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Politique sociale

Le RSA peine à trouver ses marques

Politique sociale | publié le : 01.03.2008 | Nadia Salem

Expérimenté dans 27 départements, le revenu de solidarité active vise à lutter contre la pauvreté en incitant les bénéficiaires de minima sociaux à retravailler. Mais sa généralisation et son financement ne sont pas acquis.

Bill Gates « emballé » par le RSA. Reçu par Nicolas Sarkozy lors de sa dernière visite en France, le patron de Microsoft s’est déclaré conquis par le revenu de solidarité active (RSA) de Martin Hirsch, le haut commissaire aux Solidarités actives. Sur le papier, le dispositif a en effet tout pour séduire. La mesure, expérimentée depuis juin 2007, vise à rendre le travail, même à temps partiel, plus rémunérateur que les revenus de l’assistance. De quoi plaire à un président de la République soucieux de remettre tout le monde au travail.

Mais, dans la pratique, le RSA bute déjà sur les moyens financiers. Le rapport de la commission Hirsch avait estimé son coût en 2005 entre 4 et 6 milliards d’euros. « Aujourd’hui, nous sommes plus sur un chiffrage de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros pour un dispositif étendu à l’ensemble du territoire national, concède Emmanuelle Wargon, la directrice de cabinet du haut commissaire aux Solidarités actives. Mais nous avons fait le choix de l’expérimentation dans un premier temps. » Et, dans cette optique, la loi travail, emploi et pouvoir d’achat (Tepa) adoptée en juillet 2007 ne prévoit que 25 millions d’euros pour le RSA avec un champ d’application sérieusement restreint. Seuls quelques bassins d’emploi dans des départements volontaires (une vingtaine à l’heure actuelle, 40 à terme) testent le dispositif. Parmi les travailleurs pauvres, seuls les titulaires de minima sociaux reprenant un emploi, le plus souvent à temps partiel, peuvent en bénéficier. Enfin, parmi ces derniers, seuls les allocataires du RMI et de l’allocation de parent isolé (API) sont éligibles au RSA. En sont exclus les bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique et ceux de l’allocation aux adultes handicapés. En réalité, le RSA ne ciblerait chaque année que 90 000 allocataires. On est très loin de l’ambition qui animait l’ancien président d’Emmaüs : améliorer le sort de 2 millions de salariés pauvres.

Impatiences contradictoires. Au cabinet de Martin Hirsch, où l’on reconnaît l’existence d’une « rupture d’égalité » momentanée due à l’expérimentation, on indique qu’« il faudra comparer les bons chiffres, ceux du RSA en 2009, lorsqu’ils concerneront l’ensemble des bénéficiaires de minima sociaux et les travailleurs pauvres sur tout le territoire ». Le RSA fait l’objet « d’impatiences contradictoires entre ceux qui trouvent que la généralisation prévue pour 2009 est trop précoce et ceux pour qui le dispositif se met trop lentement en place », note Emmanuelle Wargon. Des attentes compréhensibles. Pour les départements qui ont hérité en 2004 de la gestion du RMI, le système est à bout de souffle et le statu quo impossible. Le financement des politiques de solidarité (RMI, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap) pèse en effet lourd dans les budgets des conseils généraux. Ces dépenses ont plus que triplé en vingt ans, passant de 6,3 milliards en 1985 à 22,2 milliards d’euros en 2005. Le RSA pourrait donc contribuer à terme à alléger cette facture en permettant le cumul d’un revenu d’activité avec un revenu de solidarité minoré.

Au conseil général de l’Aisne, engagé dans le dispositif depuis février, on plaide d’ailleurs pour une plus grande équité au niveau national entre tous les contrats aidés. « Nous voulons parvenir à ce qu’il n’y ait plus qu’un seul contrat. » D’où un engagement résolu mais vigilant dans le nouveau dispositif. Pour l’heure, 27 départements se sont portés candidats à l’expérimentation.

L’Eure a été le premier à expérimenter grandeur nature le système. Tout est parti d’un constat : l’échec des politiques d’insertion menées depuis la création du RMI en 1988. La rencontre en 2005 entre Jean-Louis Destans, le président socialiste du conseil général, et Martin Hirsch est alors décisive. Le département normand signera en février 2006 l’une des toutes premières conventions avec l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) créée par le président d’Emmaüs. Un audit externe pointe les dysfonctionnements dans la gestion des aides, « trop cloisonnées par types de publics », selon Bernard Foucaud, délégué aux affaires sociales de l’Eure. « On s’est aperçu que 22 % des RMIstes dans le département n’avaient pas accès à la CMU », note Benoît Genuini, l’ancien président d’Accenture, qui préside aujourd’hui l’Ansa. « On a examiné toutes les aides existantes, nationales, départementales, communales, celles accordées par les associations caritatives, pour vérifier dans quelle mesure elles dissuadaient de reprendre un travail », rappelle Patricia Amiens, directrice de l’Unité territoriale d’action sociale (Utas) de Louviers. Résultat : 54 aides différentes susceptibles de partir en fumée dès la reprise d’un emploi ! « Nous avons réfléchi sur le franchissement du seuil de pauvreté au quart de temps travaillé et construit notre cible sur ce schéma », poursuit-elle.

L’Eure a recensé 54 aides différentes susceptibles de partir en fumée à la reprise d’un emploi

Une étude au cas par cas. Pour informer les 2 065 RMIstes du bassin d’emploi de Louviers, où le conseil général a choisi de déployer le dispositif, une réunion a été organisée dans chaque canton. Les dossiers ont été étudiés au cas par cas et 190 contrats RSA signés. « La différence avec le RMI, précise Patricia Amiens, c’est qu’avec le RSA on assure un accompagnement renforcé dans l’emploi. » Un plan d’action est défini avec le bénéficiaire et son référent RSA. « Nous n’avons pas, comme pour le RMI, un portefeuille défini de bénéficiaires à suivre. Il s’agit de faire du sur-mesure », confirme Christophe Lebreton, référent RSA dans le département. C’est lui qui a accompagné Alexandra Gautier, une jeune mère célibataire de 32 ans. « Financièrement, le RSA, ça change tout. Quand on touche le RMI, on n’ose pas se mettre en quête d’un emploi de peur de perdre au change. J’ai refusé de nombreuses offres pour cette raison », avoue-t-elle. Le passage du RMI au RSA s’est traduit pour elle par un gain de 300 euros. Se loger devient possible. La jeune femme a pu accéder à un logement communal et « fêter Noël à la maison ». Elle vient d’obtenir un contrat en alternance au sein de l’Utas. À la clé, une formation pour devenir conseillère en insertion professionnelle, car elle a décidé d’« aider les autres maintenant ». Surtout, le RSA confère un statut à ses bénéficiaires. C’est le cas d’Alain, qui vient d’obtenir un emploi sur un chantier d’insertion. « Avec le RSA, je n’ai plus le sentiment d’être regardé comme un assisté mais comme un travailleur à part entière », explique-t-il. Grâce à son référent qui a pu débloquer 300 euros, il s’est enfin acquitté d’une dette locative et a changé de logement. Soulagé de ces contraintes, il peut désormais se « concentrer sur son emploi ». Le RSA, c’est aussi « un système intégré qui permet des coups de pouce financiers dès que le besoin s’en fait sentir », insiste Patricia Amiens.

Partenaires principaux dans la mise en œuvre du RSA, les départements se disent pourtant attentifs à l’évolution de la mesure. Ils s’interrogent notamment sur sa généralisation prévue par le gouvernement en 2009. Pour Christophe Sirugue, président du conseil général de Saône-et-Loire et président de la commission insertion, cohésion sociale et économie solidaire de l’Assemblée des départements de France, « vouloir généraliser la mesure au bout d’un an semble prématuré ». « Nous n’avons aucune visibilité pour le moment. Les effets induits du RSA pourraient être pires que la situation actuelle si nous ne prenons pas le temps de les évaluer. »

Autre motif d’inquiétude : le financement de la mesure. L’État s’est engagé, dans le cadre de l’expérimentation, à subventionner la moitié du surcoût de l’expérience. Quid du paiement si la mesure était généralisée à l’ensemble du territoire ? Au cabinet de Martin Hirsch, on dit vouloir « engager des discussions précises avec les départements sur le partage du risque et du financement ». De son côté, Christophe Sirugue conditionne l’engagement des départements dans la prise en charge du dispositif au règlement par l’État de sa dette aux départements au titre du RMI, soit 2 milliards d’euros. Bref, un joli bras de fer en perspective.

Une prime à l’activité modulable

Au cabinet de Martin Hirsch, où l’on se refuse à opposer travailleurs et bénéficiaires de revenus de l’assistance, on assure que le RSA est conçu comme « la garantie absolue que, à salaire horaire et situation familiale donnés, les revenus soient équivalents et augmentent avec la quantité de travail, de la première jusqu’à la dernière heure ». L’expérimentation du RSA transforme les minima sociaux et l’intéressement en complément mensuel des revenus tirés de leur travail, un peu comme la prime pour l’emploi (PPE). Les travailleurs concernés ont donc des revenus du travail régularisés et ne sont plus étiquetés « assistés sociaux ».

Le RSA pour résorber la pauvreté ?

Coup de pouce au pouvoir d’achat ou véritable politique de redistribution, le RSA ? Les économistes de l’OFCE penchent plutôt pour la première option. Cette solidarité dite « active », focalisée sur la seule reprise d’activité, serait moins solidaire qu’on ne le croit. « La stagnation du pouvoir d’achat des prestations sociales est une politique de long terme en France », précise Henri Sterdyniak. En janvier 2008, ces prestations auront même « un pouvoir d’achat inférieur de 1,5 % relativement à leur niveau de janvier 2007 », selon l’économiste. À lui seul, le RMI aurait perdu, depuis sa création, 25 % de sa valeur horaire par rapport au smic horaire.

Pour Guillaume Allègre, de l’OFCE, « le RSA peut effectivement contribuer à réduire la pauvreté à court terme pour une fraction de la population qui en est victime.

Mais, à moyen terme, il ne paraît pas de nature à réduire réellement la pauvreté salariale. Il porte l’idée que la lutte contre la pauvreté des revenus passerait d’abord par des incitations monétaires à la mise au travail, peu important le travail ». De quoi encourager l’expansion des petits boulots qui, selon l’économiste, « produit la pauvreté salariale que l’on prétend combattre ». Qu’on en juge : sur 7,1 millions de personnes qui, en 2005, se trouvaient sous le seuil de pauvreté, 4,6 millions vivaient dans un ménage où un adulte au moins était en emploi ou bénéficiait d’une allocation chômage.

Selon Pierre Concialdi, sociologue à l’Ires, « il est illusoire de penser que les RMIstes vont reprendre massivement un emploi sous couvert de RSA, car une majorité d’entretiens d’embauche se solde par un refus de l’employeur ».

Mais le principal reproche fait au RSA, selon lui, c’est de se focaliser sur un aspect du RMI qui n’est pas central, à savoir le fait qu’il engendre un phénomène de « trappe à inactivité ». Selon le sociologue, des études ont fait la démonstration qu’un certain nombre de ces RMIstes sont « prêts à reprendre un travail même s’ils perdent de l’argent car, derrière l’emploi, il y a autre chose, un statut ». Seul un tiers des bénéficiaires du RMI ne cherchent pas de travail ; seulement 3 % d’entre eux expliquent cette inactivité par des raisons financières, alors que 44 % invoquent un problème de santé.

Auteur

  • Nadia Salem