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Idées

La formation continue doit-elle s’appuyer sur la branche ou l’interprofessionnel ?

Idées | Débat | publié le : 01.03.2008 |

La réforme de la formation professionnelle, achevée d’ici à la fin de l’année, devra-t-elle obéir à une logique de branche ou à une logique territoriale ? Les réponses de l’ancien directeur du Cereq, d’un consultant et du directeur général de l’Afpa.

Hugues Bertrand Directeur des études du groupe Alpha. Ancien directeur du Cereq

Il est commode et naturel pour les entreprises d’organiser leur formation continue dans un cadre de branche. Elles font appel à des personnes ayant des formations semblables, exerçant des métiers très proches, identifiés et repérés dans des référentiels communs qui alimentent la négociation collective ou les discussions avec le système éducatif. Les entreprises d’une même branche ont donc d’excellentes raisons de se doter de ressources et de dispositifs communs de formation continue, adaptés à leurs métiers, accompagnant leurs évolutions et pilotés paritairement. La branche présente en outre l’avantage d’exister et d’être préparée à jouer ce rôle. Mais avec des limites.

Tout d’abord, de plus en plus de formations visent à développer des compétences de nature transversale. Ensuite les recompositions incessantes des activités, les métissages de savoirs débordent les frontières des branches, qui peuvent devenir des obstacles aux évolutions indispensables : qu’on songe aux métiers des télécommunications, de l’audiovisuel et aux transformations radicales qui les refaçonnent. La branche à la française, étroite, centrée sur des métiers bien circonscrits, peut devenir une entrave aux évolutions nécessaires. Il faut l’intégrer dans des ensembles beaucoup plus vastes, ouverts à la détection et à la préparation d’évolutions transversales. Enfin et surtout, si on part des besoins et de l’intérêt des personnes, de leur employabilité, de la « sécurisation » de leurs parcours, le rôle de la branche change de nature et d’importance. Dans notre pays, les mobilités d’emploi en emploi, d’entreprise en entreprise s’effectuent très majoritairement au sein de territoires peu étendus. Cela n’interdit pas que ces mouvements puissent s’inscrire dans une même branche, mais en relativise le poids. Si la formation continue a vocation à être plus centrée désormais autour des personnes et de l’accompagnement de leur parcours professionnel, comme il est proclamé aujourd’hui, la dimension territoriale doit prendre une importance nouvelle et structurante.

Cet ensemble convergent de raisons fortes incite à rééquilibrer les dispositifs de la formation continue en direction des territoires. Par une concentration des branches visant à leur donner la capacité de mettre en œuvre une présence et une action territoriale autonome ; par un déplacement des ressources et de la gouvernance de la formation continue vers les territoires, dans une approche interprofessionnelle.

Olivier Mériaux Directeur de la stratégie et du développement au groupe Amnyos Consultants

Le débat autour de l’équilibre entre logique de branche et logique interprofessionnelle est un serpent de mer qui resurgit à chaque fois qu’une réforme se profile. La controverse est à nouveau d’actualité depuis la mission sénatoriale sur la formation et les prises de position très tranchées des pouvoirs publics, appelant à « abandonner » la logique de branche et à privilégier une « logique territoriale », qui serait davantage de nature à répondre aux besoins de qualification des PME et à sécuriser les trajectoires des individus. Mais le débat est obscurci par le fait que ses parties prenantes ont tendance à confondre, parfois à dessein, deux questions distinctes. La première est celle de la relation entre le centre et ses périphéries. Historiquement, les organisations professionnelles ont dupliqué les formes centralisées de l’état. Or la décentralisation au profit des régions leur impose de s’organiser face à un nouvel interlocuteur et de faire évoluer le pilotage centralisé de leurs politiques. La capacité des partenaires sociaux à remplir efficacement une fonction d’intermédiaires entre les nouveaux lieux de la décision publique et les besoins des entreprises et des salariés est aujourd’hui fortement interrogée. La « logique territoriale » est alors promue comme alternative à la centralisation excessive de la branche, sans que soit pris en compte le fait qu’il existe aussi des politiques territoriales de branche à consolider…

La seconde question est celle de la nature des qualifications produites et des espaces de mobilité délimités. Ce qui est reproché aux branches aujourd’hui est de ne pas suffisamment prendre en compte les compétences transverses à différents métiers et de se focaliser sur les qualifications les moins transférables, dans une vision trop corporatiste de la profession. Pour le salarié, cela se traduit par une difficulté à acquérir des qualifications permettant d’envisager une mobilité interbranches. C’est ici que l’appel au renforcement de la logique interprofessionnelle intervient.

Longtemps indifférents aux signes d’une inadéquation des régulations de branche, les pouvoirs publics prêchent aujourd’hui indistinctement l’à interprofessionnel » ou le « territorial ». C’est oublier un peu rapidement que les politiques de formation s’insèrent dans un système de relations sociales fortement structuré, dont on ne peut facilement s’abstraire. Et si l’état commençait par opérer des regroupements parmi les 350 conventions collectives de branche actuellement en vigueur ?

Pierre Boissier Directeur général de l’Afpa

La mobilité professionnelle est clairement un enjeu majeur pour notre pays. Une récente étude du Pôle Rhône-Alpes de l’orientation, sur la base des données de l’Insee, montre que 13 % des actifs changent chaque année de métier, et 7 % d’entre eux de secteur d’activité. Autre indicateur, l’Afpa intervient à la demande de l’ANPE pour expertiser les projets de reconversion des chômeurs : nous recevons dans ce cadre plus de 200 000 personnes par an. Si nous voulons développer la mobilité professionnelle, nous devrons nous doter d’outils partagés pour la gestion des portefeuilles de compétences et de la transférabilité des savoir-faire. Il ne peut notamment y avoir de comparaison des compétences acquises dans les différents métiers que si le langage utilisé pour les décrire est le même pour tous. Or, aujourd’hui, l’Éducation nationale, les ministères, les branches professionnelles, chacun utilise ses propres références pour décrire les métiers : la mobilité professionnelle ne peut qu’être difficile.

Pour sortir de cette situation, il faut fermement développer les approches interprofessionnelles. On pourrait également imaginer la mise en place de pôles territoriaux des compétences : ces pôles de ressources pourraient prendre la forme de plates-formes spécialisées dans les problématiques de gestion des compétences. Elles pourraient intervenir au profit des demandeurs d’emploi sur prescription des personnels de l’opérateur résultant de la fusion de l’ANPE et des Assedic, dès lors que ceux-là seraient confrontés à un problème de reconversion professionnelle ; elles pourraient également, en lien avec les organismes mutualisateurs, informer et accompagner les entreprises, et notamment les plus petites d’entre elles.

Pour autant, il ne faudrait pas laisser le balancier aller trop loin dans le sens de l’interprofession : tout est une question d’équilibre, car ce sont les branches qui sont les mieux placées pour conna"tre les besoins en compétences des entreprises. Si la méthodologie de description des métiers et la mise à disposition d’outils de gestion des compétences doivent à l’évidence être spécifiées de manière interprofessionnelle, c’est généralement, sauf pour certains métiers transversaux, à chaque branche qu’il appartient de définir les contenus de ses métiers. Nul n’est mieux placé que les entreprises du bâtiment pour fixer les compétences requises d’un plaquiste. C’est en définitive un équilibre entre la branche et l’interprofession qu’il reste à trouver.