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“Il faut sortir du sous-emploi subi dans les services à la personne”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2008 | Anne-Cécile Geoffroy

Le directeur général d’Europ Assistance estime qu’il reste beaucoup à faire pour sécuriser et organiser ce secteur d’activité en pleine expansion.

Pourquoi annoncez-vous une nouvelle révolution postindustrielle autour des services à la personne ?

Plusieurs grandes tendances sont à l’œuvre à l’échelle mondiale qui poussent à l’explosion des services à la personne. Aujourd’hui, 600 millions d’individus ont plus de 60 ans ; dans trente ans, ils seront 2 milliards. Les besoins d’assistance liés à la dépendance en fin de vie explosent. Cette réalité s’accompagne du développement de la santé, en passe de devenir un très grand secteur économique. Aux États-Unis, la santé représente déjà 16 % du PIB. On voit se développer des programmes pour le suivi et la gestion de maladies chroniques par des compagnies d’assurances. L’urbanisation croissante fait émerger de nouveaux services liés au recul des solidarités claniques, à l’éclatement de la cellule familiale. D’autres tendances portent également en germe l’essor des services : la mobilité des individus, qui créera forcément des besoins, l’idéal hédoniste qui se répand dans la société et l’augmentation du temps libre, un phénomène planétaire. Petit à petit, ces nouveaux besoins entrent dans nos modes de consommation.

Ce secteur encore synonyme de travail au noir et d’emplois peu qualifiés peut-il rentrer dans le rang ?

Oui. Il faut pour cela travailler sur deux leviers. Le premier, c’est l’investissement en termes de formation, d’organisation des ressources humaines de cette filière, mais aussi de rémunération. Le plan Borloo a amorcé la pompe et fait sortir ce secteur de la clandestinité, notamment en rendant, via des incitations fiscales et un allégement des charges sociales, le travail au noir moins intéressant pour les utilisateurs et les prestataires. Le chèque emploi service universel (Cesu) prépayé est un outil intéressant, car il fait contribuer les entreprises. Mais ces conditions ne sont pas suffisantes. Il faut aller encore plus loin. Par exemple, le NHS, la sécurité sociale britannique, a commencé à travailler sur la formation des aides ménagères qui assistent les personnes âgées à domicile pour leur permettre de déceler un risque médical ou sanitaire simple. Cette qualification est reconnue et rémunérée par la sécurité sociale britannique. Le second levier, ce sont les nouvelles technologies. Elles tireront le secteur vers le haut. Au Japon, la robotique, les transmissions sans fil, l’intelligence artificielle sont déjà couramment utilisées pour assurer la surveillance des personnes âgées. Si l’on actionne ces deux leviers, les services à la personne entreront dans un cercle vertueux.

Sera-t-il nécessaire de créer un nouveau contrat de travail ?

Les contrats actuels sont calibrés pour les entreprises traditionnelles. Recruter une personne en CDI suppose que l’entreprise dispose d’un flux d’activité suffisant. Aujourd’hui, ce modèle ne domine pas. Celui du multiemployeur est plus largement répandu. Sa limite est que personne n’est réellement responsable du salarié, de sa qualification. Celui-ci enchaîne des contrats précaires, à temps partiel subi, sans perspective à long terme. Ce modèle impose aussi au particulier employeur de licencier l’intervenant en fin de mission. C’est un système lourd, que tout le monde contourne. Si on veut sécuriser ce secteur, il faut traiter la question du sous-emploi subi, qu’il sera sans doute nécessaire de compenser par un système d’indemnisation partielle.

Certains pays sont-ils en avance dans cette révolution des services ?

Le Japon et les pays scandinaves sont les plus avancés dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes et du handicap. Ils investissent beaucoup dans les services à domicile ou les maisons de retraite. La Suède y consacre environ 3 % de son PIB, quand la France n’y consacre que 1 %. Cela tient à des différences culturelles, mais aussi à des choix politiques. La France, comme de nombreux pays européens, en est au stade de la préhistoire en ce qui concerne la qualité des services à domicile délivrés aux personnes âgées.

Quelle est votre appréciation de l’action du gouvernement actuel sur le sujet ?

L’Agence nationale des services à la personne installée par Jean-Louis Borloo poursuit son travail, mais la communication est moins intense. Le secteur est aujourd’hui le plus gros créateur d’emplois. Le risque serait de considérer son développement comme une situation acquise. Or beaucoup reste à faire pour le sécuriser et l’organiser.

MARTIN VIAL

À 54 ans, il est le directeur général du groupe Europ Assistance.

PARCOURS

Double diplômé de l’Essec et de l’École nationale supérieure des postes et télécommunications, il a dirigé l’Aéropostale, puis a été P-DG du groupe La Poste. Il vient de publier La Care Revolution. L’homme au cœur de la révolution mondiale des services, aux éditions Nouveaux Débats publics.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy