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Politique sociale

Représentativité : l’épreuve de vérité

Politique sociale | publié le : 01.02.2008 | Stéphane Béchaux, Nadia Salem

Figées depuis quarante ans, les règles du jeu du dialogue social vont être dépoussiérées. De quoi rebattre les cartes entre les centrales syndicales, qui vont perdre leur présomption de représentativité. Décryptage.

Les partenaires sociaux sont au pied du mur. Ils ont, conformément à l’agenda social 2008, jusqu’au 31 mars pour accorder leurs violons sur deux dossiers épineux : les critères de représentativité syndicale et les conditions de validité des accords. Un délai très court pour des discussions qui s’annoncent orageuses. Certains, tels la CFTC et la CFE-CGC, y jouent leur survie quand d’autres, CGT et CFDT, y voient le moyen d’asseoir leur leadership. Maintes fois reportée malgré de très nombreux rapports, la refonte des règles de la négociation collective a cette fois-ci de vraies chances d’aboutir. Accord ou pas, les parlementaires devraient se saisir du sujet avant l’été. Focus sur les principales questions en jeu.

Dépoussiérer les critères

Depuis quarante et un ans, les règles n’ont pas bougé d’un iota. En vertu d’un arrêté du 31 mars 1966, cinq organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CGT, CGT-FO et CFTC) bénéficient d’une « présomption irréfragable de représentativité ». Un avantage exorbitant, de portée nationale, qui leur donne le droit de créer des sections syndicales dans toutes les entreprises, d’y présenter des listes au premier tour des élections professionnelles et de participer aux négociations collectives. Pas besoin pour cela d’avoir le moindre adhérent, ni le moindre électeur… Les autres syndicats doivent faire la preuve de leur représentativité, selon cinq critères : les effectifs, l’expérience et l’ancienneté, l’indépendance, les cotisations et l’« attitude patriotique pendant l’Occupation ». Des critères débattus devant le juge. Car les nouveaux venus – SUD et Unsa en tête – sont systématiquement attaqués par les acteurs en place. Pour preuve, l’Unsa a franchi cet automne la barre des 1 000 procès, en onze ans d’existence…

Aujourd’hui, plus personne ne défend l’arrêté de 1966. Et un quasi-consensus s’est dégagé pour asseoir, au moins en partie, la légitimité des syndicats sur le vote. Même le Medef, d’abord critique, s’est rallié à l’idée. « L’audience électorale doit devenir un critère incontournable », approuve l’ancien leader cédétiste Jean Kaspar, aujourd’hui consultant. « Le principal critère doit être celui de l’audience. Mais il faut peut-être le combiner avec d’autres, comme le nombre d’adhérents », tempère Frédéric Agenet, DRH France d’EADS. Difficile, en effet, de rayer d’un trait de plume le critère des adhésions. « La question des effectifs demeure centrale car elle détermine la capacité à agir des organisations », prévient Dominique Andolfatto, maître de conférences en science politique à l’université de Nancy. Sauf qu’en pratique personne ne sait comment mesurer les troupes. Tous les syndicats trichent, et aucun n’acceptera de fournir des listes aux DRH…

Un quasi-consensus se dégage pour asseoir la légitimité syndicale sur le vote
Mesurer l’audience et fixer des seuils

À supposer que les partenaires sociaux s’accordent sur le principe de l’élection, reste à en définir les modalités. Pas simple. Car les deux scrutins existants ont des défauts. Les élections prud’homales, victimes d’une abstention massive, sont inexploitables dans les branches et les entreprises. Les élections CE-DP, elles, ne sont pas organisées dans les TPE. De surcroît, leurs résultats sont difficiles à agréger… Des contraintes qui plaident en faveur d’un scrutin spécifique. « Il faut organiser des élections ad hoc. Mais à des dates différentes selon les branches, pour éviter les risques de politisation », affirme Yves Barou, DRH du groupe Thales. Toutes les listes doivent-elles pouvoir se présenter ? Le sujet fait encore débat, mais la suppression du monopole du « club des cinq » a ses adeptes. « Ce serait tout à fait normal », juge ainsi Marc Veyron, DRH de Champion, qui doit composer avec une CGT puissante (39,3 %) et contestataire.

Une telle ouverture nécessite, au préalable, l’instauration de seuils en deçà desquels les syndicats seraient exclus des négociations. Un sujet ultrasensible. « La seule question décisive », selon Laurence Parisot, présidente du Medef. Mettre la barre à 10 % signerait, dans bien des secteurs, l’acte de mort des réformistes CFE-CGC et CFTC. La descendre à 5 % favoriserait l’émiettement, avec l’entrée de nouveaux acteurs. « Pour faire émerger des regroupements syndicaux, il faut une barre à deux chiffres », revendique le directeur des affaires sociales d’une grande fédération des services. « Fixer la barre à 10 %, c’est dangereux. On ne peut pas faire table rase de la culture syndicale française d’un trait de plume », rétorque Josette Théophile, DRH de la RATP, qui n’entend pas négocier qu’avec la CGT et l’Unsa. En la matière, le pragmatisme l’emporte sur les principes. Les avis des dirigeants patronaux dépendent exclusivement du paysage syndical auquel ils sont confrontés. Et pourtant, tous poursuivent les mêmes objectifs : favoriser le syndicalisme réformiste, et barrer la route à SUD, dont le radicalisme effraie.

L’usage du droit d’opposition reste marginal
Instaurer, ou non, l’accord majoritaire

Depuis 2004, les règles ont changé. Pour être valable, un accord d’entreprise ne doit pas faire l’objet d’une opposition des syndicats majoritaires (en voix aux élections professionnelles). Au niveau des branches, un droit de veto a aussi été instauré. Pour l’activer, il faut qu’une majorité d’organisations s’opposent à un texte. La SNCF s’est ainsi fait retoquer son dispositif d’intéressement, et Disneyland Paris son nouvel accord 35 heures. Le secteur bancaire en a aussi fait les frais, avec la mise à la retraite d’office, et les labos pharmaceutiques avec leur garantie annuelle de rémunération. Mais, globalement, l’usage du droit d’opposition reste marginal.

Ce système a pourtant de nombreux partisans. Et pas seulement l’UIMM, qui a conclu la plupart de ses négociations sans le paraphe ni de la CGT ni de la CFDT. « La majorité d’opposition fonctionne bien. Elle permet aux syndicats de ne pas s’engager en faveur d’un texte, mais sans empêcher que les salariés en bénéficient », estime Pascal Le Guyader, directeur des affaires sociales du Leem, la fédération patronale des laboratoires pharmaceutiques.

Prêts à rechercher des consensus larges, les adeptes du statu quo n’entendent pas s’interdire de signer des accords minoritaires. « Les textes les plus innovants font rarement consensus au début. Le premier accord d’intéressement de la RATP, par exemple, était minoritaire. Mais les suivants sont devenus majoritaires », note Josette Théophile. Des positions qui font l’affaire des petites centrales. Mais aussi d’une partie des troupes cégétistes, bien contentes de ne pas se salir les mains en acceptant des compromis.

Autre option, le passage à la majorité d’engagement. Seuls les textes signés par des syndicats représentant la majorité des salariés seraient valables. « Le principe majoritaire constitue le mécanisme le plus puissant pour changer la donne. Il responsabilise les acteurs et devrait favoriser les convergences syndicales », note Yves Barou, qui l’applique chez Thales depuis quinze mois. Le DRH France d’EADS est sur la même longueur d’onde. « L’accord minoritaire, ça fonctionne quand on ne fait que du plus. Pas quand on négocie des accords dérogatoires, qui échangent des reculs contre des avancées », insiste Frédéric Agenet. Les derniers projets gouvernementaux de remise en cause des 35 heures donnent du poids à l’argument. Permettre aux branches, ou aux entreprises, de revenir par accord sur la durée légale du travail peut difficilement se concevoir sans un soutien large des salariés et de leurs représentants. Reste qu’étendre ce principe aux négociations interprofessionnelles donne des sueurs froides aux réformistes. Et pour cause ! L’addition des voix obtenues par la CGT et FO aux élections prud’homales de 2002 dépassait les 50 %…

CGT

Leader : Bernard Thibault.

Création en 1895.

Adhérents : 711 000 (chiffre officiel), 600 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 32,1 %.

Légitimité : * * * * *

Propension à signer : *

Avenir : * * * *

La CGT pourrait être l’une des grandes gagnantes de la réforme des règles de la représentativité. Elle revendique une légitimité fondée sur l’élection, plutôt au niveau de la branche. Son audience, dans le secteur public notamment, ne se dément pas. Avec l’accord majoritaire, la centrale de Bernard Thibault pourrait devenir un acteur de premier plan dans les négociations d’entreprise.

CFDT

Leader : François Chérèque.

Création en 1964.

Adhérents : 803 635 (officiel), 670 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 25,2 %.

Légitimité : * * * * *

Propension à signer : * * * *

Avenir : * * * *

Chef de file incontesté du camp réformiste, la CFDT n’a rien à craindre d’une évolution des règles du jeu. Bien implantée dans le secteur privé, chez les cadres en particulier, elle est le partenaire incontournable des négociations. Patronat et gouvernements, de droite comme de gauche, ne peuvent se permettre de l’affaiblir.

CGT-FO

Leader : Jean-Claude Mailly.

Création en 1948.

Adhérents : 800 000 (officiel), 350 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 18,3 %.

Légitimité : * * *

Propension à signer : * *

Avenir : * * *

La CGT-FO entre à reculons dans les négociations. Pas question pour elle de faire de l’audience l’outil principal pour mesurer la représentativité, ni d’accepter l’accord majoritaire. Difficile à décrypter, FO vient adroitement de donner des signes d’ouverture en paraphant l’accord sur la réforme du marché du travail. Sa crainte : décrocher du duo de tête.

CFE-CGC

Leader : Bernard Van Craeynest.

Création en 1944.

Adhérents : 177 000 (officiel), 110 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 7 %.

Légitimité : * *

Propension à signer : * * * *

Avenir : * *

La centrale n’est pas pressée de négocier sur la représentativité syndicale. Elle risque d’y perdre des plumes, car, même dans le collège encadrement, elle n’est plus numéro un depuis les prud’homales de 1997. Objectif 2008 : reprendre à la CFDT la première place.

Unsa

Leader : Alain Olive.

Création en 1993.

Adhérents : 360 000 (officiel), 200 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 5 %.

Légitimité : * *

Propension à signer : * * *

Avenir : * *

L’Unsa a fait de l’abrogation de l’arrêté de 1966 son principal combat. Car les règles actuelles freinent son développement dans les entreprises. L’Unsa, qui espère entrer officiellement dans le jeu, part avec un handicap : elle ne pourra pas peser sur les discussions puisqu’elle n’a pas le droit de négocier…

Solidaires

Leader : Annick Coupé.

Création en 1988.

Adhérents : plus de 80 000 (officiel), 50 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 1,51 %.

Légitimité : *

Propension à signer : *

Avenir : * *

Pas de progression notable, en termes d’audience, depuis plusieurs années. La représentativité des syndicats SUD est systématiquement contestée dans les entreprises où ils tentent de s’implanter. L’Union syndicale Solidaires a contre elle l’ensemble des autres syndicats, qui craignent son radicalisme.

CFTC

Leader : Jacques Voisin.

Création en 1919.

Adhérents : 132 000 (officiel), 100 000 (estimé).

Prud’homales 2002 : 9,65 %.

Légitimité : * *

Propension à signer : * * * *

Avenir : *

Au sein du « club des cinq », c’est la centrale historique la plus menacée. Dans son positionnement, elle a le plus grand mal à se démarquer de la CFDT. Refuse que la représentativité ne soit mesurée qu’à l’aune de l’audience aux élections professionnelles.

Bisbilles dans le patronat

Prompt à donner des leçons aux syndicats, le patronat pourrait aussi balayer devant sa porte.Dans les branches, les fédérations patronales ne font jamais le plein d’adhérents, même lorsqu’elles sont en situation de monopole. Et, dans certains secteurs, l’éclatement patronal n’a rien à envier à l’émiettement syndical. Exemple emblématique : l’hôtellerie-restauration. Au début des années 2000, les négociations sur la durée du travail y ont tourné à la guerre ouverte entre fédérations des hôteliers, cafetiers, restaurateurs et limonadiers, qui ont finalement laissé aux pouvoirs publics le soin de régler leurs différends. Mêmes difficultés au niveau interprofessionnel. Le Medef a beau jurer représenter tous les employeurs, de l’artisan à la multinationale, il doit composer avec la CGPME et l’UPA. Sans parler de l’Usgeres qui, au nom des dirigeants de l’économie sociale, tente depuis plusieurs années de s’inviter à la table des négociations. Pour l’essentiel, c’est le Medef qui mène la danse. Mais pas toujours. En décembre 2001, l’UPA s’est émancipée de sa tutelle en signant, seule, un accord de financement du dialogue social. Un texte attaqué devant les tribunaux par le Medef et la CGPME, qui contestaient la représentativité de l’UPA chez les artisans. À tort. En décembre dernier, la Cour de cassation a clos l’affaire, en donnant raison à cette dernière.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Nadia Salem