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Enquête

Les solutions américaines pour vivre mieux

Enquête | publié le : 01.03.2008 | Isabelle Lesniak

Horaires choisis, télétravail, semaine raccourcie… Au pays des workaholics, des entreprises innovent et y trouvent leur compte. Leurs pratiques pour alléger et améliorer le travail font rêver plus d’un salarié.

Heureuse salariée que Dawn Bryant ! Cadre supérieure chez Best Buy – le plus gros distributeur américain de produits électroniques –, elle quittera le travail vers 14 heures ce vendredi. La semaine prochaine, elle travaillera de chez elle mercredi et jeudi pour superviser en parallèle la rénovation de ses parquets. « Mais je reste joignable à tout moment », s’empresse de préciser la jeune femme. « J’ai un employeur formidable qui a compris qu’il valait mieux mesurer les résultats de ses salariés plutôt que le temps passé vissés à leur siège. » La 72e entreprise des États-Unis, qui réalise 30 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, est sans doute celle qui est allée le plus loin dans la remise en cause des horaires à rallonge si courants dans la corporate America. Depuis 1995, elle a instauré une « culture totale du résultat » via son programme baptisé results-only work environment. Les 2 400 salariés de son siège de Richfield, dans le Minnesota, sont libres de travailler où ils veulent, quand ils veulent du moment qu’ils sont efficaces. Ce sont leurs performances et non leurs horaires qui déterminent leur rémunération, comme dans les hôtels Marriott, qui ont commencé à payer les femmes de ménage sur la base du nombre de chambres nettoyées… D’après les ressources humaines de Best Buy, la plupart des employés ne passent au siège qu’une fois par semaine ; les trois quarts travaillent régulièrement en dehors. Cette flexibilité a permis d’améliorer la productivité – elle a progressé de 35 %, un salarié « à distance » traitant en moyenne 13 à 18 % de commandes en plus qu’au siège – et de fidéliser le personnel – le turnover a baissé de 50 à 90 % selon les fonctions…

La qualité plus que la quantité. Si ce conte de fées a fait les gros titres de la presse, du Time à Business Week, c’est qu’il fait rêver une main-d’œuvre majoritairement abonnée à de longues journées de travail… Comme l’a encore montré en juin le classement du Bureau international du travail, dans tout le monde industrialisé, les États-Unis comptent le plus grand nombre de personnes travaillant au moins 40 heures hebdomadaires alors que la durée en France ou dans les pays scandinaves est de 30 à 39 heures. Selon Eurostat, en 2006, la semaine moyenne des Américains était de 46 heures, contre 39,1 heures pour les Français. Et ils sont nombreux, outre-Atlantique, à trimer encore davantage, surtout parmi ceux qui gagnent bien leur vie. En décembre 2006, la Harvard Business Reviewrévélait que 60 % des hauts salaires (75 000 dollars au moins pour les 25-34 ans ; 100 000 dollars au moins pour les plus âgés) travaillent plus de 50 heures par semaine, 35 % au moins 60 heures et 10 % plus de 80 heures. « Sur notre marché du travail, il n’y a que deux voies : une rapide et une lente. La première exige des horaires à rallonge et de gros sacrifices familiaux », écrit, dans son dernier ouvrage, Supercapitalism, Robert Reich, ex-secrétaire d’État au Travail de Bill Clinton et professeur à Berkeley. « Les classes moyennes ont la pression pour travailler plus parce qu’elles se sentent menacées par les travailleurs à bas salaire des pays émergents ; les cadres dirigeants parce que la concurrence n’a jamais été aussi rude pour décrocher des clients, des contrats et des investissements […]. Le défi de l’Amérique est de comprendre que la qualité du travail importe plus que la quantité », poursuit-il. Des entreprises éclairées l’ont saisi et proposent au personnel des moyens de travailler moins ou différemment pour arriver à une work-life balance satisfaisante. Selon une enquête réalisée en 2007 par la Society for Human Resource Management auprès de ses 210 000 membres, concilier vie professionnelle et vie privée est la quatrième préoccupation du cadre lors de son recrutement, juste après la rémunération, les avantages sociaux – deux critères cruciaux aux États-Unis – et la sécurité de l’emploi. 63 % des salariés sont en quête d’horaires moins lourds, confirme le Families and Work Institute, un centre de recherche new-yorkais.

Concilier vie professionnelle et vie privée serait la quatrième préoccupation du cadre lors de son recrutement, après la rémunération, les avantages sociaux et la sécurité de l’emploi

Flexibilité et télétravail. « Ces dix dernières années, un nombre impressionnant d’entreprises se sont mises à offrir de la flexibilité », constate Lindsay Nelson, du Great Place to Work Institute, ce centre de San Francisco à l’origine du classement très médiatisé des « sociétés où il fait bon travailler ». « Parmi les 100 meilleures compagnies, 85 pratiquent les horaires flexibles, 82 le télétravail et 79 ont raccourci la semaine de travail. » 1 600 des 23 000 auditeurs et juristes d’Ernst & Young bénéficient d’emplois du temps atypiques dans le cadre des flexible work arrangements lancés au milieu des années 90 ; la moitié des effectifs est accro au télétravail. En 2005, la banque Capital One a lancé « le futur du travail », un programme qui permet aux cadres de définir comment et où ils travaillent le mieux. Ceux qui préfèrent gérer leurs dossiers à domicile se voient attribuer BlackBerry et ordinateurs portables. Les supermarchés bio Stew Leonard permettent aux mamans de partir vers 14 h 30, avant la sortie de l’école. Elles peuvent faire l’impasse sur la nuit, le week-end et les vacances – périodes où les étudiants les remplacent. La banque d’investissement Lehman Brothers individualise les horaires des cadres mères de famille…

Plus révolutionnaire encore dans cette no vacation nation : le californien Netflix, leader mondial de la location de DVD sur Internet, propose à ses 400 cadres salariés « autant de vacances qu’ils en ont besoin tant que leur travail est bien fait et qu’ils préviennent leur hiérarchie ». « Nous voulons dans nos rangs des salariés motivés, créatifs et dynamiques. La question de leurs jours de congé est incongrue, nous ne les contrôlons même pas », témoigne le vice-président Steve Swasey, qui aime à rappeler le slogan de son patron, Reed Hastings : « Les congés fixes et le temps de présence obligatoire sont des vestiges de l’ère industrielle. » Steve prétend ne pas se rappeler combien de vacances il a pris l’an dernier : « J’ai bien emmené ma femme et mes deux grands garçons en Asie pendant deux semaines mais je suis resté connecté via mon BlackBerry, cela n’a dérangé personne. »

Toute naturelle qu’elle leur semble, une pause de 15 jours consécutifs est réservée à 10 % des Américains, d’après le consultant Hewitt Associates… Selon le Families and Work Institute, le salarié outre-Atlantique ne prend en moyenne que 14,6 jours de congé par an, souvent fractionné en minivacances. Et 37 % de la main-d’œuvre s’arrête moins de 7 jours, « au risque de renforcer son stress et son amertume envers la hiérarchie et les collègues ». Mais un grand nombre d’entreprises ont compris l’intérêt de ne pas trop pressurer les cadres – un moyen de préserver leur potentiel et de les fidéliser. « Les travailleurs américains sont parmi les plus productifs de la planète, mais ne jamais décrocher produit des salariés burnout [victimes d’épuisement professionnel], moins efficaces et moins loyaux envers leur employeur », résume Susan Meisinger, présidente de la Society for Human Ressource Management…

DEBBIE, 39 ANS, CADRE BANCAIRE CHEZ CIT
50 heures par semaine 20 jours de congé

Un bagel et du thé devant l’écran d’ordinateur. Voilà le petit déjeuner de Debbie, 39 ans, cadre chargée de la publicité chez CIT, lorsqu’elle travaille à Manhattan. « Mon sommeil est sacré. Je préfère quitter la maison à 7 h 30 et manger au bureau à 9 heures. » Pour rejoindre le siège de cette entreprise de services financiers et commerciaux dans la 42e Avenue de New York depuis Chatham, bourgade du New Jersey où elle réside, Debbie fait une heure et demie de voiture. « Je profite des embouteillages pour consulter sur mon BlackBerry les premiers des 200 e-mails que je reçois chaque jour. » Responsable d’un budget de 15 millions de dollars en 2007 et d’une équipe de 20 personnes, elle ne compte pas ses heures, une cinquantaine par semaine. La journée, elle enchaîne réunions et conférences téléphoniques. Le déjeuner est pris sur le pouce. Des pauses ? « Deux ou trois, pour fumer une cigarette, pas plus de 5 minutes », note la quadra, qui a décroché à 20 ans son premier emploi dans la pub. « Je n’imagine pas lever le pied, je suis heureuse ainsi, explique Debbie, rémunérée 101 700 euros par an, bonus compris. C’est vrai que je ne vois pas beaucoup mes enfants en semaine. Je les couche à 21 heures pour passer du temps avec eux. » La souplesse d’organisation que CIT autorise l’aide à concilier vie professionnelle et vie familiale. « J’ai deux bureaux : le premier à Manhattan et le second dans le New Jersey, à 10 minutes de mon domicile. Quand j’y travaille, je peux déposer ma fille de 6 ans à l’école à 8 h 15 et je m’arrange, le soir, pour la récupérer à 18 heures. » Le soir, Debbie vérifie encore ses mails. Mais elle se considère privilégiée. « Avoir 20 jours de congés payés et 3 personal days est une chance. » Elle dispose également de congés en cas de maladie. Inutile de demander combien : « Quand je suis malade, je travaille à la maison. »

