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“En Europe, un cadre de grand groupe vivra une fusion tous les trois ans”

Actu | Entretien | publié le : 01.04.2008 | Sandrine Foulon

En se multipliant les fusions se sont professionnalisées. Aujourd’hui, les groupes se donnent davantage les moyens de les réussir, estime cet observateur averti.

Les fusions sont-elles en passe de s’accélérer ?

En 2007, nous avons atteint dans le monde un volume de fusions jamais égalé. Nous avons dépassé 2006 qui était déjà une année record. En 2008, le mouvement pourrait peut-être légèrement faiblir, notamment à cause de la crise du crédit. Néanmoins, les fusions ont de beaux jours devant elles. Elles façonnent et accélèrent le capitalisme moderne. Elles constituent le moyen le plus rapide de prospérer, bien loin devant la croissance organique. Les dirigeants ont également compris qu’il était plus sécurisant de fusionner que de créer un joint-venture, voire d’implanter des filiales à l’étranger, car ils possèdent le contrôle complet de l’entreprise cible. Des véritables fusions-acquisitions pour créer des mégagroupes aux fusions cosmétiques pour montrer qu’on est dynamique sur son secteur, voire renforcer l’image d’une société ou de son dirigeant, les « fusac » se multiplient. On estime que tout cadre de l’Union européenne travaillant dans un grand groupe vivra une fusion tous les trois ans.

Vous avez mené une enquête auprès de 1 000 salariés et d’une centaine de dirigeants européens. Les entreprises réussissent-elles mieux leurs fusions ?

Indéniablement, la gestion des fusions s’est professionnalisée depuis dix ans. Certains groupes, à l’instar de DuPont de Nemours, possèdent des directions fusions permanentes qui dépendent de la RH. Les process se sont également multipliés avec un mimétisme effarant : telle fusion a copié telle fusion qui elle-même en a copié une autre… Néanmoins, les groupes qui réussissent le mieux ces rapprochements sont ceux qui considèrent qu’une fusion implique une gestion de crise. Refuser de la voir comme un séisme social est un leurre. Elle génère ce que les Anglo-Saxons appellent un « stress fusionnel ». Il y a dix ans, celui-ci était nié. Aujourd’hui, des groupes, surtout anglo-saxons, sollicitent des coachs, des médecins du travail pour accompagner ce chantier.

Est-ce efficace ?

Ce n’est pas toujours hyperperformant. Le temps de la fusion n’est pas celui de l’humain. On ne laisse guère aux salariés le temps de faire leur deuil. Il faut très vite tourner la page. Les pays latins ne sont que peu outillés. En outre, ils refusent ce concept de crise. Il existe une asymétrie entre le corps social, qui redoute la perte d’emploi, d’identité, et les dirigeants décisionnaires, qui voient la fusion comme un événement heureux qui va faire grandir l’entreprise.

La perception des salariés à l’égard des fusions a-t-elle changé ?

Oui, et c’est très surprenant. Certes, la fusion rime toujours avec traumatismes et suppressions de postes, mais beaucoup moins qu’il y a dix ans. Les sondages auprès des salariés révèlent que, dans leur esprit, elle est aussi synonyme de « plans sociaux de riches ». Que ce soit en Espagne, en Italie, en France ou en Allemagne, les salariés ont pris conscience que c’était l’occasion de partir avec le jackpot. Pour la direction d’un grand groupe, le besoin de réussir une fusion est tel qu’elle va y investir de gros moyens. C’est un acte démiurgique. Contrairement aux idées reçues, l’harmonisation des statuts ne se fait pas vers le bas mais vers le haut. Nombre d’entreprises ne veulent pas prendre le risque d’embraser encore plus le climat social. C’est même dans ces périodes-là que l’on voit les grilles de rémunérations s’envoler. Car la grande angoisse d’une entreprise qui en achète une autre est de voir les compétences clés partir en masse. Certes, les fusions sont depuis dix ans clairement assimilées à des opérations de réduction des coûts. Un plus un ne font pas deux et les doublons sont très vite éliminés. Néanmoins, de gros efforts sont réalisés pour garder les meilleurs.

Comment les syndicats réagissent-ils ?

La plupart sont attentistes. On ne constate pas de grands mouvements sociaux pour contrer un projet de fusion. Tout dépend également des spécificités légales et locales. En Allemagne, les délégués syndicaux sont consultés et associés très en amont ; ce n’est pas le cas en France. En revanche, les fusions ont vu réapparaître un autre acteur : l’État. Avec l’émergence des fonds souverains et des holdings financiers, les gouvernements sont montés au créneau au nom du patriotisme économique pour protéger des secteurs entiers, l’énergie par exemple, mais aussi leurs entreprises contre des OPA hostiles étrangères. Ils ont même voté des lois dans ce sens.

JÉRÔME DUVAL-HAMEL

Professeur des universités en stratégie, codoyen de l’École de droit des affaires et management de Paris II.

PARCOURS

Cet ancien DRH, qui a commencé sa carrière chez Rhodia avant de poursuivre chez Vivendi Communication puis SFR Cegetel, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, avec le professeur de finances Franck Bancel, Fusions d’entreprises, paru en janvier aux Éditions d’Organisation

Auteur

  • Sandrine Foulon