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Vie des entreprises

Wanted profs de management

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2008 | Anne-Cécile Geoffroy

Facs et écoles se disputent les Ph.D. de haut niveau. Plus que sur les salaires, les françaises jouent sur les conditions de travail pour séduire ces perles rares.

Vous avez entre 27 et 40 ans, vous êtes titulaire d’un doctorat en management, en finance, économie ou sciences de gestion. Et vous publiez régulièrement vos recherches dans les meilleures revues scientifiques de votre spécialité… Bingo ! Vous êtes une perle rare. Celle que traquent sans relâche le fleuron des universités et pour laquelle ces institutions sont prêtes à dérouler le tapis rouge. « Le recrutement, c’est le nerf de la guerre, assure Christian Gollier, directeur de l’École d’économie de Toulouse. Nous sommes tous sur les traces du nobélisable. » Ou tout du moins du prof de haut niveau.

1 500 postes à pourvoir. Reste que ce profil ne court plus vraiment les rues. Vagues de départs à la retraite, hausse exponentielle du nombre de business schools dans le monde et concurrence avec le secteur privé expliquent la pénurie. « L’influence des classements et des systèmes de labellisation qui imposent un nombre de docteurs dans le corps enseignant participe aussi à cette carence », ajoute Raymond-Alain Thiétart, responsable du programme Ph.D. (doctorat) de l’Essec. « Il manquerait grosso modo 1 500 enseignants chercheurs en Europe occidentale. Et sans doute le même nombre aux États-Unis », comptabilise Thierry Grange, directeur de Grenoble École de management. Du coup, les établissements se livrent une guerre silencieuse pour attirer ces talents. « Le vivier est d’autant moins abondant que nous recherchons tous le même profil. Passé 40 ans, un enseignant chercheur est moins intéressant pour un établissement qui souhaite gagner en visibilité internationale. Tout simplement parce qu’il publie moins », note Jérôme Caby, directeur de l’IAE de Paris.

L’autre difficulté est de repérer ces talents, très concentrés sur le continent américain et aspirés par les meilleures institutions dès leur arrivée sur le marché. Par ailleurs, face à des universités américaines ou, plus récemment, asiatiques richement dotées, les établissements européens ont beaucoup de mal à faire valoir leurs arguments, notamment lorsqu’il s’agit de parler gros sous.

Sur les dix dernières années, les salaires des jeunes loups du management, de l’économie et, surtout, de la finance auraient presque doublé. « La rémunération d’entrée d’un jeune économiste dans une très bonne université américaine est de 75 000 dollars net par an, soit 51 500 euros. En France, un maître de conférences peut espérer 22 000 euros net. Et cette différence s’accentue avec l’ancienneté », souligne Thierry Magnac, directeur de la recherche de l’École d’économie de Toulouse. Hors du système universitaire, les écoles de commerce et de gestion françaises du peloton de tête offrent des rémunérations nettement plus enviables. L’Edhec s’est dotée depuis deux ans d’une grille de salaires pour éviter les dérapages. La fourchette est de 35 000 à 150 000 euros brut par an. « L’étalonnage se fait sur le nombre de publications du professeur et la notoriété des revues scientifiques visées, décrypte Sylvain Obarowski, DRH de l’Edhec. S’ajoutent à ces rémunérations des primes et des activités complémentaires également rémunératrices qui représentent jusqu’à 20 ou 30 % de leur salaire. »

Foire au recrutement. Pour convaincre les meilleurs doctorants de venir poser leurs valises en Europe, les établissements fourbissent d’autres arguments. Déjà, ils ont pris l’habitude d’aller chercher les talents convoités directement à la source. En l’occurrence les États-Unis, qui forment le gros des troupes. « Pour des profils juniors, nous y faisons notre marché depuis deux ans », explique Christian Gollier, à Toulouse. En janvier, il a participé au congrès annuel des économistes américains qui se tenait dans un grand hôtel de la Nouvelle-Orléans. Un congrès qui prend des allures de gigantesque foire au recrutement. Dix mille économistes du monde entier s’y pressent le temps d’un week-end. « Nous avons auditionné 35 jeunes doctorants. Quatorze sont venus à Toulouse présenter une leçon face au corps professoral de l’école. » Un moment propice pour finir de convaincre les jeunes chercheurs d’effectuer leur début de carrière sur le Vieux Continent. Lorsque les écoles ne débauchent pas lors des congrès, elles usent des réseaux de leur corps professoral pour attirer leur cible. « C’est ce qui fonctionne le mieux, assure Raymond-Alain Thiétart, à l’Essec. Les deux derniers candidats recrutés ont été repérés il y a trois ans par certains de nos collègues. »

