logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les Français ne veulent pas que les patrons quittent la Sécu

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.02.2000 | Denis Boissard

Paritarisme et dialogue social font un véritable tabac chez les Français, révèle l'enquête « Liaisons sociales » et Manpower réalisée par CSA fin décembre. Un constat qui ne peut que conforter patronat et syndicats dans leur travail de « refondation » des relations sociales.

Non, le Medef ne doit pas quitter les conseils d'administration des caisses de la Sécurité sociale. Alors que l'organisation d'Ernest-Antoine Seillière continue de brandir l'épée de Damoclès de son départ de la gestion paritaire des organismes sociaux – à défaut d'une remise à plat des relations sociales avec ses interlocuteurs syndicaux –, les Français lui délivrent un verdict sans appel. Interrogés à la fin du mois de décembre par CSA, pour Liaisons sociales et Manpower, six Français sur dix déclarent que, « dans l'état actuel des relations sociales », ils n'approuveraient pas un tel retrait. Un sur quatre seulement y serait favorable.

Non à la privatisation de la Sécu

La désapprobation est plus forte encore chez les salariés (63 %, contre 22 % d'avis contraires), et plus particulièrement chez ceux du secteur privé (65 %, contre 21 %). Et elle est d'autant plus vive que l'intéressé a un poste, un niveau de revenu ou de diplôme élevé : 74 % des cadres, 68 % des professions intermédiaires, 73 % des personnes ayant un revenu supérieur à 20 000 francs par mois, 69 % de celles dotées d'un diplôme supérieur à bac + 2 désavoueraient une sortie du patronat des régimes de Sécu.

Dernière indication intéressante : au regard de la sensibilité syndicale, les Français qui se reconnaissent proches de la CFDT sont les plus hostiles à un départ du patronat (à 71 %), tandis que ceux proches de la CGT sont les moins opposés à une telle perspective (à 57 % tout de même).

Ces résultats sont à rapprocher de notre récent sondage auprès des chefs d'entreprise (publié dans Liaisons sociales Quotidien du 17 janvier dernier) : à la même question, la moitié d'entre eux (49 % exactement) répondait par la négative (le mouvement patronal ne doit pas partir) et un quart seulement de façon positive.

Il est vrai qu'à choisir entre une gestion de la Sécu par l'État, les compagnies d'assurances ou les partenaires sociaux, les Français privilégient nettement – à 43 % – la dernière solution, contre un quart (26 %) qui opteraient pour l'étatisation des caisses de Sécurité sociale et un cinquième (19 %) pour leur privatisation. Là encore, la gestion paritaire trouve ses meilleurs supporters chez les salariés les plus qualifiés (53 % chez les cadres, 55 % dans les professions intermédiaires), chez les Français les plus diplômés (54 % au-delà de bac + 2) et aux revenus les plus élevés (58 % au-delà de 20 000 francs), ainsi qu'auprès des sympathisants de la CFDT (56 %, contre tout de même 50 % chez les proches de FO, ou 48 % parmi les partisans de la CGT).

L'État doit rester modeste

D'une manière plus générale, le paritarisme fait un tabac auprès des Français, et plus encore auprès des salariés. Les trois quarts des Français (74 %) et… les quatre cinquièmes des salariés (81 %) estiment que la cogestion actuelle des organismes sociaux par le patronat et les syndicats est plutôt une bonne chose, contre respectivement 16 % et 10 % qui pensent le contraire. Assez logiquement au regard des réponses aux questions précédentes, le paritarisme est surtout plébiscité par les cadres et les professions intermédiaires (respectivement à 86 % et 87 %), les Français les plus diplômés et les plus aisés (86 % au-delà de bac + 2 et 85 % au-delà de 20 000 francs de revenus mensuels), ainsi que les proches de la CFDT (85 %).

Et l'État ? Dans le domaine de la protection sociale, son rôle doit rester modeste, estiment les Français. Seuls un tiers d'entre eux (et 32 % des salariés) considèrent qu'il doit intervenir dans la gestion des organismes sociaux. Pratiquement un sur deux (47 % des Français et 49 % des salariés) pense qu'il ne doit s'immiscer dans cette gestion qu'en cas de crise, et 14 % (15 % des salariés) jugent qu'il ne doit jamais y mettre son grain de sel. Sans doute parce qu'ils estiment que l'État est le meilleur garant de la lutte contre les inégalités sociales, les Français les moins aisés sont les plus favorables à l'intervention étatique : 41 % de ceux ayant 5 000 francs ou moins de revenus mensuels le jugent nécessaire dans tous les cas de figure. Les plus aisés y sont les plus hostiles : 18 % d'entre eux l'excluent de façon catégorique et 54 % ne l'autorisent qu'en cas de crise des organismes de protection sociale.

Vive la politique contractuelle !

Interrogés plus précisément sur l'avenir des retraites, un dossier sur lequel Lionel Jospin doit en principe lever le voile ce mois-ci, une majorité de Français répondent qu'ils se défient de l'État (à 53 %, contre 42 % qui lui accordent leur confiance) et des organisations patronales (à 50 %, contre 35 %). En revanche, deux Français sur trois donnent dans ce domaine quitus aux syndicats (67 %, contre 27 %), vraisemblablement pour défendre leur niveau actuel de retraite, ainsi qu'aux fonds de pension (49 %, contre 36 %), sans doute pour avoir la garantie d'une pension complémentaire. Une opinion encore plus tranchée chez les salariés : 70 % font confiance aux syndicats (77 % dans le secteur public) et 50 % aux fonds de pension (52 % dans le privé), tandis que 55 % d'entre eux se méfient de l'État et 56 % du patronat. Autant dire que la prochaine réforme des régimes d'assurance vieillesse risque de ne pas être une partie de plaisir pour le Premier ministre.

La France, un pays culturellement étatiste et jacobin ? Pas tant que cela ; ou les choses sont en train de changer. Pour réguler les relations sociales dans l'entreprise, près des deux tiers des Français privilégient la négociation entre l'employeur et ses interlocuteurs syndicaux (64 %, contre 28 % qui ne leur accordent pas leur confiance). L'État, lui, ne recueille que 41 % des suffrages, une majorité de Français (52 %) se défiant de son intervention dans l'entreprise. La voie contractuelle entre les partenaires sociaux fait ses meilleurs scores chez les cadres (72 %), les plus hauts revenus (75 % au-delà de 20 000 francs de revenus mensuels), les personnes proches de la CFDT (78 %) ou celles qui votent à gauche (74 %). Mais, pour bon nombre de Français, elle n'est apparemment pas contradictoire avec une intervention législative ou réglementaire : 52 % des cadres et 55 % des gens de gauche font également confiance à l'État pour encadrer les relations sociales dans l'entreprise. Les plus hostiles à une telle intervention sont les chefs d'entreprise et les travailleurs indépendants (à 73 %), les Français proches de la droite (à 70 %) et les disciples de FO (à 59 %).

Le référendum plébiscité

La préférence accordée au contrat collectif sur la loi ou le règlement se retrouve sur les 35 heures. Les Français donnent en effet plutôt quitus à la négociation entre les partenaires sociaux (à 59 %) qu'à l'intervention de l'État (à 42 %, contre 51 % qui se déclarent méfiants) pour mettre en œuvre cette réduction du temps de travail. Mais, au sujet de cette mesure qui a des répercussions évidentes sur l'organisation de leur travail, leur salaire, leur vie extraprofessionnelle, ils plébiscitent surtout la voie du référendum : quatre Français sur cinq (81 % d'entre eux et 85 % des salariés) font toute confiance au vote du personnel. Le référendum obtient son meilleur score parmi les sympathisants de la CFDT (89 %), et l'intervention de l'État enregistre son meilleur résultat chez les proches de la CGT (56 %), les uns comme les autres manifestant par ailleurs une grande confiance dans le dialogue social (respectivement à 71 % et 70 %). Assez logiquement, l'action de l'État est, sur la question des 35 heures, perçue de façon très négative par les chefs d'entreprise et les travailleurs indépendants (à 72 %), ainsi que par les Français proches de la droite (à 69 %).

L'État légitime en cas de crise

D'une manière plus générale, dans le domaine des relations sociales, c'est – comme dans celui de la protection sociale (voir plus haut) – un État modeste qui est préféré. Seul un Français sur trois (et 35 % des salariés) estime que son intervention est totalement légitime dans les relations entre employeur et salariés. Pratiquement un sur deux (47 % des Français et 50 % des salariés) pense qu'il ne doit entrer en lice qu'en période de crise et 14 % (12 % des salariés) jugent qu'il ne doit jamais s'immiscer dans les rapports de travail. Les plus favorables à l'interventionnisme de l'État sont les salariés du public (37 %), les Français les moins riches et les moins qualifiés (42 % chez ceux ayant 5 000 francs ou moins de revenus mensuels, 38 % chez les non-diplômés), ceux proches de la CGT ou de la gauche (respectivement 39 % et 40 %). Les premiers partisans d'une immixtion limitée aux cas de crise ou de blocage des relations sociales sont les salariés du privé (53 %), les cadres et les professions intermédiaires (respectivement 53 % et 60 %), les Français les plus diplômés (55 % des bac + 2 et 57 % au-delà), ceux proches de la CFDT (52 %) ou les sympathisants de la droite (54 %).

Bref, notre sondage le montre de façon tout à fait claire, les Français sont très attachés au paritarisme et au dialogue social. Et ils rejettent aussi bien la tentation d'une étatisation que la perspective d'une privatisation de la protection sociale. Si l'intervention des pouvoirs publics n'est pas jugée illégitime en cas de crise, elle est regardée avec circonspection. Il reste aux partenaires sociaux à se montrer dignes de la confiance qui leur est accordée. C'est tout l'enjeu de la négociation sur la « refondation » du système social français qui s'engage entre le Medef et les organisations syndicales.

60 % des Français désapprouveraient un retrait du patronat des caisses de Sécurité sociale. 25 % approuveraient un tel départ. 15 % ne se prononcent pas.

43 % des Français se prononcent pour une gestion paritaire de la Sécurité sociale. 26 % pour une gestion par l'État. 12 % ne se prononcent pas. 19 % par les compagnies d'assurances.

47 % des Français pensent que l'État ne doit intervenir dans la gestion des organismes sociaux qu'en cas de crise. 33 % estiment qu'il doit intervenir. 6 % ne se prononce pas. 14 % qu'il ne doit pas intervenir.

47 % des Français pensent que l'État ne doit intervenir dans les relations sociales qu'en cas de crise. 34 % estiment qu'il doit intervenir. 5 % ne se prononcent pas. 14 % qu'il ne doit pas intervenir.

Auteur

  • Denis Boissard