Sylvie Deroche, à New York

Le best-seller de l’année, la Semaine de 4 heures

S’enrichir en travaillant 4 heures par semaine, c’est possible, d’après Timothy Ferriss, un « entrepreneur vagabond » et globe-trotteur de 29 ans, auteur du best-seller de 2007. Sorti en avril dernier, The 4-Hour Workweek (« la semaine de quatre heures ») s’est rapidement classé parmi les meilleures ventes des palmarès qui comptent, du New York Times au Wall Street Journalen passant par BusinessWeek, malgré l’absence de promotion. Dans ce premier livre « refusé par 13 ou 14 éditeurs », cet ancien élève de Princeton explique sa transfiguration de « drogué du travail » trimant 80 heures par semaine pour gagner 27 000 euros par an en « nouveau riche » aux horaires légers et à la rémunération sympathique (27 000 euros… par mois !). Tour à tour forçat de l’informatique, patron d’une société commercialisant un « produit dopant pour le cerveau », BrainQuicken, conférencier, champion de kick boxing et danseur de tango, Ferriss juge totalement dépassé le « 9 heures-17 heures au bureau » et exhorte ses lecteurs à mieux utiliser les deux ressources à leur disposition : le temps et la mobilité. Parmi ses petits trucs pour « travailler moins et vivre plus » : négocier un contrat de télétravail « qui permet d’expédier 90 % de la charge de travail en un dixième de temps » ; ne vérifier ses e-mails que deux fois par jour ; sous-traiter au maximum ; et surtout bien appliquer la loi de Pareto qui consiste à séparer les problèmes vitaux des questions secondaires pour concentrer son énergie sur les premiers…

SYLVIE, QUADRA, RESPONSABLE RÉSEAU CHEZ LCL
60 heures par semaine 36 jours de congé

Après 20 ans dans l’établissement bancaire, Sylvie est désormais cadre supérieure. Elle encadre près de 200 personnes. Cette quadra dit ne pas compter ses heures, qu’elle évalue à près de 60 par semaine : « En moyenne, j’arrive à 8 heures le matin et pars souvent à 20 heures. ». Outre ses 25 jours de congé annuel, Sylvie est soumise à un forfait jours, qui comprend 11 jours de RTT. S’y ajoutent quelques journées exceptionnelles pour enfant malade ou déménagement. « Étant donné tout ce que je dois faire, j’ai beaucoup de mal à poser tous mes jours, alors j’alimente mon compte épargne temps. » Ce pactole d’une dizaine de jours, Sylvie espère ensuite le « monétiserr », ou encore le capitaliser jusqu’à la retraite. « Grâce à ce système, j’ai vu des salariés partir 2 à 3 mois avant la date fixée. C’est intéressant. » Le week-end, Sylvie travaille rarement. Pourtant, lorsqu’elle a pris un nouveau poste, elle se souvient, les premiers mois, être allée sur le terrain certains samedis matin. « Mais mon employeur ne m’y encourageait pas plus que cela. Il ne faisait pas pression », précise-t-elle. Équipée comme la plupart du personnel de management d’un PDA et d’un ordinateur portable, elle avoue cependant consulter régulièrement sa messagerie professionnelle de chez elle. Un investissement qu’elle estime naturel, au regard de sa fiche de paie. Sylvie gagne 70 000 euros annuels, auxquels s’ajoutent, en moyenne, 15 000 euros de part variable. Enfin, il arrive que des formations de management de haut niveau lui soient proposées. « Ce sont des éléments de valorisation motivants, qui ont un coût pour l’employeur. »

Fanny Guinochet

Auteur

  • Isabelle Lesniak