logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

La mobilité à la mode grenobloise

Enquête | publié le : 01.02.2008 | Éric Béal

Création d’activité, reconversion ou évolution en interne : le pôle de mobilité créé par STMicroelectronics permet aux salariés de réfléchir à leur avenir, en toute tranquillité. Reportage.

J’avais envie de changer de vie. Le pôle de mobilité est arrivé à point nommé pour appuyer mon projet personnel. » Gérard travaille pour STMicroelectronics, à Grenoble. Dans quelques mois, il sera le patron d’une société de services. Très discret sur ses intentions, cet ingénieur en électronique ne tarit pas d’éloges sur l’aide apportée par les consultants du « pôle de mobilité régional et interentreprises », une structure associative quepeuvent solliciter les salariés isérois du fabricant de semi-conducteurs franco-italien. « Ils m’ont aidé à prendre conscience des conséquences de mon départ sur ma vie personnelle et leur soutien a été précieux pour établir mon business plan. » Une relation étroite que le départ de Gérard ne rompra pas totalement, puisqu’il continuera de bénéficier des conseils d’un consultant du pôle pendant deux ans. De manière à atténuer le risque pris en quittant le cocon de l’entreprise.

Créée le 28 mai 2007, en association avec Capgemini, Radiall Systems, NXP Semiconductors et Hewlett-Packard, quatre entreprises ayant des implantations dans le département, le pôle de mobilité n’est pas uniquement destiné aux salariés de STMicroelectronics. Dès que les autres entreprises fondatrices auront signé un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences encadrant le départ volontaire de leurs salariés, ces derniers pourront s’adresser aux quatre consultants, dont deux sont salariés de l’Apec.

Sans stress ni urgence. Installés sur la zone d’activités de Montbonnot-Saint-Martin, une commune située à quelques kilomètres au nord-est de Grenoble, les locaux du pôle de mobilité n’ont rien d’ostentatoire. Quelques bureaux équipés d’ordinateurs et une salle de réunion, au premier étage d’un petit immeuble de verre. L’objectif officiel de cette structure originale est de permettre aux salariés volontaires de réfléchir à leur avenir professionnel. Sans stress ni urgence. Les visiteurs peuvent consulter des dossiers de presse sur l’actualité économique régionale. Des magazines disposés dans le hall d’accueil complètent le dispositif. Alain Brémon, le consultant chargé d’assurer la coordination et le bon fonctionnement du site, connaît bien STMicroelectronics. Ancien responsable marketing de l’entreprise franco-italienne, cet ingénieur est devenu coach et consultant indépendant. Il a déjà participé à l’accompagnement des salariés volontaires pour créer une entreprise, lors de la restructuration de 2005. « Ceux qui viennent nous voir sont souvent porteurs d’un projet et parfois dans une impasse, explique-t-il. Ils sont inquiets quant à l’avenir de leur métier. Ils ont peur que leurs connaissances soient bientôt obsolètes ou ils ne se sentent pas bien à leur poste et souhaitent évoluer. » Ivan entre dans cette dernière catégorie. Ce jeune ingénieur de moins de 30 ans était déçu par ses fonctions. Trois ans après son arrivée dans l’entreprise, il souhaitait bénéficier d’une aide pour créer une entreprise d’e-commerce. « En creusant le projet avec Alain Brémon, je me suis rendu compte que l’activité n’était pas viable, explique le jeune homme. Il m’a poussé à en discuter avec mon manager et le service RH. J’ai réalisé que l’entreprise souhaitait me garder. Après quelques rendez-vous à la DRH, on m’a proposé un poste de manager de production qui me plaît. » Ce qui n’empêche pas Ivan de se former pour devenir coach…

