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Une distribution de plus en plus large

Dossier | publié le : 01.02.2000 | E. B.

Près d'un million de salariés détiennent aujourd'hui des actions de leur entreprise. Cette démocratisation rapide de l'actionnariat a le mérite d'associer plus directement le personnel aux performances des entreprises, mais elle peut créer des conflits entre les intérêts des salariés actionnaires et ceux… des actionnaires salariés.

À la vitesse où se développe l'actionnariat salarié, le début du XXIe siècle pourrait bien marquer la réconciliation du capital et du travail. Dopé par les privatisations et les ouvertures de capital réservées, favorisé par une fiscalité attractive, l'actionnariat des salariés est en pleine expansion depuis le début des années 90. Aujourd'hui, près d'un million de salariés seraient actionnaires de leur entreprise, selon la Fédération française des associations d'actionnaires salariés (FAS). Sans provoquer de révolution dans le capitalisme français, cette évolution majeure bouleverse les relations sociales dans certaines entreprises. À France Télécom, par exemple, les trois quarts des salariés du groupe avaient acquis des actions de leur entreprise, après les deux ouvertures du capital d'octobre 1997 et de novembre 1998. Aujourd'hui, 92 % des salariés sont actionnaires et détiennent collectivement 3,4 % du capital de France Télécom. En trois ans, ils sont ainsi devenus le second actionnaire par ordre d'importance après l'État. À Rhône-Poulenc, devenu Aventis depuis sa fusion avec Hoechst, plus de 90 % des salariés français possèdent des actions de l'entreprise via un fonds commun de placement d'entreprise (FCPE). « De 1995 à 1998, nous avons émis une augmentation de capital réservée aux salariés chaque année, indique Philippe Subiron, directeur de l'épargne salariale et de l'actionnariat des salariés du groupe. Le portefeuille moyen d'un salarié français d'Aventis s'élève à 100 000 francs. Ensemble, les salariés détiennent 3,3 % du capital. »

Démocratiser l'actionnariat

Dans un rapport sur l'actionnariat salarié publié par la Commission des affaires sociales du Sénat, Jean Chérioux relève que, en 1998, 58 émissions d'actions ont été réservées aux salariés et qu'elles « représentaient 9,1 % du montant total des émissions de titres de capital ». Air France, Thomson-CSF, la Seita, Renault, Saint-Gobain, Bouygues, la Société générale ou encore Elf Aquitaine ont vu leurs salariés souscrire massivement à leurs offres d'achat d'actions. Dans beaucoup d'entreprises l'ouverture du capital aux salariés se double de la volonté de démocratiser l'actionnariat. Lors de la dernière augmentation de capital réservée aux salariés, TF1 a mis en place un mécanisme de prêt garanti qui permet au personnel de multiplier par dix sa capacité d'achat. « Nous ne voulions pas transformer les gros salaires en actionnaires privilégiés, explique Emmanuel Grados, directeur du personnel et des relations sociales. De cette façon, tout le monde peut en profiter. » Le phénomène ne touche pas uniquement les groupes internationaux. En janvier 1999, le célèbre fabricant de couverts et d'argenterie Guy Degrenne a profité de son entrée en Bourse pour réserver une partie de son capital à ses salariés. « Nous avons modifié le plan d'épargne d'entreprise (PEE) pour permettre aux salariés d'y placer des actions de l'entreprise, indique Hubert Roudot, le directeur financier. Et toutes les demandes ont été satisfaites. »

Un système d'incitation unique au monde

En France, où la Bourse n'avait pas attiré les petits épargnants avant les privatisations des années 80, cette évolution rapide a de quoi surprendre. « Notre pays est devenu une terre d'élection pour l'actionnariat salarié. Les exonérations fiscales attachées aux FCPE ou à l'abondement, couplées à une décote qui peut aller jusqu'à 20 %, constituent un système d'incitation unique au monde. Avec la loi de 1986, l'État a encore accéléré le mouvement, en imposant de proposer aux collaborateurs 10 % des titres mis sur le marché lors d'une privatisation », rappelle Raymond Soubie, président d'Altedia, un cabinet de conseil en communication et ressources humaines. De toute évidence, les salariés ne mettent pas longtemps à comprendre les avantages du système. « En 1997, nous devions les convaincre, explique Pascal Buissan, chargé de communication à la direction des relations avec les actionnaires chez France Télécom. Les actions étaient offertes avec une décote de 20 %, l'entreprise abondait les sommes investies par le salarié et offrait le maximum d'actions gratuites, dans la limite des contraintes imposées par la loi. Sans compter les possibilités de prêt bancaire et les facilités de paiement. En 1998, ce n'était plus nécessaire. Grâce à la bonne tenue du cours de l'action, les salariés avaient compris que le placement était intéressant. » Pour les directions, cet engouement offre des avantages certains. « Comme le montre l'indice de l'actionnariat salarié (1), la Bourse valorise toujours le titre d'une entreprise qui annonce un plan d'actionnariat salarié. Les financiers considèrent que le système développe l'esprit d'entreprise en interne et rapproche les salariés de la logique économique et financière », note Thierry Conilh de Beyssac, directeur général de Hewitt France.

Syndicats versus associations

Les investisseurs se rendent également compte que l'ouverture du capital aux salariés modère leurs revendications salariales. Ceux-ci acceptent plus facilement un gel des salaires, notamment dans le cadre des accords sur les 35 heures, s'ils bénéficient d'une rémunération différée, mais non fiscalisée, lorsqu'elle est placée sur un PEE. Un dilemme qui dérange les syndicats. « L'actionnariat salarié est très inégalitaire, souligne Jean-Christophe Le Duigou, responsable du secteur économique à la CGT. Or une majorité de Français ont d'abord besoin d'une augmentation de leur revenu disponible avant de songer à renforcer leur épargne. »

À la CFDT, on songe davantage à utiliser l'actionnariat salarié comme un instrument pour peser sur certaines décisions stratégiques. D'où l'objectif pour la centrale de parvenir à fédérer les salariés actionnaires sur une autre logique que la logique individuelle et patrimoniale, actuellement prédominante. Une ambition contestée par les associations d'actionnaires salariés regroupées dans la Fédération des associations d'actionnaires salariés (FAS). « Lorsque les salariés ont la possibilité de voter librement pour désigner les représentants au conseil de surveillance de leur FCP, ils choisissent neuf fois sur dix un membre d'une association FAS », assure Serge Cimmati, délégué général de l'Association France Télécom des actionnaires salariés et président de la FAS. Cette confrontation entre logique syndicale de défense des salariés et logique patrimoniale de défense des actionnaires, paisible en période de croissance, pourrait bien changer de nature en cas de restructuration.

(1) Initiative de la FAS, l'IAS est constitué de 29 sociétés partenaires, cotées au CAC 40 et dont au moins 10 % des salariés sont actionnaires. Toutes ont connu une progression de la valeur de leurs actions supérieure à celle des actions de sociétés équivalentes mais sans actionnariat salarié.

Auteur

  • E. B.

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