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Vie des entreprises

Ruptures négociées

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.03.2008 | Jean-Emmanuel Ray

Plutôt qu’un nouveau mode de rupture du contrat de travail, la résiliation conventionnelle, versus l’ANI du 11 janvier 2008, apparaît plutôt comme une sécurisation juridique de la pratique des « licenciements transactionnels ». L’originalité du dispositif ? Son homologation par l’administration du travail, une façon habile de contourner le contentieux judiciaire.

L’innovation majeure de l’accord du 11 janvier 2008, c’est la rupture conventionnelle. Ce concept de séparabilité marque un progrès souhaitable vers l’égalité entre l’employeur et l’employé. » Pour Laurence Parisot, qui en avait fait son cheval de bataille, ce « mode de séparation exclusif de la démission et du licenciement » (article 12) est un acquis essentiel. Mais de quel point de vue ? Il n’est nouveau ni en droit (Code civil de 1804, convention de conversion hier et congé de mobilité aujourd’hui) ni en fait. En particulier pour les cadres, les « départs minute » et autres « licenciements transactionnels » existaient bien avant l’accord du 11 janvier 2008, dans des conditions parfois hasardeuses pour le salarié.

Avec son délai de rétractation puis l’homologation par le DDTE, la rupture amiable façon 2008 constitue une protection nouvelle, mais qui n’exclue pas l’ancienne : rien n’interdit de signer une résiliation conventionnelle classique (RC1).

Mais va-t-elle survivre à cette concurrence déloyale ? Car, avec son droit automatique aux allocations chômage, cette RC2-article 12 va phagocyter la RC1, encourageant même des collusions frauduleuses : un futur démissionnaire demandera par exemple à son employeur, pas mécontent de pouvoir faciliter ce départ, de passer par cette troisième voie pour avoir droit à l’Assedic, sur le dos de celle-ci.

RUPTURE IDÉOLOGIQUE

Comme le souligne la présidente du Medef, cet accord donnant-donnant et d’égal à égal veut aussi signifier que le vieux droit du travail destiné à protéger le collectif ouvrier décrit par Dickens ou Zola est dépassé. Que promu l’égal de l’employeur, le collaborateur du IIIe millénaire peut négocier lui-même tout ce qui le concerne.

« Cette rupture conventionnelle s’inscrit dans le cadre collectif suivant » : malgré ce rappel, l’ANI légitime cette refondation sociale aux yeux de l’opinion. Dans notre société d’individus et d’individualisation des relations de travail, il s’agit aussi d’un nouveau pas vers l’opt-out au sens large : la future possibilité pour tout salarié de renoncer librement et volontairement à certains aspects de sa protection légale, voire conventionnelle, contre d’autres avantages contractuellement négociés « de gré à gré ».

UNE PROCÉDURE VOULANT ÉVITER TOUT PROCÈS

Comme l’indique l’accord du 11 janvier 2008, « ce processus fait l’objet d’un formulaire type reprenant les trois étapes : première discussion entre les parties, signature de la convention, homologation de l’accord par le DDTE ».

Ce processus en trois temps, conçu, à l’instar du contrat de projet, sous le sigle TSL (tout sauf un licenciement), est cependant plus complexe que la procédure de licenciement. Mais c’était le prix à payer pour tenter d’éviter tout contentieux.

• Lors des négociations, le salarié peut se faire assister par les mêmes personnes que pour l’entretien préalable : collègue, délégué, conseiller dans les PME. Mais s’il fait usage de cette faculté (où il sera forcément question d’argent), l’employeur pourra lui même se faire assister : égalité de traitement, vous dis-je. En particulier dans les PME, on peut imaginer qu’il fera appel à un expert-comptable ou à un avocat, nettement plus efficaces dans cette négociation.

Question : pourra-t-on en rester là si les pourparlers échouent ? Continuer à travailler ensemble après avoir négocié une séparation n’est guère facile, et un autre mode de rupture sera sans doute envisagé par au moins l’une des deux parties. Car, malgré la lettre de l’ANI (« elle ne peut être imposée de façon unilatérale par l’une ou l’autre des parties »), rarissime est l’hypothèse dans laquelle les deux veulent se séparer au même moment aux mêmes conditions : l’une d’entre elles voulant la rupture plus que l’autre, elle devra en prendre l’initiative. Et l’employeur devra prendre soin de ne pas devoir un jour en assumer l’imputabilité. Ainsi de celui « mettant la pression » pour obtenir ce départ volontaire… Un juge pourrait y voir un vice du consentement et annuler la convention : l’initiative de la rupture, désormais acquise, émanant de la partie patronale, requalification en licenciement, avec indemnités et automatiquement dénué de cause réelle et sérieuse.

• Droit de rétractation pendant quinze jours après la signature, à l’instar du droit de la consommation. S’il est effectivement utile que le salarié puisse en faire à froid le bilan coût/avantages, aujourd’hui et demain, le collaborateur facétieux annonçant au quatorzième jour qu’il renonce finalement à toute l’opération a quelque souci à se faire.

• L’accord doit ensuite être « homologué » par le DDTE. Ayant reçu le formulaire type rempli par les deux parties, ce dernier doit répondre dans un « délai préfix de quinze jours calendaires à l’issue duquel son silence vaudra acceptation ». Pour les plus anciens lecteurs de LSM, cette abracadabrantesque nouveauté est rafraîchissante : la suppression de toute intervention de l’administration en matière de licenciement obtenue de haute lutte par le CNPF en 1986 est donc remise en cause par le Medef, dans des conditions incertaines, à l’aide de fonctionnaires encore à former. Mais elle est surtout en opposition avec la politique de retour sur le terrain de l’administration du travail initiée par Gérard Larcher et poursuivie par Xavier Bertrand grâce à l’aide précieuse de Jean-Denis Combrexelle et des services de la Direction générale du travail du ministère.

Quel sera exactement le rôle de ce fonctionnaire qui n’en demandait pas tant ? Vérifier que la procédure a été respectée ? Que le consentement du salarié n’a pas été vicié ? Bref, un strict contrôle de légalité, comme semble l’indiquer le mot choisi (« homologation : approbation avec force exécutoire », Littré), ou aussi un peu d’opportunité ? Exemple : que fera le DDTE si la somme versée par l’entreprise lui semble ridicule vu les circonstances ? En pratique, lorsque l’employeur est manifestement à l’origine de la résiliation finalement amiable (« tu veux de l’argent tout de suite, ou payer ton avocat et attendre cinq ans un résultat judiciaire aléatoire ? ») et que le salarié ne touche que la nouvelle indemnité de rupture façon 2008 ; en cas de licenciement, il aurait eu droit en plus au préavis et peut-être à une indemnisation de six mois minimum au titre du défaut de cause réelle et sérieuse. À l’inverse, on devine ce que devra faire le DDTE si cette prétendue résiliation conventionnelle sent à plein nez la fraude d’un véritable démissionnaire ayant trouvé une oreille attentive pour obtenir les allocations chômage.

Ce contrôle administratif par le même fonctionnaire que celui chargé du contrôle des plans de sauvegarde de l’emploi incite en tout cas les entreprises à éviter de déposer plus de 10 résiliations à l’amiable en moins de trente jours hors plan de sauvegarde de l’emploi.

