50 % des seniors de 55 à 64 ans au travail d’ici à 2010… Face à cet objectif de l’Union européenne, la France est bien mauvaise élève, à la traîne derrière nos voisins anglo-saxons et nordiques.
Les salariés français qui rêvent de raccrocher dès le premier cheveu blanc venu auraient-ils du souci à se faire ? Et, pour les entreprises, pousser les quinquas à rendre leur tablier relèvera-t-il bientôt de la mission impossible ? Agenda de Lisbonne (l’Europe vise un taux d’emploi des 55-64 ans de 50 % à l’horizon 2010) et financement des retraites obligent, doper le taux d’emploi des aînés est devenu un impératif en France. « L’amélioration du taux d’emploi des seniors, explique Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites, contribuerait à la croissance du pays, au financement des régimes sociaux, à la transmission des savoirs dans l’entreprise et plus simplement au maintien du moral des salariés âgés. » Et, parce que la réforme Fillon sur les retraites a programmé un rendez-vous en 2008, cette question revient au centre des débats. La présidente du Medef, Laurence Parisot, annonçait en février qu’elle ferait des propositions au printemps pour augmenter la présence des seniors dans les sociétés : « Il faut que les entreprises et les directions des ressources humaines inventent des fonctions qui tiennent compte de l’âge. » Le gouvernement, de son côté, a pris de nouvelles mesures à l’automne : doublement de la taxation des préretraites maison et des indemnités de mise à la retraite d’office par l’employeur qui, selon Xavier Bertrand, le ministre du Travail, ont déjà poussé nombre d’entreprises à modifier leurs plans de départs. Pas question non plus que la toute nouvelle « rupture à l’amiable » négociée avec les partenaires sociaux favorise l’évaporation des seniors. Dans le projet de loi sur la modernisation du marché du travail, il est prévu que les indemnités de départ des plus de 60 ans soient davantage taxées. Toujours dans les tiroirs, la suppression de la dispense de recherche d’emploi pour les plus de 55 ans, promise en 2007 par Nicolas Sarkozy, devrait être abordée dans la prochaine négociation sur l’assurance chômage.
Les tentatives hexagonales pour maintenir l’emploi des seniors ne sont pas neuves. Depuis le début des années 2000, les conditions d’accès aux préretraites financées par l’État ont été durcies. Des dispositifs plus restrictifs ont été créés : la cessation d’activité de certains travailleurs salariés (Cats) et la cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Caata) sont explicitement réservées à des personnes handicapées ou soumises à des conditions de travail pénibles. Sans oublier le plan national d’action pour les seniors lancé en juin 2006. À la clé : suppression progressive de la contribution Delalande (taxe sur le licenciement des travailleurs de plus de 55 ans), dont les résultats n’étaient pas probants, revalorisation des pensions jusqu’à 5 % pour un départ au-delà de 65 ans, possibilités accrues d’exercer une activité à temps partiel au-delà de 60 ans et, surtout, un CDD seniors pour les demandeurs d’emploi de plus de 57 ans. Ce dernier est un échec et, pour l’heure, les efforts français afin de garder les seniors en emploi ne portent pas leurs fruits.
Résultat, selon Eurostat, la France atteint péniblement le taux de 38,1 % d’emploi des 55-64 ans en 2006 – l’enquête Emploi de l’Insee 2007 affiche pour cette même tranche d’âge un taux de 41,3 % en 2007 – alors que nos voisins nordiques et anglo-saxons font nettement mieux. Revue de ces recettes qui marchent.
Betsie Knapp, 58 ans, se rend tous les matins au « paquebot », le siège futuriste de la banque ING à Amsterdam, où elle est secrétaire de direction. « J’aurais aimé partir en préretraite à 56 ans, raconte-t-elle, mais c’était en 2006, l’année où tout a changé. » Depuis deux ans, tout accord de préretraite dans les conventions collectives est en effet interdit par la loi aux Pays-Bas. Pour compenser, un système d’épargne individuelle en entreprise a été instauré, baptisé levensloopregeling (« plan d’épargne vie »). « J’aurais souhaité faire comme ma sœur, qui vit depuis ses 55 ans entre la Dordogne et les Pays-Bas, poursuit Betsie Knapp. J’ai cotisé durant toute ma carrière pour mes aînés, mais il faut maintenant que je finance moi-même ma préretraite. Comme je n’ai pas encore assez économisé, je dois continuer de travailler. »
Près de 48 % des Néerlandais de 55 à 64 ans sont actifs. Ils n’étaient que 26 % en 1995, l’un des niveaux les plus bas d’Europe à l’époque. L’âge moyen de départ à la retraite est passé à 61 ans, contre 59 ans en 2000. Ce retournement de tendance résulte de la réforme des préretraites, mais aussi de la croissance économique et d’une pénurie d’effectifs. Les Néerlandais, qui savent leur population vieillissante, acceptent bon gré mal gré de travailler plus longtemps. Une fracture assez nette persiste entre les 55-60 ans, prêts à rester en poste, et les 60-65 ans, qui veulent au contraire décrocher. Pour ces derniers, seulement 33 % des hommes et 14 % des femmes sont actifs. Tous les grands partis politiques ont fait de la « pression grise » une priorité, anticipant les problèmes de financement des retraites qui s’annoncent à l’horizon 2011. Pas question pour autant de repousser l’âge officiel de la retraite à 67 ans, malgré les recommandations de l’OCDE. Les pouvoirs publics préfèrent des réformes en douceur, pour inciter les plus de 65 ans à rester actifs.
L’exemple a été donné dans la fonction publique, avec le retrait en 2006 d’un décret royal de 1945 qui obligeait les fonctionnaires à prendre leur retraite à 65 ans. Dans les faits, très peu d’agents de l’État ont encore eu recours à cette possibilité. Le gouvernement ne s’avoue pas vaincu pour autant. De nouvelles incitations sont envisagées pour 2008, comme une prime à la participation pour les 62-65 ans qui renoncent à la préretraite et un abattement de l’impôt sur le revenu pour les 65 ans qui continuent de travailler. Piet Hein Donner, le ministre néerlandais des Affaires sociales et de l’Emploi, voudrait aussi faciliter l’emploi à temps partiel pour les plus de 65 ans. Un projet de loi sera soumis avant la fin avril au Parlement, visant à permettre aux retraités actifs de cumuler salaire et pension, comme dans le système des allocations chômage.
Sabine Cessou, à Amsterdam
Le chiffre est impressionnant : au Royaume-Uni, 71,9 % des hommes entre 50 et 64 ans et des femmes entre 50 et 59 ans travaillent, d’après les statistiques du ministère du Travail de février 2008. Le pays a véritablement su doper l’emploi des seniors. Cela grâce à une stratégie développée par le gouvernement travailliste à partir des années 90. Et, récemment, l’équipe de Gordon Brown s’est fixé comme objectif de remettre au travail 1 million de seniors afin d’atteindre un taux d’emploi général de 80 %.
La recette ? D’abord un formidable effort de communication au moyen, notamment, de la campagne gouvernementale Age Positive, qui permet de sensibiliser les employeurs et d’informer les travailleurs sur l’opportunité de rester au travail le plus longtemps possible. À la clé, incitation financière à l’emploi et à la formation professionnelle, aide au retour à l’emploi plutôt qu’assistance. Ainsi, différer son départ à la retraite de cinq ans permet de recevoir une compensation financière allant jusqu’à 30 000 livres (39 350 euros) ou d’augmenter le montant de la retraite d’État de 50 %. Il est également possible de travailler de manière flexible, via une formule de retraite partielle, et de bénéficier de formations qui améliorent les compétences. Quant aux demandeurs d’emploi de plus de 50 ans, un programme d’évaluation de leurs compétences et une aide financière peuvent les remettre en selle.
Au-delà des politiques publiques, certains groupes, comme l’enseigne de bricolage B & Q, ont mis en place une politique d’emploi ciblant les travailleurs âgés, considérés comme plus fiables et sachant établir une bonne relation avec la clientèle. Mais, pour la plupart des entreprises, c’est la loi sur la discrimination relative à l’âge, adoptée en 2006, qui a considérablement étendu les droits des salariés seniors, lesquels ne doivent plus subir de licenciement – avant l’âge légal de la retraite, fixé à 65 ans – ni de refus de formation ou d’embauche motivés par leur âge. Simon Brooks, DRH de l’équipementier automobile Denso, explique : « Nous avons dû réviser nos politiques pour nous adapter à cette législation et prendre en considération les demandes d’employés de continuer le travail après 65 ans. » Pourquoi le gouvernement pousse-t-il tant les seniors à rester au travail ? « À cause de la situation financière, poursuit Simon Brooks. Les gens ont des crédits à rembourser, ils vivent plus longtemps. J’ai 43 ans… quand je prendrai ma retraite à 65 ans, ou plutôt à 70 ans, je ne pense pas qu’il restera grand-chose dans les caisses de retraite ! » Déjà, un certain nombre de salariés âgés contraints de travailler, peu qualifiés et donc peu rémunérés, subissent la précarisation des formes de fin de carrière. Le fossé entre ces seniors précaires et les salariés ayant accès aux pensions professionnelles et privées et à des emplois stables ne risque pas de diminuer, quand l’âge de la retraite d’État va passer à 70 ans dans quelques années.
