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Politique sociale

Formation continue : les recettes futées de nos voisins européens

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.02.2000 | Agnès Baumier

La formation professionnelle a besoin d'un sacré dépoussiérage. Surtout si l'on compare le système hexagonal, vieux d'une trentaine d'années, avec les programmes qui existent dans de nombreux pays d'Europe du Nord. Et qui facilitent la réinsertion des chômeurs et la formation des non-qualifiés.

La réforme prend des allures d'Arlésienne. Conscient de la nécessité de rénover la formation continue, Lionel Jospin avait ouvert ce grand chantier au printemps 1998, en complétant son équipe gouvernementale par un secrétariat d'État à la Formation professionnelle, confié à l'ex-députée européenne Nicole Péry. Mais, pratiquement deux ans plus tard, les mesures promises se font toujours attendre. Le refus du Medef – ulcéré par l'interventionnisme de l'État sur les 35 heures – de participer aux négociations est largement invoqué du côté gouvernemental pour expliquer le retard pris par la réforme, renvoyée à 2001. En attendant, Nicole Péry s'est engagée à prendre des décrets dès cette année afin d'améliorer le financement de l'apprentissage et de doper la validation des acquis professionnels.

Force est de reconnaître que le système actuel de formation continue, conçu au début des années 70, ne répond plus aux besoins du moment. Et qu'en France la formation initiale reste prédominante dans le déroulement des carrières. Non pas que les entreprises françaises négligent la formation de leurs salariés ; elles sont même parmi les meilleures en Europe, y consacrant en moyenne 3,3 % de leur masse salariale. Mais cette manne profite essentiellement aux plus qualifiés, et particulièrement à ceux qui travaillent dans les grandes entreprises. Les salariés des PME, en revanche, restent à la traîne, faute d'informations suffisantes et de la possibilité d'être remplacés, alors qu'ils constituent une part sans cesse croissante de l'ensemble des effectifs du secteur privé.

Lorsqu'ils veulent se former de leur propre initiative, les salariés français se heurtent à de nombreuses difficultés, à commencer par le manque de formations à horaires adaptés ou à distance, permettant d'étudier tout en continuant à travailler. Autre point sensible, les formations dispensées aux chômeurs sont régulièrement remises en cause. En particulier les « stages parkings » qui occupent les demandeurs d'emploi sans améliorer leur réinsertion professionnelle. Nicole Péry souhaite réduire ces inégalités de traitement en instaurant un droit individuel à la formation, transférable, garanti collectivement.

Dans tous ces domaines, Liaisons sociales Magazine est allé chercher les bonnes idées en Europe du Nord. Nos voisins ont mis en place des formules qui, sans être toutes transposables en l'état, ont de quoi inspirer les auteurs de la future réforme. Accès plus large à la formation par le multimédia, meilleure liaison entre chômage et formation, effort plus soutenu sur l'alternance : les pays qui ont trouvé les bonnes recettes sont souvent ceux qui affichent de plus faibles taux de chômage, ceci expliquant probablement cela. Quitte à attendre 2001, autant que la réforme maintes fois annoncée en France soit aussi innovante.

Danemark

Jobrotation : des chômeurs à la place des salariés en formation

Au chômage depuis deux ans, Param commençait à désespérer. Sans aucune qualification, parlant le danois avec difficulté, ce Sri Lankais de 49 ans, ancien commis de cuisine, se heurtait dans toutes les entreprises à une fin de non-recevoir. Lorsque le service de l'emploi de la petite ville de Vejle, dans le Jütland, lui propose une formation de six mois à l'abattage de la volaille, il accepte donc sans hésiter. À la clé, un poste chez Danpo, deuxième producteur de poulets du pays, où Param va remplacer pendant sept mois des ouvriers partis eux-mêmes suivre un stage de formation à l'hygiène, à la langue danoise et au travail en équipe. Un chômeur qui se forme tout en remplaçant des salariés en formation. Invention danoise, ce système très original, baptisé « jobrotation », a permis depuis le début des années 90 à des dizaines de milliers de chômeurs tels que Param de se réinsérer, ainsi que de faciliter la formation des salariés danois.

« Chacun peut y trouver son intérêt. Les chômeurs, formés de manière ciblée et accueillis en entreprise pour des périodes longues, sont parfois embauchés dans le service qui les a fait travailler. Les trois quarts obtiennent en tout cas un emploi stable après avoir joué les substituts provisoires, alors que la moitié d'entre eux cherchait auparavant en vain depuis plus de deux ans. Les entreprises, quant à elles, profitent de ces remplacements subventionnés à environ 50 % pour augmenter leur effort de formation, améliorer leur productivité et conquérir de nouveaux marchés »,explique Jens Kruhoffer, secrétaire national du réseau EU Jobrotation.