Contrairement aux critiques de la presse généraliste ébahie par cet imbroglio, on peut penser que cette usine à gaz construite sur plan atteindra son but : empêcher de facto et de jure le salarié de pouvoir contester la rupture. Car la décision d’homologation – qui seule confère le label RC2 permettant au salarié d’obtenir les allocations chômage – et a fortiori de refus ne constitue ni un avis ni un constat, mais une véritable décision administrative. En raison de la séparation des autorités, le salarié devra donc se tourner d’abord vers le juge administratif pour obtenir l’annulation de l’homologation. Et c’est seulement en cas de succès qu’il pourra saisir le conseil de prud’hommes et tenter d’obtenir l’annulation de la résiliation conventionnelle signée il y a… trois, cinq, voire huit ans. À moins que le législateur – vraiment facétieux à l’égard des signataires patronaux mais voulant éviter que l’homologation, ne se confondant pas avec l’acte de droit privé qu’est la résiliation amiable, suscite un double contentieux – ne crée un bloc de compétences judiciaires.

• Départ du salarié aux conditions prévues par la résiliation conventionnelle. Avec, au minimum, « versement d’une indemnité spécifique non assujettie aux prélèvements sociaux et fiscaux et dont le montant ne peut être inférieur à celui de l’indemnité de rupture prévue à l’article 11 » : donc plus attractive pour les deux parties que l’indemnité de licenciement classique, et due même en cas de faute grave ou lourde du salarié.

RUPTURE CONVENTIONNELLE POUR MOTIF ECONOMIQUE ?

« La rupture du contrat de travail pour motif économique peut résulter d’un départ volontaire dans le cadre d’un accord collectif mis en œuvre après consultation du comité d’entreprise. Cette rupture constitue une résiliation amiable. » Cherchant un équilibre entre les intérêts du salarié (« les indemnités prévues par l’accord de rupture ne peuvent être inférieures à celles auxquelles le salarié aurait eu droit en cas de licenciement économique », Cass. soc., 5 mars 1986) et les gains attendus par l’employeur, l’arrêt du 2 décembre 2003 a aussi voulu mettre fin à une période d’incertitudes jurisprudentielles.

En termes d’information-consultation du comité d’entreprise, l’employeur ne trouvera donc que peu d’avantages à signer des RC2 : l’ANI lui-même stipule que ses dispositions ne doivent pas « porter atteinte aux procédures de licenciements collectifs pour cause économique engagées par l’entreprise È. Et la loi de recodification du 21 janvier 2008 a rétabli l’amendement Mandon dans le nouvel article L. 1233-3 : « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant d’une cause économique. » Si l’on y ajoute nos obligations communautaires, l’aspect collectif ne devrait pas être touché par la loi future.

Il n’en va pas de même sur le plan individuel : puisqu’il ne s’agira pas d’un licenciement, le juge ne pourra en contrôler la cause réelle et sérieuse et donc, indirectement, se prononcer sur la gestion de l’entreprise. That was the question.

FLASH
Et les représentants du personnel ?

« La rupture d’un commun accord du contrat de travail d’un salarié protégé ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail, qui vérifie que les conditions légales sont remplies et s’assure du consentement du salarié. » L’arrêt du 22 janvier 2008 résonne évidemment différemment après l’accord du 11 janvier 2008. S’agissant de représentants du personnel, il confirme que toute résiliation amiable nécessite une autorisation administrative, comme le rappelle régulièrement la chambre criminelle (à la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun dont bénéficient les représentants du personnel exclut la résiliation conventionnelle de leur contrat de travail »). Mais la chambre sociale indique aussi que l’inspecteur du travail doit également vérifier l’absence de vice du consentement, « de sorte que le juge judiciaire n’a pas le pouvoir d’apprécier si les conditions légales sont remplies » : bref, un bloc de compétences pour le juge administratif. Mais, « dès lors que l’inspecteur du travail a autorisé la rupture pour motif économique, le contrat de travail d’un salarié investi d’un mandat représentatif peut être résilié amiablement dans le cadre d’un accord collectif mis en œuvre après consultation du CE », a indiqué la chambre sociale le 27 mars 2007, ne voulant pas créer de discrimination négative face à de généreux chèques départ. Généreux pour un représentant du personnel ? La prise d’acte est nettement plus rémunératrice.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray