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Vie des entreprises

L'essai et ses chausse-trapes

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.02.2000 | Jean-Emmanuel Ray

L'essai est d'une extrême précarité, chaque partie pouvant y mettre fin à tout moment et sans procédure. Afin de protéger le salarié, la Cour de cassation a fixé certaines limites à son utilisation, qu'il s'agisse par exemple de son point de départ, de sa prolongation ou de son renouvellement.

« Essai : épreuve que l'on faisait subir aux novices dans certaines communautés religieuses. »

Différent du très bref essai professionnel comme de la période probatoire à la suite d'une mobilité, l'essai se caractérise par une extrême précarité. À tout moment et en principe sans procédure, chaque partie peut y mettre un terme immédiat. Or le Code n'en dit que quelques mots, en particulier à propos des CDD : il est vrai que l'enjeu est alors particulièrement important puisqu'une rupture fautive permettra au salarié de toucher tous les salaires à courir jusqu'à l'échéance.

La source limitée de l'essai

« L'essai ne peut résulter que du contrat de travail ou de la convention collective et ne peut être institué par un usage. » Le revirement opéré par l'arrêt du 23 novembre 1999 fixe une nouvelle règle, bien dans la ligne actuelle de la chambre sociale. Dès l'embauche, le salarié doit savoir exactement ce qui l'attend : à défaut de stipulations expresses, il n'y a donc pas d'essai.

Dans la pratique, tout dépendra de la précision de ces stipulations : si la convention collective l'impose automatiquement pour telle catégorie professionnelle, point besoin d'un relais contractuel. Si, au contraire, il s'agit d'une simple possibilité, « il faut un accord des parties sur l'existence de la période d'essai, que la convention collective ne rendait pas obligatoire » (Cass. soc., 26 octobre 1999).

La durée de l'essai

Point de départ. La multiplication des contrats de qualification ou des périodes de formation avant prise de fonctions avait incité certaines entreprises à faire commencer l'essai après, lorsque le salarié occupe effectivement son poste. L'arrêt Lelièvre du 27 octobre 1999 rappelle que rien ne sert de courir, il faut partir à point : « La période d'essai se situe au commencement de l'exécution du contrat de travail. » Et cette règle est d'ordre public : « Les parties ne peuvent convenir d'en différer le point de départ. »

Éventuelle prolongation. « La période d'essai ayant pour but de permettre l'appréciation des qualités du salarié, elle est prolongée du temps de l'absence de celui-ci » : en l'espèce des deux jours de sélection militaire, plus des trois jours de fermeture de l'entreprise (Cass. soc., 26 octobre 1999). Mais cela pourrait être également le cas si le salarié tombe malade ou, vieux cas d'école, s'il est gréviste (!). Rappelons enfin que pour les CDD la durée légale maximale de l'essai est de deux semaines si le contrat est d'une durée de six mois, et d'un mois maximum au-delà. Pour un CDD de douze mois, il est donc impératif de voir rapidement si le salarié fait l'affaire, une rupture un jour trop tard pouvant, hors faute grave dûment notifiée, entraîner le versement de onze mois de salaire plus l'indemnité de fin de contrat. De quoi rendre jaloux les CDI.

Renouvellement. En droit social, faut-il être social ? Ainsi d'un employeur de bonne volonté voyant un tout jeune embauché connaître quelques difficultés : la rupture serait légitime. Mais le potentiel est là : il renouvelle l'essai, alors que cette possibilité n'était pas prévue par le contrat initial (Cass. soc., 10 novembre 1998), ou nécessitait un accord exprès qui n'a pas été obtenu (Cass. soc., 24 novembre 1999). Même si le salarié avait accepté cette seconde chance (Cass. soc., 6 juin 1999) et a fortiori poursuivi le travail sans rien dire (Cass. soc., 7 avril 1999), il s'agira, en cas de rupture, d'un licenciement, prononcé généralement sans procédure et sans notification motivée.

Rupture de l'essai

Comme l'indique l'article L. 122-4, elle ne constitue ni une démission ni un licenciement… Est-ce à dire qu'elle n'entraîne aucune procédure ? Certaines conventions collectives alliant droit et savoir-vivre prévoient un délai de prévenance entre la notification de la rupture et le départ de l'entreprise. Quid en cas de non-respect ? « Il n'a pas pour effet de rendre le contrat définitif, le salarié ne pouvant prétendre qu'à une indemnité compensatrice du préavis non effectué » (Cass. soc., 29 juin 1999).

Reste pour l'instant sans réponse la question de l'éventuelle procédure disciplinaire à suivre en cas de rupture de l'essai pour faute. Si, manifestement, la rupture de l'essai dans cette hypothèse constitue « une mesure […] qui affecte la présence du salarié dans l'entreprise » (C. trav., art. L. 122-40), le législateur ne semble pas du tout avoir visé ce cas de figure. Mais la chambre sociale appliquant la procédure disciplinaire à la rupture anticipée du CDD (Cass. soc., 16 février 1999), il n'est pas exclu qu'elle l'exige un jour pour l'essai… ce qui risquerait d'améliorer les performances des salariés en cause, leur faute disparaissant alors comme par enchantement, et la procédure avec.

FLASH

Différenciations licites et discriminations illégales : mode d'emploi.

« Il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes. Il incombe à l'employeur d'établir que la disparité de situation est justifiée par des critères objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. »

Le raisonnement suivi en matière d'égalité hommes/femmes par la Cour de cassation le 23 novembre 1999 peut être étendu aux autres discriminations évoquées à l'article L. 122-45, mais également depuis l'arrêt Ponsolle aux différences de rémunération entre personnes du même sexe.

Ne voulant pas, à juste titre, inverser purement et simplement la charge de la preuve – glissement insidieux fait au nom des meilleures intentions du monde mais aboutissant à créer une bien étrange mais dangereuse présomption de faute (comment prouver un fait négatif ?), sinon de culpabilité –, la chambre sociale donne un rôle essentiel au juge, qui formera son intime conviction à l'issue de cette procédure accusatoire.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray