nous ne sommes pas favorables au transfert des psychologues du travail de l’Afpa au nouvel opérateur. C’est une fausse bonne idée. Je pense qu’il y a confusion entre le fait de prescrire une formation et celui de construire un parcours comme le font les psychologues du travail. Par ailleurs, l’Afpa se trouve dans une période de décentralisation de ses financements vers les régions. Nous sommes soumis aux appels d’offres sur la formation qui, dans certaines régions, inscrivent une clause demandant aux organismes de prendre en charge des personnes éloignées de l’emploi après les avoir fait passer par un centre régional d’orientation professionnelle. Retirer les psychologues de l’Afpa nous empêcherait de répondre à ces appels d’offres. Une fois le nouveau réseau Anpe-Unedic en place, ce à quoi je crois, c’est à la formule des plates-formes de deuxième niveau. Elles réuniraient des prestataires spécialisés, dont nos psychologues, sans pour autant les déconnecter de l’Afpa, du travail de nos ingénieurs de formation qui bâtissent les référentiels métiers. Notre pluridisciplinarité serait sauvegardée.

FRANÇOIS ROUX, délégué général du Prisme

« La tendance est au partenariat public-privé »

Cette fusion est la suite logique de la loi de 2005 qui officialisait l’ouverture du placement des demandeurs d’emploi aux entreprises d’intérim, devenues depuis des agences d’emploi qui ont des activités de recrutement, de placement, d’intérim et, bientôt, de portage salarial. Le Prisme est satisfait du renforcement de la cohérence du service public de l’emploi. Nous étions un des seuls pays en Europe à avoir maintenu deux entités distinctes. Les opérateurs privés de placement souhaitent poursuivre leur coopération avec le SPE. Nous étions déjà l’un des plus importants cotraitants de l’ANPE. Les entreprises du Prisme réalisent la très grande majorité des « évaluations des compétences et capacités professionnelles ». Nous sommes aussi présents sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Avec l’Unedic, nous avions également répondu aux deux derniers appels d’offres sur le placement des demandeurs d’emploi indemnisés. Ce que nous pourrions craindre, c’est que les économies d’échelle nées de la fusion soient telles que le nouvel opérateur renonce à la sous-traitance. Il existe aussi un décret qui permet à la future entité de créer des filiales privées. Reste que la tendance va plutôt à un partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Il nous faut encore connaître le vrai pouvoir du conseil d’administration de la nouvelle entité pour bien comprendre comment les articulations vont s’opérer.

PASCAK NACFER, trésorier du Syndicat des professionnels du conseil et de l’accompagnement social

« Nous devons nous positionner sur des lots »

L’ANPE a changé les règles du jeu de ses appels d’offres par surprise. Jusqu’à présent elle habilitait les structures avec lesquelles elle travaillait pour trois ans. La dernière habilitation devait courir jusqu’à fin 2008. L’Agence a brutalement mis fin à ces habilitations en les prorogeant seulement jusqu’à fin avril pour lui laisser le temps d’examiner les dossiers du nouvel appel d’offres lancé en décembre. Ce dernier répond aux exigences du Code des marchés publics. Il oblige nos structures à se positionner sur des lots. Chaque lot correspond à une prestation de l’ANPE avec un certain nombre de demandeurs d’emploi pour une zone géographique. Ainsi, l’Ile-de-France a été découpée en quatre zones. Seul un prestataire opérera dans une zone. Les autres seront écartés du jeu. L’ANPE est allée jusqu’à désigner la commune où le prestataire devait être présent. Ces nouvelles règles ont poussé au regroupement des acteurs. Par ailleurs, des prestations délivrées à des publics spécifiques, comme les anciens détenus ou les intermittents, n’apparaissent plus dans l’appel d’offres. Les petites entreprises spécialisées sur ces profils vont être directement touchées. Pour l’ANPE, il s’agissait de restructurer un secteur trop hétérogène. Nous souhaitons que le nouvel opérateur fasse en sorte que les prestataires soient désormais reconnus comme des partenaires à part entière.