Seuls les volontaires sont reçus au pôle de mobilité . Rare sont ceux ayant averti la DRH ou leur supérieur hiérarchique avant de venir. Fin 2007, deux projets finalisés avaient déjà été présentés devant la commission paritaire de suivi. En tout, quelque 70 personnes utilisaient la structure, et les consultants estimaient qu’une trentaine d’entre elles avaient des chances de partir dans les six à neuf mois suivants. « L’idée du pôle m’est venue en discutant avec les représentants du personnel, après les plans sociaux que nous avons conduits en 2003 et 2005. Je souhaitais éviter de revivre l’expérience d’un conflit social pour cause de restructuration », indique Thierry Denjean, le DRH de STMicroelectronics. De leur côté, les représentants syndicaux s’étaient aperçus, à l’occasion du PSE, que nombre de salariés avaient des projets personnels ne demandant qu’à être mis sur pied. Pour peu que la démarche soit sécurisée. « Avant le pôle, un salarié fatigué ou désirant se reconvertir n’avait le choix qu’entre la démission et une conduite conflictuelle pour se faire virer », relève Mohammed Derouich. Le délégué central CFTC de STMicroelectronics considère que le pôle comble une lacune du Code du travail.

De 20 000 à 30 000 euros de cotisation. Pour inciter les salariés à utiliser le pôle en confiance, le choix de Thierry Denjean s’est arrêté sur une structure associative située à l’extérieur du site de production, de façon à permettre aux salariés de dévoiler leurs intentions en toute discrétion. Autre caractéristique de l’association, sa vocation à s’ouvrir à d’autres entreprises présentes dans le bassin d’emploi. « Les salariés sont très attachés à leur région d’origine. Peu de Bretons ont accepté un poste sur un autre site en 2003, par exemple. Si nous voulons favoriser la mobilité, il nous faut travailler sur tous les bassins d’emploi où nous sommes présents », indique Thierry Denjean. Une analyse partagée par Maurice Glatigny, DS CFE-CGC. « Les gens ne veulent pas changer de région. C’est pour cela que nous avons intégré ce point dans notre demande d’ouverture de négociation de la GPEC après les plans sociaux. » Concrètement, les entreprises de plus de 3 000 salariés paient 30 000 euros de cotisation annuelle. En dessous, le tarif est de 20 000. À terme, les PMI pourront adhérer au dispositif pour un tarif moins élevé. Afin de clarifier les conditions d’utilisation du pôle, les entreprises adhérentes s’engagent à suspendre leur participation au dispositif en cas de projet de restructuration.

Bilan de compétences. Loin de ces considérations stratégiques, les quatre consultants du pôle reçoivent tout le monde. « Dans le cadre de leur GPEC, les entreprises adhérentes ont déterminé les métiers susceptibles de disparaître sous le coup de mutations technologiques. Nous commençons par vérifier que le métier ou le poste de la personne sont prioritaires pour bénéficier des aides à la mobilité de l’entreprise. Mais, même si cela n’est pas le cas, nous discutons de la faisabilité du projet. Et nous encourageons ceux qui souhaitent se lancer dans la création d’entreprise à passer un bilan de compétences », explique Alain Brémon. Règle d’or pour le salarié volontaire : être acteur de son projet. Une fois sa réflexion menée à terme, le salarié volontaire s’adresse à la DRH s’il envisage une évolution professionnelle interne. Mais s’il veut partir, son projet doit être validé par une commission au sein de laquelle siègent les représentants syndicaux ainsi que le directeur de l’ANPE locale, celui de l’Assedic et le responsable de la DDTEFP.

Reste un détail qui chiffonne Thierry Denjean. S’il a obtenu le soutien de la DGTEFP et des Assedic pour que les créateurs d’entreprise bénéficient de l’Accre, les indemnités perçues par les salariés, après rupture à l’amiable de leur contrat de travail, ne sont pas défiscalisées. Contrairement à celles perçues lors d’un PSE. Sur ce point, le DRH de STMicroelectronics fait pourtant valoir que son entreprise ne se débarrasse pas de ses salariés. Elle a prévu de les réintégrer lorsque l’aventure se solde par un échec pendant les trois mois de leur période d’essai, pour ceux ayant trouvé un poste salarié, ou durant l’année suivant la création de leur entreprise, pour les indépendants. Une possibilité que Gérard n’envisage pas. « Ma société veut se séparer de ses salariés français pour investir dans des pays low cost. Moi, je ne veux pas faire partie de la dernière charrette », assure-t-il d’un air sombre. Une méfiance qui n’empêche pas Thierry Denjean de persévérer. Un autre pôle vient de voir le jour à Aix-en-Provence, un troisième est prévu à Tours. À l’évidence, la gestion des ressources humaines de STMicroelectronics suit une évolution irréversible…

Auteur

  • Éric Béal