Agnès Baritou, à Londres
Sur le point d’être privatisée, l’usine Vin & Sprit, qui fabrique la vodka Absolut dans le sud de la Suède, emploie près d’un quart d’ouvriers seniors. Depuis 1979, ce produit est l’une des success stories suédoises qui ont conquis le monde. Sur ses 200 employés 42 sont âgés de plus de 55 ans. « Nous avons effectivement embauché des gens de plus de 50 ans ici, raconte Jan Lundin, le représentant syndical de la compagnie, un peu étonné tout de même qu’on lui pose cette question. C’est bien d’avoir un mélange d’âge. S’il y a trop de jeunes, ils sont peut-être un peu moins sérieux. »
Mais la Suède ne limite pas ses performances aux spiritueux. Elle est l’un des pays de l’Union qui affichent le plus fort taux d’activité de travailleurs âgés, sans politique ou avantages fiscaux particuliers et alors que les réflexes y sont les mêmes qu’ailleurs : en cas de crise, les seniors sont parmi les premiers à payer, juste après les plus jeunes. Cas extrême, l’an dernier, l’entreprise de télécommunications Ericsson s’est distinguée en ouvrant les guichets départs aux employés de plus de… 35 ans. Autre situation, celle de Vattenfall, compagnie publique d’énergie, qui va voir la moitié de ses 8 600 employés partir à la retraite dans les dix ans. Depuis quelques années, elle a au contraire développé un programme « 80-90-100 » pour conserver les seniors âgés de plus de 58 ans aussi longtemps que possible : 80 % du temps de travail, 90 % du salaire, 100 % de retraite.
En Suède, 82 % des 55-59 ans et 62 % des 60-64 ans sont au travail. Ils ne sont pas que bouilleurs de cru. Les chauffeurs de taxi ou les ouvriers âgés ne sont pas rares non plus. La présence nombreuse des femmes sur le marché du travail, l’utilisation très développée des nouvelles technologies, qui améliore globalement les conditions de travail, n’empêchent pas un recours élevé aux arrêts maladie. « Ce n’est pas paradoxal, note Torsten Heinberg, chercheur à l’Agence suédoise de l’environnement du travail. Des périodes d’arrêt maladie peuvent permettre aux gens de se refaire une santé afin de travailler plus longtemps. » Depuis des décennies la Suède est très soucieuse du respect de bonnes conditions de travail, avec une législation contraignante, même si celle-ci est plus ou moins bien respectée au gré des performances économiques. Les incitations à la retraite anticipée sont aussi plus faibles qu’ailleurs, y compris au Danemark et en Finlande. La plupart des employés prennent leur retraite à 65 ans, lorsqu’ils ont acquis tous leurs droits, même s’ils peuvent, légalement, rester en poste jusqu’à 67 ans. Libre à eux. Et les enveloppes orange qui viennent annoncer aux Suédois leur retraite potentielle les incitent fortement à travailler plus tard, grâce aux simulations combinant âge de départ et croissance économique. Face aux chiffres, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre où est son intérêt, financier en tout cas.
Olivier Truc, à Stockholm
38,1 %
Taux d’emploi des 55-64 ans en France
Eurostat 2006.
47,7 %
Taux d’emploi des 55-64 ans aux Pays-Bas
Eurostat 2006.
Pour promouvoir l’emploi des seniors, il faut changer radicalement de mentalité dans les entreprises », affirme Carsten Baye, patron de Healthpro, un cabinet de conseil chargé par le ministère fédéral des Affaires sociales (BMAS) de coordonner le projet Rebequa, lancé en février. Environ 2 000 PME se verront offrir une demi-journée de conseil. Au menu : analyse de leur pyramide des âges et du marché de l’emploi, de leur politique de recrutement et de formation, des mesures d’aide à l’emploi des seniors… Un des éléments du dispositif destiné à favoriser l’emploi des seniors : « Le nombre des plus de 65 ans va augmenter de 6,4 millions d’ici à 2030 et celui des 20-64 ans diminuer de 5,3 millions », rappelle Franz Thönnes, secrétaire d’État au BMAS. L’Allemagne doit à tout prix forcer l’emploi des seniors pour pouvoir faire face aux besoins futurs de main-d’œuvre. D’autant que, pour continuer à financer son système de retraite sans augmenter les cotisations ou réduire le montant des pensions, l’âge légal de la retraite a été repoussé à 67 ans. En 2006, le gouvernement fédéral a lancé le programme Perspektive 50plus, qui vise à atteindre un taux d’activité d’au moins 50 % des plus de 50 ans d’ici à 2010. À la clé : suppression des cotisations patronales en cas d’embauche d’un chômeur de plus de 55 ans, subventions allant jusqu’à 50 % du salaire pendant une durée de un à trois ans pour l’embauche d’un plus de 50 ans, instauration d’un CDD de cinq ans maximum pour les chômeurs âgés, ou encore offre de formation pour les plus de 45 ans.
Thomas Schnee, à Berlin
48 ,4 %
Taux d’emploi des 55-64 ans en Allemagne
Eurostat 2006.
57,4 %
Taux d’emploi des 55-64 ans au Royaume-Uni
Eurostat 2006.
69,6 %
Taux d’emploi des 55-64 ans en Suède
Eurostat 2006.