Dans les tiroirs depuis plus de quinze ans, la fusion entre l’ANPE et l’Unedic sera opérationnelle en 2009. Première étape d’une réforme d’ampleur du service public de l’emploi, ce rapprochement suscite l’inquiétude au sein des deux institutions.
Après quelque retard à l’allumage sur fond de crise entre le Medef et l’UIMM, la rénovation du service public de l’emploi (SPE) est en marche. L’instance provisoire chargée de préfigurer le nouvel opérateur unique – qui, pour l’heure, répond au nom de code France Emploi – devait désigner ce mois-ci son président, Dominique-Jean Chertier, ancien directeur général de l’Unedic et actuel membre du directoire du groupe Safran, et adouber le futur délégué général, Christian Charpy, qui dirigeait l’ANPE depuis 2005. Sur le papier, les objectifs de la fusion ANPE-Unedic, entérinée par la loi du 13 février 2008, sont louables. Il s’agit de simplifier l’accueil, l’orientation, le placement, l’indemnisation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Reste à mettre ce guichet unique en musique. Les plus hostiles au mariage dénoncent le « démantèlement » pur et simple du SPE et pointent la pression accrue qui sera exercée sur les chômeurs. Ses défenseurs considèrent qu’il fallait mettre un terme à l’intervention d’une « pléthore d’acteurs sur le terrain » et à la « coexistence de plusieurs réseaux qui ont du mal à se coordonner ». « On ne peut plus se permettre de rafistoler, il faut faire du neuf », estime Patrick Lescure, directeur régional de l’ANPE en Rhône-Alpes, qui se félicite d’avoir anticipé depuis cinq ans la fusion en installant un « guichet intégré » dans une quinzaine d’agences de la région. « Dès le début, les deux équipes managériales ont travaillé ensemble et une structure conjointe de pilotage des services d’appui, tels que la communication ou les ressources humaines, a été mise en place », explique-t-il. Loin de susciter l’enthousiasme, la fusion des réseaux ANPE et Unedic alimente l’inquiétude des personnels. De part et d’autre, on ferraille dur pour ne pas passer pour le dindon de la farce. « La nouvelle convention collective empruntera au meilleur des deux organismes fusionnés », avait assuré la ministre de l’Emploi en novembre dernier aux syndicats, en promettant qu’il n’y « aura[it] pas de réduction d’effectifs », pas plus que de « mobilité géographique imposée ». Des promesses qui ne rassurent personne.
Côté ANPE, on se dit attaché au statut de la maison, qui recense 28 000 agents. Le SNU ANPE, majoritaire, défend le « maintien du statut public et de la grille indiciaire avec les droits assimilés ». La CFDT, partisane de la fusion, insiste sur la nécessité d’obtenir une convention collective de qualité qui prenne le meilleur des deux statuts. Côté Unedic, qui compte 14 000 salariés, la crainte d’un nivellement par le bas mobilise depuis plusieurs mois les syndicats. Stéphane Guillou, responsable national CGT des personnels de l’assurance chômage, dit vouloir « consolider les acquis sociaux » avant la fusion et s’étonne de la frénésie récente de dialogue social à l’ANPE où pas moins de quatre accords viennent d’être négociés : sur l’intégration de 25 % des CDD (800 sur les 3 000 que compte l’Agence), le recrutement de personnes handicapées, la mise en œuvre d’un contrat de groupe de prévoyance santé ainsi qu’un avenant au schéma de développement des compétences.
Les questions de salaires, de prévoyance, tout comme celles des métiers et des compétences seront autant d’obstacles à surmonter pour les futurs négociateurs. La rémunération brute moyenne des agents de l’Unedic est en effet supérieure (2 300 euros brut par mois) à celle de l’ANPE (2 100 euros). Les premiers sont payés sur quatorze mois et demi, alors que les seconds ne le sont que sur douze mois. Dès lors, combien d’agents ANPE seront tentés par la nouvelle convention collective ? « 40 à 80 % des agents », selon Christian Charpy, directeur général de l’ANPE. Un droit d’option sera ouvert durant un an.
Dans une note de synthèse du 14 décembre 2007, un groupe de travail interministériel dirigé par l’Igas et chargé de préparer la fusion pointait plusieurs sources de rationalisation possibles. N’en déplaise à Christine Lagarde, qui jure que la fusion n’a pas pour objet de faire des économies, certaines « sont à envisager », indiquent les auteurs de la note : économies liées au maillage du territoire, à la dématérialisation, à la fusion elle-même. Le but du mariage est que les agents soient en contact plus fréquent avec les chômeurs, et moins occupés à des tâches administratives. Or 84 % des effectifs de l’ANPE ont un lien direct avec les demandeurs d’emploi, contre 75 % des salariés des Assedic. D’où la nécessité de « redéployer » des salariés ayant des fonctions d’appui vers la relation avec les demandeurs d’emploi. Mais, pour Vincent Strobel, de la CGT ANPE, « le métier du placement n’a rien à voir avec celui de l’indemnisation. Il ne nécessite pas les mêmes compétences ». « La fusion requiert du temps et un accompagnement renforcé pour que chacun y trouve sa place », insiste Patrick Lescure.
Sa place, Sonia, conseillère ANPE à Paris, ne la voit plus au sein de l’Agence. « Je fais en sorte de remplir les objectifs mais je ne me sens plus en phase avec l’évolution en cours qui est d’enchaîner les entretiens. À raison de quinze minutes par rendez-vous, c’est de l’abattage. » Entrée à l’ANPE il y a sept ans, la jeune femme dit avoir « perdu la richesse du métier » qui était le sien à son arrivée. La part administrative, qui représentait 20 % de son activité, en constitue 80 % aujourd’hui. Mais les choses sont peut-être en passe de changer. Depuis plusieurs semaines, Sonia gère un portefeuille moins important de demandeurs d’emploi (d’une centaine, elle est passée à 60), dont elle assure un suivi bimensuel. Elle est déchargée des autres missions dévolues habituellement à un conseiller : accueil, collecte des offres d’emploi, présélection… et un jour de permanence par mois dans une Assedic !
Pour la réussite du projet, l’encadrement doit jouer un rôle clé. Une circulaire envoyée à tous les directeurs régionaux de l’ANPE leur demande d’« amplifier » le travail de rapprochement. « Ils ont clairement des objectifs chiffrés concernant la masse salariale », note Vincent Strobel. Selon Christian Charpy, 4 500 à 5 000 agents employés dans les fonctions support, administrative et managériale devront être redéployés. « Ce sont eux qui vont souffrir le plus, en particulier les directeurs régionaux, poursuit Stéphane Guillot. Il y a 22 postes à pourvoir pour 54 prétendants ! » Une fusion à hauts risques dans laquelle la dimension RH sera cruciale, a bien prévenu le groupe de travail interministériel.
Quand commence ma formation ? Quelles offres me propose-t-on ? Combien ai-je cumulé de points de retraite… ? Toutes ces infos accessibles sur un téléphone portable ou un PDA, c’est encore de la science-fiction. Dans un souci d’efficacité à l’égard de ses « clients », les demandeurs d’emploi, la future agence issue de la fusion ANPE-Unedic franchira-t-elle le pas ?