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“Les DRH ont déserté l’organisation du travail”

Actu | Entretien | publié le : 01.03.2008 | Sandrine Foulon, Fanny Guinochet

Pour cet intervenant issu de l’entreprise, les DRH sont entrées dans une logique bureaucratique et ne jouent pas leur rôle d’alerte sur les dysfonctionnements.

À la lumière des missions que vous menez en entreprise, le métier de DRH a-t-il évolué ?

À l’évidence, s’il y a un champ que les responsables des ressources humaines ont déserté, c’est bien celui de l’organisation du travail. Alors que, dans les années 80, ils s’étaient beaucoup investis sur le sujet, on constate aujourd’hui un grand vide ; une absence d’analyse du fonctionnement concret des organisations, des approches ergonomiques… Ils ont laissé les consultants en stratégie imposer de nouvelles formes de travail, telles les organisations matricielles.

Comment expliquer cette désertion ?

Dès la fin des années 90, le développement des questions juridiques liées à l’évolution du droit social a considérablement pesé. Sur le seul dossier de la réduction du temps de travail, l’expertise requise est effroyablement complexe. Les équipes RH sont noyées sous les aspects techniques des dossiers. Et, dans un contexte de réduction des services de ressources humaines, qui répondent eux aussi à une exigence de productivité, les profils dominants sont juridiques. Les entreprises recrutent les experts en adéquation avec les dossiers à traiter.

Pourtant, les services RH disposent de plus en plus d’outils, de tableaux de bord…

Justement, cette vision technico-administrative de la fonction est renforcée par le recours à des outils de plus en plus sophistiqués. Prenez les entretiens annuels d’évaluation et tous ces beaux supports. Combien sont réellement exploités ? Idem pour la GPEC et ses référentiels des métiers et des compétences. L’hypertrophie de ces outils nourrit une machinerie lourde et les équipes RH finissent par tourner sur elles-mêmes. La fonction s’éloigne des préoccupations des salariés et des managers. Le responsable RH est perçu comme celui qui explique « pourquoi on ne pourra pas faire » et non pas comme celui qui propose des solutions.

Pourquoi les équipes de ressources humaines se sont-elles éloignées du terrain ?

Elles sont entrées dans une logique bureaucratique de process et de procédures. En outre, dès la fin des années 90, également, elles ont privilégié l’approche individuelle. Le collectif est passé au second plan. On ne parlait plus que de gestion individuelle. Mais il n’est guère évident que ce mouvement se soit traduit par une efficacité collective à hauteur des ambitions. Or, à l’heure où les risques psychosociaux font l’actualité, qui porte cette efficacité collective ? Ce ne sont plus les RH.

Sous la pression des CHSCT qui alertent sur ces risques psychosociaux, les RH peuvent-elles réinvestir l’organisation du travail ?

Chacun est dans son rôle. Ce n’est pas parce que les élus du personnel multiplient les demandes d’expertise sur le stress ou la charge de travail que les équipes RH s’emparent réellement du sujet. Néanmoins, on ne peut que les encourager à le faire. Elles doivent sortir des bureaux afin de pointer les dysfonctionnements des organisations de travail. Les salariés travaillent par exemple sur plusieurs projets et sont sans cesse confrontés à des conflits de priorité. Tout devient prioritaire et il n’y a plus personne pour procéder aux arbitrages. Quant à la primauté des objectifs, elle reste trop forte. Nous sommes souvent dans un management par injonction : les managers relaient des objectifs non négociables sans que le « comment » soit esquissé. La fonction RH devrait justement être à l’écoute des difficultés des managers, des salariés, porter un regard critique sur les dysfonctionnements et proposer des solutions efficaces.

Ce qui peut aller, selon vous, jusqu’à s’opposer à la stratégie de l’entreprise ?

Il faut avoir le courage de porter certains messages dérangeants. Les RH ont un devoir d’alerte auprès des managers. Elles gagneront ainsi leur crédibilité pas à pas. Le système est à bout de souffle et c’est une formidable opportunité pour elles de regagner cette légitimité. Il est nécessaire d’abandonner la réflexion en chambre et de revenir au concret : comment organiser un plateau de travail, un centre d’appels, un groupe de projet… C’est la seule manière pour elles de ne pas se retrouver confinées à l’administratif et aux relations sociales. Dans les pays anglo-saxons, en revanche, les RH sont davantage associées aux décisions car la notion de partenariat entre managers et salariés est mieux assumée. Le facteur humain et les moyens pour atteindre les objectifs sont bien plus pris en considération.

JEAN-PIERRE BASILIEN

Directeur du centre d’expertise dialogue social et organisation RH à Entreprise & Personnel.

PARCOURS

Jean-Pierre Basilien, 53 ans, a effectué plusieurs allers-retours entre ce cabinet d’études et l’entreprise. De 1982 à 1995, il a occupé des postes de responsable RH à Rhône-Poulenc. En 2000, il rejoint Aventis Pharma, où il sera notamment DRH du site de Romainville. Puis, en 2003, il devient DRH des réseaux de l’assurance maladie, où il restera deux ans avant de rejoindre à nouveau E & P.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Fanny Guinochet