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Repères

L'attentisme n'est plus de mise

Repères | publié le : 01.02.2000 | Denis Boissard

Lionel Jospin est, cette fois-ci, au pied du mur. Après avoir temporisé pendant plus de deux ans, il doit ce mois-ci annoncer ses « orientations générales » sur la réforme des retraites. Le Premier ministre est attendu au tournant. À la fois par une opposition qui serait trop heureuse d'exploiter une nouvelle reculade, ou des demi-mesures, en dénonçant le manque de courage et l'incurie du gouvernement. Mais aussi par les fonctionnaires et les agents du public, extrêmement chatouilleux sur la question de leurs « acquis sociaux ». La simple évocation par son prédécesseur, Alain Juppé, d'une réforme des régimes spéciaux du secteur public avait suffi à paralyser le pays en décembre 1995.

C'est dire si les marges de manœuvre du chef du gouvernement sont ténues. Ne rien faire peut écorner son image d'homme d'État, et donc compromettre ses chances lors de la présidentielle de 2002. Mais agir risque de lui aliéner une bonne partie de son électorat. Pourtant le Premier ministre n'a guère le choix. Il ne peut plus, comme ses prédécesseurs, se permettre d'attendre. Car, n'en déplaise aux détracteurs du rapport Charpin, les faits sont têtus. Les premiers gros bataillons de baby-boomers arriveront à la retraite d'ici à cinq ans. Et il y aura à l'avenir moins d'actifs pour payer les pensions de retraités de plus en plus nombreux : alors qu'il y a aujourd'hui quatre retraités pour dix cotisants, on en comptera un peu plus de cinq en 2020, plus de six en 2030 et sept en 2040. Le choc financier sur les régimes de retraite par répartition est donc inéluctable. On peut tourner le problème dans tous les sens : pour garantir la viabilité du système, il faudra soit relever les taux de cotisation pesant sur les actifs, soit baisser le niveau des pensions des retraités, soit allonger la durée du travail (et donc de cotisation) requise pour toucher une retraite à taux plein, soit – et c'est la solution la plus équitable – un cocktail entre ces trois mesures. Une certitude enfin : retarder encore la réforme interdira une mise en œuvre progressive de ces mesures et rendra la médication plus indigeste encore.

Dans ce contexte, l'euphorique rapport Teulade sur l'avenir des retraites, adopté à la mi-janvier par le Conseil économique et social (exception faite du Medef et de la CFDT), ne laisse pas d'inquiéter. L'ancien ministre socialiste a en effet trouvé la martingale pour échapper aux remèdes préconisés par le rapport Charpin : la croissance économique. « Un taux de croissance de 3,5 % d'ici à 2040 » permettrait par exemple de « stabiliser le poids des retraites dans le PIB à son niveau actuel sans recul de l'âge médian de cessation d'activité et avec une indexation des retraites sur les salaires », observe-t-il, même s'il reconnaît le caractère quelque peu volontariste de l'hypothèse ainsi avancée. L'heure n'est donc plus aux prédictions alarmistes. Pourquoi porter le fer dans la plaie, et susciter une levée de boucliers, alors que la contrainte de l'urgence se dissipe… au moins momentanément ? Non content d'écarter les mesures Charpin (un allongement à 42,5 ans de la durée de cotisation requise et un alignement des régimes spéciaux sur le régime général des salariés), René Teulade suggère de desserrer le tour de vis imposé aux salariés du privé par la réforme Balladur de 1993.

L'ex-président de la Mutualité française joue aux apprentis sorciers. D'abord parce que l'hypothèse qui sous-tend implicitement son rapport est hautement hasardeuse. Lors de ces vingt dernières années, le seuil des 3,5 % de croissance n'a été franchi qu'à deux reprises, en 1988 et en 1989. Et le reflux de la population active ainsi que le vieillissement des Français risquent, à terme, de peser sur le dynamisme de l'économie : c'est la raison pour laquelle, dans son scénario le plus optimiste, le rapport Charpin n'envisageait possible un tel taux de croissance que jusqu'en 2010.

Ensuite parce que, si la croissance peut contribuer à rendre les mesures correctrices plus indolores, elle ne suffira pas à résoudre le déséquilibre financier résultant du retournement démographique. Dans la meilleure des hypothèses – celle d'un chômage ramené à 3 % de la population active –, le rapport Charpin évaluait le déficit annuel des régimes de retraite à 220 milliards de francs en 2020 et à 600 milliards en 2040. D'ailleurs le rapport du Plan de 1989, signé par un certain… René Teulade, ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait que « la croissance de l'emploi n'est pas susceptible d'assurer, à elle seule, un équilibre spontané du système de retraite », pour en conclure que « des ajustements sont donc inévitables à l'avenir pour équilibrer le système d'assurance vieillesse ». Ce qui le conduisait alors à proposer de relever la durée de cotisation, dans le régime général et les régimes spéciaux du secteur public.

Même frappé du sceau du Conseil économique et social, le déraisonnable rapport Teulade II ne doit pas servir d'alibi au gouvernement pour différer encore l'application des sages conseils du rapport Teulade I.

Auteur

  • Denis Boissard