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Politique sociale

L’entreprise ne peut plus ignorer les trajets à rallonge de ses salariés

Politique sociale | publié le : 01.02.2008 | Anne Fairise

Quand les déplacements quotidiens sont un casse-tête, les entreprises en subissent les effets. La parade ? Favoriser le covoiturage, le télétravail ou instaurer des horaires souples.

Ne vaudrait-il pas mieux déménager ? Sur la plate-forme logistique Easidys à Saint-Laurent-de-Mure, à deux pas de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, la question est récurrente. « Nous pourrions, dès demain, signer 25 CDI de préparateurs de commandes et de caristes, l’équivalent de 10 % des effectifs. Faute de candidats, nous recourons à l’intérim plus que souhaité et gérons un turnover trop important », déplore Pascal Piotrowski, DRH du site lyonnais de la filiale du groupe Casino. L’ouverture 24 heures sur 24 de l’entrepôt, les 30 kilomètres le séparant du centre de Lyon dissuadent les candidats de postuler à ces emplois payés au smic. Au point qu’à l’automne Easidys a demandé aux collectivités locales de revoir la desserte de transports en commun et envisage même de créer un collectif avec… les entreprises concurrentes du site ! Il y a urgence : avec un baril de pétrole à 100 dollars, même les permanents exigent des mesures.

La mobilité des salariés préoccupe aussi quotidiennement Europig, abattoir de porcs installé à Josselin, petite cité du Morbihan. Faute de bras dans le bassin (4 % de chômage), l’entreprise recrute, depuis un an, jusqu’à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, à 78 kilomètres. « Pour être attractifs, il nous a fallu nous adapter. Notre argument, c’est l’emploi en CDI au terme du contrat d’intérim. En attendant que les salariés emménagent à proximité, nous tâchons de faciliter leurs déplacements en organisant du covoiturage », note Sophie Chazel, responsable de l’agence Randstad Inhouse Services, installée dans les murs de la firme, qui gère 100 désosseurs et manutentionnaires. Des tarifs ont même été négociés avec le camping des Cerisiers, « à quinze minutes à pied de l’usine ».

En tête, les déplacements domicile-travail. Ces difficultés d’organisation de la vie quotidienne sont vécues bien au-delà des territoires enclavés, de la région parisienne ou des zones touristiques où le coût du foncier chasse les actifs en périphérie. Comme le révèle un sondage Liaisons sociales-Institut pour la ville en mouvement, 87 % des employeurs y sont confrontés souvent ou à l’occasion. 53 % reconnaissent que cela perturbe le recrutement et génère du turnover ou de l’absentéisme. Très prégnants, les problèmes de déplacement domicile-travail. De fait, le Français qui parcourait 20 kilomètres par jour en 1975 en fait aujourd’hui le double. En Ile-de-France, le Medef a lancé une étude sur les transports. « Jamais nous n’avons autant mobilisé sur le sujet, s’étonne Jérôme Dubus, délégué général. La dégradation des conditions de transport génère trop de retards et de baisse de productivité. » Tour d’horizon des solutions privilégiées, et souvent combinées, par les employeurs sondés par Liaisons sociales et l’IVM.

ASSOUPLIR LES HORAIRES

Une ouverture élargie du site, de 7 heures à 20 h 30, et des horaires à la carte pour les salariés au forfait jours, qui pourront commencer ou terminer leur travail à domicile. Près d’un an avant l’installation de cette grosse SSII en banlieue parisienne, les syndicats se félicitent des mesures accordées. Surtout de celle estampillée « travail occasionnel partiel à domicile », distincte du télétravail.

« L’accord de déménagement ne fait que reconnaître les pratiques développées par 60 à 70 % des salariés au forfait jours. Certains partent déjà à 15 heures pour éviter les embouteillages et finissent leur travail à la maison. Il suffit d’une clé USB et d’un ordinateur », souligne la CFE-CGC. Autoriser une plus grande flexibilité horaire – solution adoptée par un tiers des employeurs sondés – est l’un des premiers réflexes des entreprises pour répondre aux longs trajets domicile-travail, notamment dans les PME. « Mais cette mesure, souvent accordée dans le cadre du déménagement, est transitoire dans la plupart des cas. Après trois, quatre ans, l’entreprise revient généralement à un impératif de présence », note Jean-Claude Delgenes, directeur du cabinet Technologia. Les contraintes organisationnelles ne facilitent pas toujours ces aménagements. Malgré les horaires atypiques et le travail posté, le DRH d’Europig n’a pourtant pas hésité. Il a organisé une rotation du personnel polyvalent sur trois lignes de conditionnement, en attendant l’arrivée des « cinq de Saint-Brieuc » qui, chaque matin, font une heure de route dans la même voiture pour rejoindre l’usine. Une mesure considérée, ici, comme transitoire avant leur passage en CDI.

Deux ans avant son déménagement de Suresnes à Vélizy-Villacoublay, Dassault Systèmes a créé, avec d’autres sociétés de son futur site, une association pour envisager la mise en place d’un réseau de bus privés
FAVORISER LE COVOITURAGE

Avec 140 000 salariés et 5 000 entreprises concernés, le site de covoiturage créé fin 2006 par Aéroports de Paris est la plus grande opération interentreprises lancée en Ile-de-France. « Sur les aéroports, 90 % des salariés viennent au travail en voiture et seulement 2 % pratiquent le covoiturage », expliquait alors François Rubichon, directeur général délégué d’ADP, fixant un objectif de 5 % d’utilisateurs. Un horizon pas encore atteint. « Le covoiturage ne suffira pas à pallier les insuffisances des transports en commun », déplore l’Union CGT de Roissy.

Reste qu’il séduit de plus en plus (9 % des employeurs sondés y recourent), notamment en zones périurbaines. Pratique, économique, écologique… cette solution figure en bonne place des modes de locomotion alternatifs à la voiture individuelle proposés dans les plans de déplacements d’entreprise (PDE). Une démarche qui prend de l’ampleur : dans le sillage d’Euro Disney ou de STMicroelectronics à Grenoble, plus de 500 entreprises ont élaboré un PDE. En déployant des trésors d’imagination pour inciter au covoiturage. STMicroelectronics réserve ses meilleures places de parking aux covoitureurs. Euro Disney intéresse la démarche : chaque conducteur transportant un collègue gagne deux points et reçoit, au bout de 60 points, un chèque-cadeau de 45 euros.

FACILITER LE TÉLÉTRAVAIL

Chez Alcatel-Lucent, 300 salariés franciliens travaillent à domicile un ou deux jours par semaine. Air France et IBM s’y sont mis aussi. Chez Renault, 126 cadres, ingénieurs et commerciaux avaient opté pour le télétravail en octobre, neuf mois après la signature d’un accord de groupe. Une décision motivée, pour 70 % d’entre eux, par des difficultés de trajet. Révélateur, « l’ensemble des candidats opte pour deux jours dans un premier temps et passe, petit à petit, à trois et quatre jours », constate la commission de suivi de l’accord. Tandis que la direction affiche l’ambitieux objectif de 1 000 télétravailleurs à l’horizon 2009 !

Rien encore d’une déferlante : ce nouveau mode d’organisation, choisi par 7 % des employeurs sondés, se développe sur la pointe des pieds. Même si, sur le papier, les arguments séduisent : un gain de productivité pouvant atteindre les 30 %, des déplacements réduits et un meilleur équilibre vie privée-vie familiale. « Cela peut être une soupape intéressante pour les professions intellectuelles », note Jean-Claude Delgenes, du cabinet Technologia, qui constate le développement de formes assouplies de télétravail. « Au lieu du télétravail à l’ancienne mode, avec un bureau ou une pièce dédiés, on propose aux salariés de travailler deux jours à la maison avec un ordinateur, une imprimante et une simple liaison Internet. » Voilà la solution proposée, fin 2007, aux salariés de Bayer Schering Pharma pour les inciter à suivre le déménagement du siège de Puteaux (Hauts-de-Seine) à Lille (Nord). « Il fallait un argument fort pour convaincre les Franciliens », note Didier Fernandez, délégué CFDT, qui escompte, par la suite, signer un accord de télétravail.

ADAPTER LES TRANSPORTS COLLECTIFS

Quoiqu’il advienne, les salariés ont la certitude que le nouveau site sera desservi par un bus », se félicite Jean-François Fourcard, délégué CFE-CGC chez Dassault Systèmes. Le déménagement de Suresnes à Vélizy-Villacoublay du siège du numéro un de la conception en 3D a longtemps inquiété les salariés. En cause : les transports en commun. Il faudra attendre 2012 avant que le tramway Châtillon-Viroflay soit achevé ! Dassault Systèmes a pris les devants, en contactant deux ans avant l’emménagement les collectivités et le Syndicat des transports d’Ile-de-France, afin qu’ils améliorent les conditions d’accès au site. Mieux, il a créé, avec d’autres entreprises du site, une association (représentant 30 000 emplois). Pour peser sur les décisions mais aussi envisager une alternative. L’objectif ? Un réseau de bus privés complémentaire, avec un financement mutualisé entre les entreprises. Fin 2007, chacune avait identifié les plages horaires sensibles et le nombre de salariés concernés. Et Dassault Systèmes a budgété le financement : 300 000 euros par an. Le ramassage d’entreprise, solution privilégiée par 2 % des employeurs sondés par Liaisons sociales et l’IVM, se décline de plus en plus au pluriel. Pour des raisons de coût. « Les grandes entreprises, qui ont abandonné les bus d’employeurs, ne veulent plus y revenir. Cela est vite considéré comme un avantage acquis par les syndicats », remarque Éric Le Breton, sociologue à l’IVM.

51 %

des entreprises interrogées constatent des problèmes de transport chez une majorité de salariés.

Sondage Liaisons sociales-Institut pour la ville en mouvement sur les difficultés de transport et d’organisation de la vie quotidienne des salariés, réalisé en octobre 2007 auprès de 330 entreprises.

“Le partage des rôles pouvoirs publics-entreprises se modifie”

Éric Le Breton, sociologue et directeur scientifique à l’IVM.

Que révèle le sondage* ?

Une large majorité d’entreprises reconnaissent que leurs personnels rencontrent des problèmes de transport, de logement et de garde d’enfants, et que cela entame leur performance. Le sondage fait apparaître un clivage entre les entreprises privées et publiques, plus sensibilisées. Cela s’explique par une syndicalisation élevée et leurs conditions d’emploi : bon nombre cumulent une forte proportion de petits salaires avec des rythmes de travail atypiques.

Jusqu’où va cette sensibilisation ?

La moitié des entreprises interrogées intervient dans l’aide à la mobilité, 69 % dans l’aide au logement et 35 % ont aidé ou tenté d’aider leurs personnels pour la garde d’enfants. La question du déplacement mobilise particulièrement : 36 % des employeurs considèrent qu’ils doivent être en première ligne. Et la majorité veut bien intervenir mais pas toute seule ! Les entreprises attendent des pouvoirs publics plus d’efficacité.

Est-ce l’amorce d’une nouvelle implication des entreprises ?

Le compromis des Trente Glorieuses, assignant aux entreprises, aux salariés et aux pouvoirs publics leur propre domaine de responsabilité, est aujourd’hui interrogé. Le partage des rôles se modifie. Face aux difficultés de recrutement ou de turnover, des entreprises réinvestissent les domaines de la mobilité, du logement ou de la garde d’enfants. Dans les secteurs en tension, elles n’ont pas le choix. Mais cela ne reflète pas de néopaternalisme : leurs démarches sont complémentaires de celles des pouvoirs publics et reposent souvent sur une mutualisation de moyens entre employeurs ou sur de la sous-traitance.

* Accessible sur www.ville-en-mouvement.com.

Auteur

  • Anne Fairise

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