Ce dispositif ingénieux, mis au point en 1987 par une jeune Danoise, a été appliqué à grande échelle à partir de 1993 dans le cadre d'un plan global de lutte contre le chômage. Gratifiée d'un financement public et d'un statut légal, la jobrotation a rapidement connu un essor considérable. En 1996, à son apogée, près de 1 % des salariés étaient remplacés par des chômeurs. Pas étonnant, dans un tel contexte, que les Danois fassent figure de champions d'Europe pour la formation continue. Huit entreprises danoises sur dix envoient tous les ans des salariés en stage, alors que la moitié seulement de leurs homologues françaises y ont recours. L'écart est encore plus flagrant pour les congés individuels de formation, proportionnellement huit fois plus utilisés au Danemark qu'en France…

La formule de la jobrotation a été jugée si concluante par l'Union européenne que Bruxelles subventionne depuis 1995 un réseau chargé de la diffuser dans l'ensemble de l'Europe. À la fin de 1999, 38 partenaires étaient impliqués à Berlin, à Thessalonique, à Glasgow… Le Portugal a fait voter une loi favorisant la jobrotation en février 1999. Des opérations transnationales sont également en cours : des employés d'hôtels siciliens remplacent pendant la saison creuse leurs homologues britanniques qui partent à ce moment-là suivre une formation en Finlande… En France, la jobrotation commence aussi à percer. À Oyonnax, des entreprises de la plasturgie, soucieuses de coller au plus près aux évolutions techniques mais ne trouvant pas d'intérimaires pour remplacer leurs salariés en formation, ont eu recours au dispositif d'origine danoise. Des consultants tentent de diffuser l'expérience dans la région de Lille.

Mais ces dispositifs sophistiqués nécessitent des arbitrages délicats. Qui choisit les remplaçants ? Les entreprises qui ont besoin de personnel le plus qualifié possible, ou bien les agences pour l'emploi qui souhaitent donner la priorité aux chômeurs de longue durée ? Qui participe au financement et dans quelles proportions ? L'Unedic, les fonds de soutien à la formation, l'État, les collectivités territoriales, les entreprises ? Sans cadre légal clair, sans cofinancement équilibré, sans planification rigoureuse, et surtout sans confiance, le principe de la jobrotation ne peut s'appliquer.

EU Jobrotation, Boulevarde 34, Postboks 1559, DK-Aalborg. Tél. : (00)5 498 138 61 ; e-mail : eujob@eujob.dk

Grande-Bretagne

University for Industry forme les non-qualifiés partout et à toute heure

Cours télévisés, cassettes audio, CD-ROM et, maintenant, leçons, exercices et tutorat sur Internet… Le Royaume-Uni est le leader européen incontesté des formations dites « ouvertes » utilisant tous les supports de communication possibles. À côté de l'Open University et de l'Open College qui diffusent depuis des années des packages de formation à distance pour les adultes désireux d'obtenir des diplômes de l'enseignement supérieur sans interrompre leur vie professionnelle est née en février 1998 une petite dernière, l'University for Industry, destinée cette fois aux Britanniques les moins qualifiés.

L'initiative émane du gouvernement travail liste. Alarmé par le très faible niveau de compétence d'une grande partie de la population, Tony Blair a lancé un programme d'envergure nationale pour inciter les moins qualifiés à se former. Un « plan d'épargne formation », fiscalement très avantageux, a été créé pour aider les salariés à mettre de côté les ressources nécessaires. Un budget a été dégagé pour soutenir l'effort des chômeurs. Une vaste campagne publicitaire a suivi. Sur toutes les ondes, à la télé, dans les journaux, les boîtes aux lettres, un message a été martelé : « Il n'est jamais trop tard pour apprendre. » Des opérations spécifiques ont été également menées afin de promouvoir particulièrement les formations en informatique, avec un slogan provocateur : « Un ordinateur, ça ne mord pas. » Pour relayer ces appels publics, un numéro de téléphone gratuit a été mis en place. En appelant Learning Direct (0 800 100 900), près d'un million de personnes ont pu obtenir en l'espace de deux ans des informations sur les centres d'orientation et de bilan proches de chez eux, les financements possibles, les palettes de formations publiques et privées…

Une base de données sur Internet, inter-rogeable elle aussi gratuitement, répertorie désormais l'ensemble de ces formations, pour la plupart proposées par des organismes indépendants, payantes, mais classées, validées et labellisées par l'University for Industry. Beaucoup d'entre elles se font à distance et sont conçues avec les outils technologiques les plus modernes (programmes d'apprentissage interactif sur CD-ROM ou on line, cassettes audio et vidéo, tutorat sur Internet…). Elles peuvent être suivies à toute heure, à domicile, sur le lieu de travail, ou bien dans des boutiques de formation. Ces dernières, élément clé du dispositif imaginé par les travaillistes, sont des boutiques franchisées sous la marque Learndirect, qui achètent leur inscription comme centres reconnus et leur connexion au réseau télématique. Au nombre de 68 actuellement, elles vont se multiplier dans les mois qui viennent, s'installant au plus près de leur clientèle potentielle, dans des lieux particulièrement fréquentés : bibliothèques, maisons de quartier, mais aussi clubs de foot et de rugby, institutions religieuses, gares et centres commerciaux… L'University for Industry se trouve actuellement à un stade expérimental, mais le projet est déjà très avancé dans certaines régions, notamment dans le nord-est de l'Angleterre, où le niveau de formation souffrait d'un retard important. Grâce au soutien du Fonds social européen, il va fonctionner en grandeur réelle dans l'ensemble du Royaume-Uni en 2000.

Pour en savoir plus, consulter le site : http://www.lifelonglearning.co.uk/

Allemagne

Meister et Techniker : des diplômes accessibles uniquement par la formation continue

Sans le bac ou un BTS, point de salut : les jeunes Français passent dix-neuf ans de leur vie en moyenne à chasser le diplôme censé leur garantir une vie professionnelle sans histoire. Ils continuent leurs études même s'ils n'aspirent qu'à gagner leur vie et si le statut scolaire leur pèse. La pression est beaucoup moins forte en Allemagne, car les jeunes qui se lancent de façon précoce sur le marché du travail savent qu'ils auront de vraies opportunités de se former par la suite. « Les adolescents qui quittent l'école à l'âge de 16 ans pour partir en apprentissage peuvent, après sept à huit ans d'expérience, préparer des examens publics, reconnus dans toute l'Allemagne et dans toutes les branches professionnelles, qui donnent accès aux statuts d'agent de maîtrise ou de technicien », explique Ingrid Drexel, chercheuse à l'Institut de recherches en sciences sociales de Munich.

Claus a suivi un tel parcours. Élève médiocre, peu motivé par de longues études, il a été orienté vers un cursus technique à l'âge de 11 ans. Apprenti à 16 ans, il est devenu ouvrier à 19 ans. Mais, comme environ 170 000 jeunes chaque année, il s'est replongé dans les études après quelques années au charbon, en suivant des cours, le soir et le samedi, pendant trois ans. À 27 ans, Meister en poche, le jeune homme, devenu agent de maîtrise, envisage maintenant de gravir de nouveaux échelons. Tous les espoirs lui sont permis. Plus du quart des titulaires de ce diplôme accèdent en Allemagne à des postes de cadre supérieur ou de dirigeant.

« On le sait peu, mais ce type de carrière ouvrière existait aussi en France dans les années 50, avec des formations continues lourdes aboutissant à une promotion sociale. Elles sont devenues plus rares et difficiles, au fur et à mesure que l'État français créait des diplômes technologiques intermédiaires. Au lieu de former leurs ouvriers en poste, les entreprises ont alors massivement embauché des jeunes titulaires de brevet de technicien, voire de BTS ou de DUT », affirme Ingrid Drexel, convaincue que cette politique pourrait changer. « Les Allemands, dans un contexte analogue d'augmentation du niveau de formation requis par les entreprises, n'ont pas créé de nouveaux diplômes de formation initiale. Ils ont choisi d'institutionnaliser et de renforcer leur formation continue, pour l'adapter à ces nouveaux besoins, en finançant d'ailleurs pendant un temps les ouvriers qui se replongeaient dans les études », explique-t-elle.

L'État allemand n'est plus aussi généreux qu'autrefois. Les jeunes ouvriers ambitieux, lorsqu'ils ne reçoivent pas de soutien de leur entreprise, doivent assumer eux-mêmes les frais de leur scolarité. Ils y consacrent pendant plusieurs années une part importante de leur temps libre, et cela sans compensation financière immédiate. « Mais le système fonctionne dans la mesure où le Meister et le Techniker permettent ensuite d'évoluer professionnellement dans n'importe quelle entreprise. Cette reconnaissance nationale des diplômes de formation continue est fondamentale. Le fait que ces diplômes n'aient pas de concurrent direct en formation initiale est aussi un atout décisif. Les ouvriers qui se lancent dans des études prennent un risque calculé », analyse Ingrid Drexel.

Norvège

Le Syslab : entreprises virtuelles pour cadres au chômage

Comment remettre en selle des cadres au chômage de longue durée qui s'éloignent insensiblement des exigences du marché du travail ? Jan Johannessen, professeur à l'université technique de Bergen, a trouvé en 1992 la formule du Syslab pour résoudre ce casse-tête. Une solution qui a fait des émules en Suède, en Russie et en France, mais qui ne fonctionne plus désormais en Norvège, faute d'un nombre suffisant de cadres à réinsérer… « L'idée est très simple. Vous formez un groupe d'une vingtaine de chômeurs, en parts égales d'ingénieurs, de gestionnaires et d'autres diplômés du supérieur, d'âges aussi divers que possible. Vous leur procurez des bureaux correctement équipés, un annuaire des PME locales et un formateur pour les soutenir dans leurs efforts. À eux de jouer ensuite. Ils ne cherchent plus d'emploi, mais proposent leurs services aux entreprises, comme s'ils appartenaient à une société de conseil. À la différence que leurs missions sont gratuites, financées par les pouvoirs publics », explique Jan Johannessen.

Les cadres au chômage, réinsérés dans une structure collective, reprennent peu à peu des habitudes de travail en commun, des contraintes professionnelles. Ils échangent leurs savoirs pour mener à bien leurs missions, ils se redynamisent… En contact permanent avec des employeurs potentiels, ils multiplient évidemment leurs chances de trouver un poste. Les entreprises sont aussi gagnantes. Leurs dirigeants prennent appui sur les compétences complémentaires des consultants pour développer des projets qu'ils laissaient en friche faute de temps ou de main-d'œuvre qualifiée. Certains de ces projets, menés à terme, aboutissent à la création de nouveaux produits ou services, et donc à des emplois. « Cela peut devenir un facteur de croissance considérable », affirme Jan Johannessen, qui dirige à Bergen une pépinière d'entreprises au sein d'un parc scientifique. « Il y a en Europe à la fois 18 millions de chômeurs, dont une part non négligeable de gens très qualifiés, et 16 millions de très petites entreprises de moins de six salariés dont les patrons sont le plus souvent autodidactes. Leur mise en relation est une urgence. »

Grâce à ces méthodes, en tout cas, plus de 300 cadres français au chômage de longue durée ont trouvé des postes depuis 1996, les plus de 50 ans bénéficiant tout particulièrement de la formule, avec un taux d'insertion de 100 %, pour une moyenne générale de 75 %. « En l'espace de six mois, chaque cadre mène à bien plusieurs missions avec des partenaires différents. Il reçoit des formations adaptées. Il doit être sur orbite. Et la structure peut disparaître », affirme Daniel Croquette, directeur du développement au Cesi, seul organisme à proposer en France des stages de ce type.

La structure de formation peut disparaître, mais doit-elle le faire ? C'est la question que s'est posée cette année un groupe de chômeurs parisiens qui réinterprète la formule norvégienne à sa manière. Après six mois de formation, devenus très proches les uns des autres, ils sont restés groupés, proposant désormais à leurs clients des services payants. Et si curieux que cela paraisse, ceux-ci sont restés. D'autres les ont même rejoints. L'entreprise, d'abord virtuelle, est devenue réelle. Les chômeurs n'ont pas trouvé des emplois, ils les ont créés.

Syslab (Systems Laboratory for Innovation and Employment) ; e-mail : syslab@syslab.no

En France : Cesi, 297, rue de Vaugirard, 75015 Paris. Tél. : 01 44 19 23 45.

Sinform : un centre high-tech pour moderniser la formation en Émilie-Romagne

Publics, privés, consulaires, dépendant des branches professionnelles, de l'Éducation nationale, des syndicats, des collectivités locales, internes aux grandes entreprises…, les organismes de formation continue fourmillent en Italie comme en France. Le Sinform (synergie pour la formation) a été créé en 1991 par les syndicats d'Émilie-Romagne afin de lutter contre cette coûteuse dispersion des efforts.

Installée à quelques encablures de la vénérable université de Bologne avec laquelle elle travaille en étroite coopération, cette association unique en Italie sert à la fois de lieu de formation pour les formateurs et de centre de recherche-développement pour la formation continue. La diffusion de méthodes d'apprentissage innovantes est son objectif prioritaire. Le Sinform organise des stages de longue durée pour former des concepteurs d'outils de formation multimédia et diffuse des programmes interactifs en vue du perfectionnement des responsables des ressources humaines, des managers et des formateurs. Ses experts ont par ailleurs mis au point avec les laboratoires des facultés techniques de Bologne toute une gamme de produits multimédias, accessibles à distance, destinés à l'ensemble des organismes de formation italiens.

Le Sinform joue en parallèle un rôle de bureau d'études pour les syndicats, les collectivités territoriales et les branches professionnelles qui pilotent des programmes de formation locaux. Les neuf salariés de cette association indépendante ont pour rôle essentiel de monter des projets de partenariat de plus en plus internationaux, souvent subventionnés par l'Union européenne et qui, grâce à Internet, bénéficient d'une large diffusion.

Sinform, via Bingari n° 3, 40128 Bologne. Tél. : (00)39 051 631 17 16.

Auteur

  • Agnès Baumier