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Idées

À quelles conditions une offre d’emploi est-elle “acceptable” ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2008 |

Constatant que 500 000 offres d’emploi restent non pourvues en France, Nicolas Sarkozy a réclamé des sanctions contre les chômeurs qui refuseraient deux offres acceptables. Mais comment définir un emploi valable ou acceptable ? Les réponses du président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi, d’un spécialiste de la mobilité chez Algoé Consultants et d’un expert du cabinet Syndex.

Jacques Freyssinet Président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi.

La notion d’offre d’emploi acceptable enrichit un vocabulaire dont la variété illustre l’opposition entre deux objectifs : d’une part promouvoir l’amélioration de la qualité de l’emploi, d’autre part renforcer les incitations au travail pesant sur les chômeurs. Dans la première direction, la convention de l’OIT sur le service public de l’emploi précise, dès 1948, que celui-ci doit « aider les travailleurs à trouver un emploi convenable ». Depuis 1999, le BIT a promu la notion de « travail décent » tandis que l’Union européenne a retenu, parmi les objectifs de la stratégie de Lisbonne, en 2000, la création d’« emplois de qualité ». En pratique, la notion d’emploi convenable a surtout été mobilisée dans une autre direction : caractériser les offres d’emploi dont le refus peut entraîner la suppression de l’indemnisation du chômage. Lorsqu’ils ont été confrontés à des poussées de chômage, la plupart des pays d’Europe occidentale ont durci les critères de refus légitime d’une offre d’emploi par un chômeur, qu’il s’agisse du niveau de salaire ou de qualification, de la distance à l’emploi ou de la précarité de celui-ci.

En France, la négociation collective a plusieurs fois buté sur cette question. En juin 2000, le premier accord sur la réforme de l’indemnisation du chômage prévoit que le demandeur d’emploi réduise ses exigences avec l’allongement de la durée de chômage. Le refus d’agrément oblige les signataires à revenir au texte du Code du travail. La question est à nouveau soulevée lors de la négociation de l’accord de 2005 : le Medef propose de discuter de l’offre valable d’emploi. Les syndicats sont divisés et, finalement, la question est écartée. Le récent accord sur la modernisation du marché du travail consacre, pour la première fois, la notion d’offre valable d’emploi, mais la définition qui en était donnée dans le dernier projet discuté a disparu du texte final.

Ces atermoiements reflètent une difficulté réelle : l’affirmation du droit à l’emploi n’a de sens que si l’on reconnaît en même temps aux travailleurs un seuil minimal d’exigences quant à la qualité des emplois qu’ils occupent ou qu’ils recherchent. Cette définition ne peut reposer sur des critères objectifs acceptés par tous. Elle reflète, à long terme, un niveau et un modèle de développement, à court terme, la conjoncture du marché du travail et les rapports de force qui en résultent. L’offre d’emploi acceptable ne peut être qu’une norme provisoire exprimant, sur ces bases, un compromis daté.

Jean-François Carrara Directeur du département employabilité et mobilité chez Algoé Consultants.

Evoquée récemment par le président de la République et la ministre de l’Économie et de l’Emploi, Christine Lagarde, l’offre valable d’emploi est un concept ancien qui a été à l’origine de nombreux débats au sein de la profession des conseils en mobilité, spécialisés dans les démarches de reclassement. En effet, l’idée même d’offre valable d’emploi (OVE) suppose que soient définis, préalablement, des critères permettant de distinguer une offre considérée comme acceptable d’une autre offre plus éloignée des capacités professionnelles et personnelles du demandeur.

Le plus souvent, trois paramètres sont retenus : la compétence, la rémunération et l’éloignement du domicile. La réalité opérationnelle, c’est-à-dire les objectifs des entreprises et ceux des personnes à la recherche d’emploi, est beaucoup plus complexe et ne peut se résumer à une simple mise en conformité de critères nationaux prédéterminés. La géographie locale, le coût du déplacement et la rémunération de la personne, la situation familiale, ou encore les horaires et les conditions de travail sont autant de contraintes qui représentent des freins « acceptables » au reclassement.

La seule application de critères généraux définissant l’offre valable d’emploi ne pourra donc pas constituer un accélérateur du processus de reclassement et permettre la fluidification espérée du marché de l’emploi. Ce constat, partagé par un nombre croissant d’experts en accompagnement des mobilités, est à l’origine d’une désaffection progressive de la notion « d’offre valable ou acceptable d’emploi » au profit de la notion d’« accord de mobilité professionnelle engageant ». Cette approche est sensiblement différente, parce qu’elle met en place, dès l’élaboration du projet professionnel, un véritable contrat, accepté d’un commun accord, qui a pour objet de définir précisément avec l’intéressé un parcours, des modalités et, surtout, les caractéristiques d’un reclassement acceptable.

À partir de cet engagement contractuel, et en toute connaissance de cause, pourront être constatés et analysés certains types de dérives pouvant entraîner directement ou à terme un arrêt ou une suspension du système d’allocation, en particulier le refus d’une offre d’emploi « conforme », c’est-à-dire répondant aux critères définis dès l’origine de la démarche par l’accompagnateur et le demandeur d’emploi.

Dominique Paucard Intervenant du cabinet Syndex.

Depuis 1973, l’article L. 311-5 du Code du travail a été à plusieurs reprises modifié jusqu’à circonscrire, à partir de 1993, le champ du refus légitime d’un emploi par un demandeur d’emploi, et donc les caractéristiques d’un emploi réputé acceptable au regard de la loi. Pourtant, ce ne sont pas ces évolutions successives qui ont donné naissance à la notion d’« offre valable d’emploi ». Elle est apparue au milieu des années 90 afin de donner une consistance aux engagements de l’employeur dans le cadre d’un plan social. Ainsi, dans le plan social de Chausson de 1995, la définition de l’OVE fixait un objectif de retour à une situation qui ne serait pas trop éloignée de celle qui allait être perdue par les salariés licenciés. Il s’agissait d’une situation durable (un emploi en CDI apprécié au terme de la période d’essai) et a priori acceptable (un emploi correspondant à la qualification ou au projet professionnel de la personne considérée, à des conditions de rémunération et de distance au domicile présentant un écart modéré par rapport à la situation antérieure). Le dispositif était régulé par une commission de suivi paritaire, chargée notamment d’apprécier le caractère valable ou non de telle ou telle offre litigieuse. Depuis, cette notion s’est progressivement diffusée dans les plates-formes revendicatives des représentants des salariés et la définition de l’OVE dans le plan social fait régulièrement l’objet d’âpres discussions avec les directions.

Parallèlement, les cabinets de reclassement, instruments de la mise en œuvre des engagements de l’employeur et sur lesquels ce dernier se décharge volontiers, ont été amenés à l’intégrer à leur offre de services. Enfin, l’administration du travail l’a inscrite dans le cahier des charges qu’elle impose en cas de conventionnement de la cellule de reclassement, et un plan social qui ne proposerait pas deux ou trois OVE aux salariés licenciés s’expose au risque d’un constat de carence. On peut voir quelque ironie au retournement conceptuel récent qui, d’un dispositif conçu comme protecteur pour les salariés licenciés, en vient à désigner un dispositif contraignant pour les demandeurs d’emploi. Mais cette inversion rappelle que l’imposition d’une obligation pour les uns n’a de sens que si elle s’accompagne d’une obligation pour les autres, tant en termes de définition de l’emploi acceptable et de régulation des divergences d’appréciation que d’effectivité des propositions d’emploi.