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Vie des entreprises

Françoise Gri change le métier de Manpower

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.02.2008 | Jean-Paul Coulange

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Françoise Gri change le métier de Manpower

Crédit photo Jean-Paul Coulange

Recrutement, placement, formation… le géant de l’intérim se diversifie. Pour entraîner ses salariés dans cette profonde mutation, sa présidente a bâti un nouveau projet d’entreprise, qui touche le commercial, les compétences et les rémunérations.

Urbi et orbi. Devant 3 000 salariés réunis au Cnit à la Défense et, en multiplex, dans cinq grandes villes françaises, la présidente de Manpower France, Françoise Gri, a lancé, le 10 janvier, la seconde étape de sa « refondation » de l’enseigne de travail temporaire. S’inspirant de la profonde mutation, entre 1993 et 1998, de son ancienne entreprise en société de services, l’ex-P-DG d’IBM France s’est donné trois ans pour transformer le pionnier français de l’intérim en « créateur de solutions pour l’emploi ». Car Manpower entend profiter pleinement de la loi de cohésion sociale de 2005, qui a supprimé le monopole de l’ANPE sur le placement des demandeurs d’emploi et ouvert le marché du recrutement aux entreprises de travail temporaire.

Face à l’appétit manifesté par les autres grands opérateurs, Adecco et Vedior, il n’y a pas de temps à perdre. De fait, Françoise Gri n’a pas chômé depuis son arrivée en mars 2007 dans une société agitée par le licenciement, en 2006, de l’ancien président, Jean-Pierre Lemonnier, et par la mise en œuvre d’un PSE se soldant par la suppression de 161 postes. Sitôt posé son diagnostic, elle a ouvert de front plusieurs chantiers : GPEC, réorganisation commerciale, rémunérations. Pour réussir son pari et s’inscrire dans la ligne du charismatique fondateur de Manpower en France, Michaël Grunelius, promoteur du travail temporaire, cette ingénieure de 50 ans doit mener à bien une véritable révolution des esprits. Afin de faire accepter par ses 4 800 collaborateurs permanents et ses 120 000 intérimaires, mais aussi de faire comprendre à ses 90 000 clients, que l’intérim n’est plus l’alpha et l’oméga de Manpower.

1 Rebâtir un projet d’entreprise

L’ambition de Françoise Gri ? « Construire le nouveau Manpower. » Elle est décrite tout au long des 50 pages du « Manifeste de la refondation » qu’elle a remis en septembre 2007, six mois après sa nomination, à chacun des collaborateurs permanents de Manpower. Vite rebaptisé le « petit livre rouge » par les syndicats, ce fascicule de couleur bordeaux fait un état des lieux sans concession. « Longtemps figure de proue du marché, nous sommes devenus une entreprise comme les autres, dont la voix s’est peu à peu affaiblie et dont l’action est désormais trop limitée au regard des attentes et des mutations de la société », indique la bible des salariés de Manpower. Un diagnostic sévère, guère contesté en interne. « Nous étions un peu la “vieille dame” de l’intérim, reconnaît Martine Gomez, directrice du développement des compétences et de l’emploi, forte de ses vingt-sept ans de maison. On versait un peu dans l’autosatisfaction. Françoise Gri nous a redonné l’envie d’être les meilleurs. »

Du côté des organisations syndicales, on s’accorde aussi à reconnaître un certain essoufflement de l’entreprise : « Manpower n’a jamais voulu sortir de son cœur de métier, explique-t-on à la CGT. Maintenant, on court derrière Adecco et on cherche nos marques. » Pour Pierre Personne, délégué syndical CFE-CGC, « il n’y a rien de nouveau. La refondation de Françoise Gri consiste essentiellement à remotiver les troupes. Mais, en recréant une dynamique, elle a bien joué ». Rien de nouveau ? Pas selon Arnaud Berlik, le délégué central CGT de Manpower, qui a retenu du manifeste que « l’intérim n’est plus prioritaire ». Une orientation difficile à accepter pour le syndicat, qui a réalisé plus de 40 % des voix chez les intérimaires lors des dernières élections d’entreprise en juin 2007. « L’intérim ne fonde plus notre culture […]. C’est une offre, ce n’est plus la nature de notre entreprise », dit encore le petit livre rouge. L’objectif ? Saisir l’opportunité offerte par la loi Borloo en proposant une palette de prestations aux clients et aux candidats, qui va du travail temporaire au recrutement en CDI ou en CDD en passant par l’outplacement, avec la filiale Right Management, la formation avec Solertis, ou l’évaluation. À terme, l’intérim ne devrait plus peser que 25 % du chiffre d’affaires de Manpower. « Mais, à l’heure actuelle, le travail temporaire en représente encore 99,9 % », souligne Pierre Personne, de la CFE-CGC.

Pour mettre en musique sa méthode, Françoise Gri a largement renouvelé l’équipe de direction, en recrutant à l’extérieur un nouveau patron des services informatiques puis un nouveau directeur commercial et marketing. Elle a aussi créé une direction de la stratégie et du développement durable. Afin de répandre la bonne parole, elle s’appuie aussi sur le senior management team, un réseau de 130 « leaders » constitué en septembre dernier comprenant notamment les six directeurs des opérations qui se répartissent le territoire, les responsables de secteur qui gèrent un groupe d’agences ou les patrons des services fonctionnels.

« Leur mission est d’être les ambassadeurs du changement dans l’entreprise », résume Jean-François Denoy, le DRH de Manpower. À l’instar de David Charbonnier, responsable d’une quinzaine d’agences dans la Loire et récemment promu directeur du développement commercial pour la direction de Lyon. « Même s’il y a légitimement des interrogations sur le comment, les collaborateurs ont une perception positive de cette nouvelle stratégie, qui consiste à changer de posture. Avant, on faisait la promotion de notre travail temporaire chéri. Aujourd’hui, nous devons être plus à l’écoute des besoins des clients pour déployer la bonne solution », estime ce diplômé d’école de commerce de 36 ans.

2 Réorganiser le réseau

Fini l’expansion à tous crins. Pendant cinquante ans, Manpower s’est appliqué à développer son réseau en France, qui comptait 200 agences en 1983, 400 en 1986, 750 en 1997, 1 000 en 2004 et 1 030 aujourd’hui, dont certaines sont situées à quelques centaines de mètres les unes des autres. Selon Françoise Gri, « faire croître le nombre d’agences pour augmenter le chiffre d’affaires, c’est un schéma des années 80-90 ». « Adecco, Vedior et Manpower ont longtemps fait la course au nombre d’agences. Il y a deux ans environ, Vedior a amorcé un mouvement de regroupement et, depuis, les deux autres font la même chose », note Alain Bec, délégué syndical CFTC. Sans que le terme de restructuration soit officiellement évoqué par les dirigeants de Manpower, qui préfèrent parler de « mouvements naturels de fermetures et d’ouvertures d’agences », un reprofilage du réseau commercial est engagé.

Beaucoup de collaborateurs ont reçu en fin d’année dernière un avis de mutation pour le 1er janvier. Selon les pointages de la CFE-CGC qui s’étonne que le sujet ne soit pas débattu en CHSCT, 600 mutations et une centaine de mouvements d’agences – fermetures ou ouvertures – ont eu lieu en 2007. Rien qu’en Ile-de-France, qui compte 190 agences, 34 baux commerciaux devraient être résiliés cette année.

En ligne de mire, les petites unités qui ne comptent que deux collaborateurs permanents, alors que la taille moyenne tourne autour de cinq salariés, responsable d’agence, chargés d’affaires et assistants. Dans la logique de la nouvelle offre, les agences doivent améliorer l’accueil de candidats en s’appuyant largement sur le Web, qui sert dorénavant de point de contact avec le réseau Manpower. « Il ne faut pas croire qu’on trouve les candidats dans la rue, explique Franck Lavogez, directeur des opérations en Ile-de-France. Ils viennent chez nous par le biais d’Internet. Mais nous n’allons pas non plus vers une dématérialisation du recrutement avec des agences virtuelles. »

Manpower expérimente à Compiègne un concept d’agence du futur, dont le back-office est confié en grande partie aux centres de traitement administratif. Une mutation technologique facilitée par le développement de « Mon intérim perso ». Depuis juin 2007, ce site fournit aux intérimaires des informations détaillées sur leurs missions, leur bulletin de paie, les emplois disponibles correspondant à leur qualification. Ils peuvent également suivre des cours en ligne. Et bientôt ils pourront demander des acomptes via le Web. « C’est un outil de communication puissant qui va nous permettre de maintenir le lien avec les intérimaires quand l’agence est fermée. Mais c’est aussi un outil de productivité important pour le personnel des agences, qui va pouvoir se décharger du back-office et consacrer davantage de temps au développement des compétences », souligne Martine Gomez, qui préside également la commission des affaires sociales de Prisme, le syndicat professionnel du travail temporaire.

3 Renforcer les compétences

Pour accompagner la refondation, Manpower a annoncé au printemps 2007 l’ouverture d’une négociation sur la GPEC, que la direction souhaite voir aboutir au cours du premier semestre 2008. « Nous avons, chez Manpower, une tradition très forte de gestion et d’évolution des carrières, d’identification des talents et de culture de la performance, puisque 70 % de nos managers sont issus de la promotion interne, indique Jean-François Denoy, le DRH. Mais il faut que l’on passe à une dimension supérieure. Nous devons faire de nos collaborateurs des experts de l’emploi. » Au programme : formation, mobilité et politique de développement des compétences. « Les partenaires sociaux sont ouverts à la discussion, mais ils restent méfiants car ce sont des sujets nouveaux pour eux », reconnaît le DRH de Manpower, qui veut appliquer auparavant un accord de méthode. « La négociation sur la GPEC doit être totalement indépendante de la refondation, sinon on va en faire un canard boiteux, estime Alain Bec, de la CFTC. C’est la refondation qui doit s’adapter à la GPEC et non l’inverse. » Parallèlement, l’enseigne a redéfini ses critères de choix pour les consultants en recrutement, qui constituent l’essentiel des embauches depuis 2005. Alors que Manpower s’est longtemps focalisé, pour ses forces commerciales, sur des profils BTS, écoles de commerce et de gestion avec quelques années d’expérience, l’enseigne a commencé par embaucher à tour de bras des profils RH sans expérience commerciale, qui se sont très mal intégrés dans les agences. Avec, à la clé, un turnover de 30 à 40 %. « Nous recherchons actuellement des doubles compétences, souligne Martine Gomez : des profils RH qui ont une sensibilité commerciale. » En recrutant ces oiseaux rares, Manpower veut passer « d’un modèle pull à un modèle push, de la simple réponse à un client à la proactivité, explique le nouveau directeur commercial Florent Chapus, venu de la filiale fret de la SNCF. L’enjeu, c’est de traiter non plus seulement avec les acheteurs, car l’intérim reste une prestation gérée par la fonction achats, mais avec les DRH ».

4 Mettre en place la rémunération sur objectif

Mini-révolution sur les feuilles de paie des commerciaux de Manpower. Depuis le 1er janvier, la société d’intérim a banni le système de commissionnement en vigueur depuis cinquante ans et introduit la rémunération sur objectif. Un chantier engagé en 2006, mais que Françoise Gri a totalement repris à son compte. « Fondamentalement, explique-t-elle, le commissionnement sur le résultat net de l’agence, c’est un schéma de rente, un mode de rémunération lié à l’histoire. » Pratiquement impossible, avec ce système de rémunération, de faire partir un commercial d’une grosse agence du Nord-Pas-de-Calais spécialisée dans l’automobile, ou de celle qui alimente le pôle de Roissy. « Pour gagner de l’argent, il fallait se trouver dans la bonne agence au bon moment, estime Franck Lavogez, directeur des opérations en Ile-de-France. Passer d’un commissionnement agence à un objectif par agence, c’était incontournable. » Responsable de deux agences parisiennes, l’une dédiée aux métiers du commerce, l’autre aux métiers de la banque et de la finance à Paris, Véronique Kirchner assure que le changement de système de rémunération va « réveiller les gens ». « Je ne conçois pas qu’un commercial puisse être opposé à la rémunération sur objectif. D’autant que les objectifs fixés après concertation des responsables d’agence et de secteur sont tout à fait atteignables. »

Reste que le changement de système inquiète les commerciaux qui voient, en outre, la part variable maximale bloquée à huit mois de salaire, alors que les primes pouvaient littéralement s’envoler à la grande époque de l’intérim. « Manpower se flatte de proposer aux permanents des salaires supérieurs de 15 % à la moyenne du marché, mais chez des concurrents comme Adecco les primes sont plus importantes », affirme Arnaud Berlik, délégué central CGT de Manpower. La confédération pointe également le faible niveau de rémunération des commerciaux sur les recrutements. « Un CDI facturé entre 2 500 et 3 000 euros ne rapporte que 30 euros de prime à l’agence et 15 au commercial. » Si les marges sur le marché du recrutement sont plus confortables que dans l’intérim, les salariés de Manpower veulent en retirer les bénéfices !

Repères

Fondé en 1957, Manpower France emploie 4 800 collaborateurs permanents et 120 000 intérimaires en équivalent temps plein.

Ses 1 030 agences ont réalisé en 2006 un chiffre d’affaires de 4,8 milliards d’euros. Au niveau mondial, la firme de Milwaukee occupe le deuxième rang. Mais elle risque d’être reléguée à la troisième place, avec l’OPA lancée par Randstad sur le numéro trois Vedior.

1957

Ouverture de la première agence à Paris (XVIIe).

1969

Signature d’un accord avec la CGT qui reconnaît le rôle économique et social du travail temporaire.

1972

Première loi réglementant le travail temporaire, inspirée par l’accord de 1969.

2005

La loi Borloo élargit les activités des entreprises de TT au recrutement et au placement.

Évolution du nombre de consultants en recrutement.
ENTRETIEN AVEC FRANÇOISE GRI, PRÉSIDENTE DE MANPOWER FRANCE
“Manpower ne se définit plus comme une entreprise d’intérim”

A votre arrivée chez Manpower, vous avez fait un état des lieux sans complaisance. Pourquoi ?

Manpower possède un très fort leadership. Notre entreprise a inventé une industrie, celle du travail temporaire. Mais toute entreprise connaît, dans son histoire, une transformation de son marché. Je l’ai vécu ailleurs chez IBM. C’est d’autant moins surprenant que la législation du marché du travail a pesé sur les capacités de développement des entreprises de travail temporaire. Le constat que j’ai fait n’est pas sévère, il tente d’être objectif. Quand on demande à une entreprise de bouger, de changer, on ne peut pas être complaisant.

C’est ce que vous appelez la refondation de Manpower ?

La refondation est un projet à trois ans qui fait évoluer notre métier. Nous passons d’une prestation de travail temporaire à une création de solutions pour l’emploi pour toutes les entreprises et tous les candidats. Mais ce n’est pas une remise en question de ce que nous sommes. L’ensemble des salariés de Manpower s’est mobilisé autour de cette nouvelle vision de l’entreprise afin que nous puissions profiter d’une formidable opportunité.

Est-ce comparable à la transformation d’IBM en société de services ?

Il y a une différence fondamentale car Manpower ne se refonde pas sous la pression d’un marché qui lui échappe ou d’un déficit de compétitivité. Mais plutôt parce que l’environnement change et que nous avons les moyens de faire autre chose. Notre chance, c’est que la demande de nouvelles prestations évolue fortement, depuis la loi Borloo de 2005. Auparavant il existait une réelle absurdité à enfermer les entreprises de travail temporaire dans une relation univoque avec un candidat, puisque nous ne pouvions lui offrir qu’un travail précaire. La loi de cohésion sociale nous permet de lui proposer un large éventail de solutions.

Quelle est la place de l’intérim, aujourd’hui, dans l’activité de Manpower, puisque ce n’est plus son cœur de métier ?

Manpower ne se définit plus comme une entreprise d’intérim. Mais comme un acteur privé de l’emploi qui répond à toutes les demandes du marché : recrutement permanent, placement, intérim, formation ou conseil. À partir d’aujourd’hui, toutes nos agences vont proposer l’ensemble de ces prestations.

Pensez-vous que l’intérim va être touché par l’accord sur la modernisation du marché du travail, avec l’allongement des périodes d’essai, le contrat de mission ou encore la rupture à l’amiable ?

Le débat a porté davantage sur le CDD que sur le CDI. C’est dans le domaine du contrat à durée déterminée que les organisations syndicales pointent des abus. Tout ce qui favorise l’emploi, sa fluidité, nous favorise à terme. Nous avançons dans la bonne direction, il souffle un vent de pragmatisme bienvenu.

Est-ce que vous avez l’intention de revoir votre accord sur les 35 heures dans le cadre des nouvelles mesures d’assouplissement votées par le Parlement ?

Cet accord signé en 1999 prévoit vingt-trois jours de RTT. Vous imaginez bien l’impact que cela peut avoir sur l’organisation du travail dans les agences. Cela étant, revoir cet accord ne constitue pas du tout une priorité. Manpower est une entreprise qui compte 80 % de femmes, et un certain nombre d’entre elles préfèrent avoir du temps libre. D’autant que les opérations de rachat de JRTT sont coûteuses. Il reste que l’idée d’inciter les salariés à travailler plus pour gagner plus me paraît saine.

Êtes-vous favorable à la fusion entre l’ANPE et l’Unedic ?

Partout en Europe ces services sont fusionnés. Peu importe la structure choisie, ce qui importe, ce sont les résultats. Car le paradoxe du marché du travail est, d’un côté, qu’on ne cesse de rencontrer des gens qui sont perdus dans leur recherche d’emploi et que, de l’autre, la difficulté de nos agences à trouver des compétences va en s’accroissant. Il est certain que la complémentarité entre service public et service privé de l’emploi va devenir de plus en plus nécessaire.

Propos recueillis par Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

FRANÇOISE GRI

50 ans.

1981

Commence sa carrière chez IBM France comme ingénieure commerciale.

1996

Dirige la division marketing et ventes e-business d’IBM Europe, Moyen-Orient et Afrique (Emea).

2001

Prend en charge les opérations commerciales d’IBM Emea.

Promue P-DG d’IBM France.

MARS 2007

Nommée présidente de Manpower France.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange