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Ces entreprises qui exportent leur savoir

Dossier | publié le : 01.04.2008 | Domitille Arrivet, Sarah Delattre, Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain

Les grandes entreprises ne se posent pas en concurrentes des organismes de formation, mais leurs propres structures développent leur offre à l’extérieur. Une démarche qui constitue un avantage concurrentiel auprès de leur clientèle.

Bien sûr, leur business ne pèse rien à côté de celui des poids lourds de la formation continue comme la Cegos ou Demos. Et pourtant, les structures de formation créées par les grandes entreprises pourraient bien donner du fil à retordre aux ténors. Car les Renault, Aéroports de Paris ou Alstom ont développé un tel niveau d’expertise que l’on fait appel à eux de la Russie à l’Afrique du Sud ou à la Jordanie. Un outil que ces champions de l’industrie ne se privent pas d’utiliser. « Quand Raymond Lévy, l’ancien président de Renault, a eu l’idée de créer l’Institut Renault en 1989, il ne pensait qu’au bénéfice de sa propre entreprise. À l’aider à améliorer la qualité, raconte Patricia Beaumont, consultante à l’Institut Renault – récemment rebaptisé Renault Consulting. En 1992, nous avons reçu notre première demande pour dispenser nos formations à l’extérieur de l’entreprise. Depuis, nous réalisons la moitié de nos prestations avec des clients extérieurs, dans le monde entier », explique-t-elle.

Des formateurs transformés en VRP. Même constat chez Alstom Power Service, la filiale du champion français de l’énergie électrique spécialisée dans la conception, la gestion et la maintenance des équipements de production d’énergie, telles les centrales thermiques ou nucléaires. « Notre centre de formation existe depuis vingt-cinq ans. Notre activité consiste principalement à former nos collaborateurs dans les trois branches de l’entreprise. Mais, depuis près de deux ans, nous avons de nouveaux objectifs : maintenant nous vendons la moitié de nos prestations à l’extérieur », confie Rodolphe Sainty, le responsable du centre de formation basé à La Courneuve, près de Paris.

Pour les entreprises qui se sont lancées dans cette aventure, il ne s’agit ni de concurrencer les organismes de formation ni d’opérer une diversification. Renault Consulting, Alstom Power Service ou encore ADP Training ne se concentrent que sur leur savoir-faire. « Nous ne sommes pas concurrents de grosses boîtes de formation ; ce que nous faisons, elles ne savent pas le faire », assure Didier Rousseau, formateur chez Alstom. Et pour cause. Qui mieux qu’un cadre exerçant depuis vingt ans au sein d’Aéroports de Paris pourrait former des ingénieurs jordaniens au management aéroportuaire ? Quel organisme de formation pourrait disposer, comme Alstom à La Courneuve, d’un hangar équipé de morceaux de turbines à monter et à démonter ?

Même si ces instituts d’un genre nouveau ont leur propre catalogue, l’essentiel des formations dispensées a été conçu sur mesure pour leurs clients. Les formateurs d’Alstom vont jusqu’à étudier les documents techniques des équipements de leurs clients avant d’aller les former sur leur site. Concurrence mondiale oblige, les entreprises réclament des prestations adaptées à leurs problématiques. Du coup, les enseignements développés par Renault dans le domaine du lean manufacturing – littéralement la « production mince », démarche consistant à gérer les processus et ressources au plus juste en éliminant toutes les tâches inutiles et dont le modèle est le Toyota Production System – ont le vent en poupe.

L’objectif de ces entreprises qui diffusent leur savoir-faire au bout du monde est d’abord de satisfaire la clientèle. « Notre catalogue de formations est un outil de prospection. Il arrive qu’on trouve un nouveau client en vendant d’abord des formations. Ce fut le cas récemment en Afrique du Sud. Notre institut de formation, c’est notre longueur d’avance par rapport à des concurrents comme Siemens, General Electric ou Hitachi : on prouve au client que l’on peut tout prendre en charge. De la conduite de l’installation jusqu’à la maintenance, on peut aider à gérer les compétences », assure Rodolphe Sainty, d’Alstom Power Service. Il forme ces jours-ci des ouvriers et des ingénieurs chinois d’une entreprise de BTP à la construction d’une partie d’un chantier à Suizhong. Pour préserver cet avantage compétitif, Alstom cherche à détecter dès le recrutement les candidats qui seront capables d’être des animateurs et des référents techniques « monnayables ». Car, pour répondre à la demande, le vivier des 60 salariés auxquels le centre de formation fait appel au coup par coup ne suffit plus.

L’occasion de réfléchir sur soi-même. Chez Renault, la formation est devenue un véritable business. Les 10 millions d’euros de chiffre d’affaires qu’elle a rapportés l’an dernier ne sont rien à l’aune des ventes de voitures. Mais, aux yeux de la plupart des 10 000 organismes de formation de l’Hexagone, c’est une fortune. Et puis, les 250 experts salariés à temps plein de Renault Consulting sont aussi des ambassadeurs qui contribuent au rayonnement de l’entreprise. De surcroît, la vente de formation à des clients comme Valeo, Danone, La Poste ou Paribas a aussi pour objectif de dégager une marge bénéficiaire (fixée par Carlos Ghosn à 12 %) qui permet d’offrir à la maison Renault-Nissan les services des experts de Renault Consulting… à prix coûtant.

Au-delà des considérations commerciales, les salariés chargés d’assurer les enseignements se prêtent au jeu. Car former, c’est aussi réfléchir sur soi-même. C’est la motivation principale de François Charritat, le délégué général à la qualité d’ADP, qui est intervenu l’an dernier dans 40 stages de formation en France ou à l’étranger : « Par leurs questions, les stagiaires mettent le doigt sur des choses que l’on croyait acquises. On progresse. » Pour autant, ce transfert de compétences a ses limites. « Nous nous interdisons d’intervenir chez des concurrents. Nous avons ainsi refusé des demandes de Mercedes ou de BMW », confie Patricia Beaumont, de Renault. Ou alors, on ne livre qu’une partie des secrets : « Nous sommes dotés d’un outil informatique de management aéroportuaire qui n’a pas d’équivalent dans le monde ; on ne le présente pas dans les formations. Des Chinois nous l’ont plusieurs fois demandé, mais nous avons refusé », indique Isabelle Dubois, chef du service formation internationale d’ADP. D’ailleurs, le corpus dispensé par les salariés envoyés en mission au bout du monde fait l’objet de moult contrôles et validations. Néanmoins, une chose est sûre : les clients, avides d’acquérir les savoir-faire européens, seront aptes, un jour, à se prendre en charge.

D. A.

Pompier au bout du monde

Éric Valls pourrait ne jamais s’arrêter. À 49 ans, cet ancien militaire, qui a bourlingué des années au Tchad ou à Djibouti, prend son métier de pompier tellement à cœur qu’il ne cherche qu’à transmettre sa passion. Responsable du centre de formation des pompiers d’Aéroports de Paris (un « corps » très envié) jusqu’à l’an dernier, il chapeaute aussi les modules de formation « pompiers » dispensés aux clients d’ADP Training. Ses meilleurs souvenirs ? Les stages qu’il a menés plusieurs années de suite à Conakry en Guinée ou à Acapulco au Mexique, dans le cadre des contrats de formation passés entre ADP et certaines autorités aéroportuaires locales. Mais là, rien de formaté, Éric Valls est le roi de l’adaptation : « À Conakry, une partie des 40 stagiaires ne parlait qu’un dialecte. Alors on a fait une formation très visuelle avec des images, des vidéos et, surtout, beaucoup de pratique. La première année, ils étaient en sandales, n’avaient même pas de tenues antifeu. L’année suivante, nous leur avons apporté des tenues. Ils étaient tellement fiers. Quand nous sommes partis, ils ont déployé un drapeau français devant notre Airbus », raconte-t-il. Ce père de six enfants en a encore les larmes aux yeux.

Auteur

  • Domitille Arrivet, Sarah Delattre, Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain