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La France veut travailler plus, l’Amérique moins

Enquête | publié le : 01.03.2008 | Anne Fairise

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La France veut travailler plus, l’Amérique moins

Crédit photo Anne Fairise

À bas les horaires à rallonge ! Le groupe américain Best Buy défraie la chronique outre-Atlantique. Pour favoriser l’implication et la productivité de ses salariés, ce gros distributeur de produits électroniques, basé dans le Minnesota, a décidé de les exonérer de toute obligation horaire. Et s’est retrouvé propulsé à la une des médias américains comme chef de file d’une Amérique du « vivre mieux » qui souhaite privilégier la qualité du travail à la quantité, travailler moins et différemment.

Nicolas Sarkozy ne connaît probablement pas cette nouvelle facette des États-Unis, absorbé qu’il est à impulser le mouvement contraire, inciter à « travailler plus ». Il n’a pas chômé avec, à son actif déjà, deux réformes, l’une sur les heures supplémentaires, entrée en vigueur en octobre, et une deuxième sur le rachat des jours de RTT, effective depuis le 11 février. Ce n’est pas fini : une troisième loi, autorisant les entreprises à s’affranchir, par accord majoritaire, des accords de branche sur la durée maximale du travail est attendue après les municipales. Et il y a encore la réforme annoncée du travail du dimanche, également plébiscitée par la commission Attali sur la croissance qui, dans la querelle idéologique sur le temps de travail, a tranché en faveur de la position libérale.

340 heures de moins que les Américains. « Contrairement à ce qui était communément admis, ce n’est pas seulement la croissance qui crée l’emploi, c’est aussi le travail qui crée la croissance. À productivité égale, la quantité de travail fournie par chaque Français en une année est inférieure de 30 % à ce qu’elle est outre-Atlantique », commentent les 42 experts de la commission. L’équation est simple, vu le faible nombre d’heures travaillées dans l’Hexagone. Difficile de tenir les comparaisons internationales : les salariés français (temps plein et temps partiel confondus) travaillent en moyenne 1 468 heures par an, 340 de moins que les Américains, et 800 de moins que les Coréens, champions toutes catégories selon l’OCDE.

Reste que les lois Aubry font une cible facile. « La durée individuelle du travail n’explique que 40 % de l’écart » d’heures annuelles travaillées entre la France et les pays anglo-saxons, notent Philippe Aghion, Gilbert Cette, Élie Cohen et Jean Pisany-Ferry dans un rapport au Conseil d’analyse économique sur les leviers de la croissance française. La question centrale demeure le niveau d’activité. Car la mobilisation de la population en âge de travailler est très inférieure dans l’Hexagone à ce qu’elle est aux États-Unis, en raison du faible taux d’emploi des 15-24 ans et des plus de 55 ans. Mais exonérer les heures supplémentaires de charges sociales, et les défiscaliser, n’apparaît pas une méthode efficace pour inciter jeunes et seniors à travailler. Au contraire, puisque la mesure privilégie les heures sup des gens déjà en emploi plutôt que le recrutement !

C’est là aussi que le bât blesse pour les quatre économistes, partagés sur les effets de ces assouplissements des 35 heures dans la course à la croissance. Le succès de ces mesures – et donc l’augmentation effective de la durée du travail – dépend de tellement d’arbitrages… Il faut, à la fois, que les entreprises offrent plus d’heures supplémentaires à leurs salariés et que ces derniers privilégient le revenu aux loisirs. Ou que les sociétés aient la capacité financière de racheter des jours de RTT et que les salariés préfèrent monétiser ces droits à congé plutôt que de les faire valoir. À défaut, ces mesures, notamment celle sur les heures sup, se limiteront à des effets d’aubaine, sans impact sur la durée du travail, et seront très coûteuses pour les finances publiques. N’en profiteront que les entreprises et les salariés qui, même sans incitation, auraient fait des heures supplémentaires. Ce qui est déjà le cas (voir page 20). On l’a compris, le « travailler plus » n’a pas encore les vertus d’un remède miracle pour relancer la croissance. Plus que tout, ce choix politique entend sacrifier la singularité du modèle français du temps de travail. Modèle qu’une certaine Amérique, fatiguée des journées à rallonge, nous envie aujourd’hui.

Les Américains travaillent 46 heures par semaine en moyennes, les Français 39 heures. Ils ont 14 jours de congé par an contre 36 dans l’Hexagone. Pas étonnant que les premiers aspirent à en faire moins quand les seconds sont incités à faire des heures sup et à monétiser leurs RTT.

Source : Eurostat, Harris Interactive.

Auteur

  • Anne Fairise