Les établissements d’enseignement supérieur prennent surtout soin de « l’environnement académique » offert à ces professeurs. L’École d’économie de Toulouse leur propose par exemple de prendre la direction d’une chaire junior, 100 % recherche, pendant trois ans. « Nous les déchargeons de cours. Ce que peu d’établissements sont capables de faire », explique Christian Gollier. À l’Essec, les jeunes professeurs de management sont déchargés de soixante heures de cours sur les cent cinquante obligatoires. « Cette population est très attentive à sa liberté de temps et de mouvement, aux opportunités que vous proposez pour effectuer des séjours académiques à l’étranger », note Christophe Germain, directeur académique d’Audencia Nantes. « Pour garder les meilleurs, nous assurons un environnement de travail exceptionnel, une grande autonomie. Ils n’en seront que plus performants », ajoute Loïck Roche, directeur adjoint de Grenoble EM. L’IAE de Paris mise de son côté sur le projet d’établissement. « En France, peu d’universités disposent d’un vrai projet et d’une stratégie à cinq ans. Et les enseignants chercheurs y sont finalement très attentifs », indique Jérôme Caby, son directeur.

Pour résorber en partie la pénurie, l’organisme américain de labellisation des MBA (l’AACSB) a lancé en septembre 2007 le programme PD Bridge (post doctoral bridge to business program). Objectif : transformer des docteurs de disciplines connexes (sociologie, psychologie…) en profs de management. Reste que cette mue ne peut s’opérer qu’en dix-huit mois minimum. Cinq établissements (dont quatre américains et un français, Grenoble EM) proposent ce programme. « Pour le moment, un seul candidat est inscrit. En 2008, nous devons en convaincre 150 », indique Jean-Jacques Chanaron, responsable du programme doctoral de l’école. La pénurie n’est donc pas près de se résorber !

Un docteur très désiré

Wouter Dessein est un homme courtisé ! À 33 ans, ce Belge fait partie des stars que les universités s’arrachent. Après un doctorat franco-belge, cet enseignant chercheur en économie des organisations a tenté sa chance aux États-Unis. « Je suis allé passer des auditions dans différentes universités comme Stanford et Chicago avec des lettres de recommandation de mes mentors. » Recruté par l’université de Chicago en 2001, l’une des plus cotées au monde, il vit depuis septembre dernier en France. L’École d’économie de Toulouse a réussi à le faire revenir pour… un an. Le temps de prendre la direction d’une chaire de recherche senior. « C’était l’occasion de revenir en Europe dans de bonnes conditions, note le trentenaire. L’équipe de Toulouse est l’une des plus réputées en Europe. Mais l’université de Chicago reste mon employeur. » Toulouse a tout fait pour lui assurer un séjour sur mesure avec un emploi du temps consacré pour l’essentiel à la recherche. Cette halte européenne permet à Wouter de préparer la suite de sa carrière. « Je vise la tenure. Dans le système américain, cela correspond à une titularisation par ses pairs, explique-t-il. Le marché américain est très dur. C’est le modèle du up or out. Si, au bout de sept à huit ans, un professeur associé ne décroche pas sa titularisation, sa carrière est en stand-by. » Wouter semble plutôt bien parti. L’université Columbia, à New York, a lancé la procédure de titularisation. Elle l’a invité à passer un mois sur le campus pour voir si le courant passait bien avec les profs. Mais Chicago et Toulouse ne devraient pas rester sans bouger pour le convaincre de rester chez elles.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy