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Enquête

La grande loterie des guichets départs

Enquête | publié le : 01.02.2008 | Stéphane Béchaux

Jackpot pour les uns, source d’amertume pour les autres, les guichets départs ne laissent personne indifférent dans les entreprises. Mais ils sont moins mal vécus que les plans sociaux, surtout si les syndicats y sont associés.

Après les bagnoles, le vin blanc d’Alsace. Recruté voilà trente-cinq ans, Marius a quitté fin octobre l’établissement Peugeot de Mulhouse. Direction les vignes. « J’ai profité du plan de départs volontaires de PSA pour reprendre l’exploitation familiale », explique l’intéressé, par ailleurs salarié chez un viticulteur local. Un retour à la terre favorisé par le gros chèque signé par le constructeur automobile – vingt-quatre mois de salaire brut. Soit cinq de plus que Christine. Spécialisée dans la gestion d’actifs immobiliers, cette manager a quitté Carrefour à la fin du mois d’août, après treize ans de maison. Fraîchement installée à Nantes, elle recherche l’emplacement de sa future boutique d’ameublement et décoration, Astus Déco.

Hôtel ou restaurant végétarien. Chez PSA, à Carrefour ou à France Télécom, on ne compte plus les crêperies, sociétés informatiques et autres librairies créées ou reprises par d’anciens collaborateurs après l’ouverture de plans de départs volontaires. Et pourtant, tous les entrepreneurs en herbe ne sont pas servis. Soucieuses de ne pas envoyer les salariés au casse-pipe, les cellules d’accompagnement veillent à la faisabilité des projets avant de donner leur feu vert. « Dans mon atelier d’essaimage, un participant voulait reprendre un hôtel, un autre monter un restaurant végétarien, un troisième se lancer dans la vente d’électricité au Maroc.

Sur les 15 présents, je suis le seul à être sorti avec un entretien », témoigne Frédéric. Technicien SAV à France Télécom, ce trentenaire a finalement quitté l’opérateur en juin, avec un an de salaire. De quoi s’assurer que son nouveau métier, musicien au sein du groupe Kitoslev, était viable. « Si ça ne marche pas, je peux revenir à mon ancien poste, à condition de rembourser les sommes perçues », précise-t-il.

Pour les directions, ces projets entrepreneuriaux, par nature personnels et à maturation lente, sont les plus faciles à gérer. Car ils ne génèrent ni jalousie, ni injustice, ni désorganisation au sein des équipes. Il n’en va pas de même des incitations financières à changer d’entreprise. Signer un gros chèque à tous ceux qui trouvent rapidement un nouvel employeur, tous secteurs d’activité confondus, peut s’avérer problématique. Chez PSA, les cadres se sont ainsi précipités vers la porte de sortie. « La direction escomptait 1 200 départs, il y en a eu 1 800. Ceux qui restent vont maintenant devoir gérer le vide », souligne Michel Segura, délégué CFE-CGC à Peugeot Mulhouse. Beau joueur, le constructeur automobile a laissé partir tous les volontaires. Quitte à dégarnir dangereusement certains services.

Gare aux retardataires ! À Carrefour Hypermarchés France, le plan de départs volontaires n’a pas eu un tel succès. Au siège, les 336 suppressions de postes annoncées en juin 2006 se sont finalement traduites par 285 départs effectifs. Mais la procédure n’en a pas moins semé la zizanie. Dans certains services – les achats, la vente à distance, la gestion des actifs –, les postulants ont été très nombreux. « Comme n’importe qui pouvait faire acte de candidature, l’entreprise a été prise à son propre piège. Dans 80 % des cas, les gens ont pu partir dans de bonnes conditions. Mais, pour les autres, ça s’est très mal passé », explique Jean-Paul Millet, délégué syndical CGT-FO, tout jeune préretraité. Les premiers sur la ligne de départ n’ont eu aucun problème pour faire leurs valises. Même dans les métiers les plus sensibles : à la centrale d’achats, par exemple, certains cadres ont été remerciés d’un gros chèque pour aller travailler… chez le concurrent direct !

Les retardataires, en revanche, n’ont pas tous connu le même sort. Ceux qui travaillaient dans un service déjà déserté ont parfois trouvé porte close. Telle cette salariée qui, promesse d’embauche en poche, s’est vu refuser le bénéfice du plan, au motif que l’entreprise voulait la garder. « L’accord stipule clairement que les départs se font sur la base du double volontariat. Mais, dans la vraie vie, ça s’est fait à la tête du client, en fonction du rapport de force », assure l’intéressée, qui envisage de saisir les prud’hommes pour discrimination. Histoire d’obtenir les quatorze mois de salaire auxquels elle a dû renoncer en démissionnant.

Globalement, les plans de mobilité externe sont vécus moins douloureusement que les PSE. Pour peu que les règles du jeu soient claires, et que les organisations syndicales participent pleinement au processus. « Le partenariat est fondamental. Il faut que direction et syndicats se fassent confiance, construisent ensemble. Sinon, ça ne peut pas marcher », insiste Hervé Chabord, délégué CFE-CGC à Thales Air Systems. Chez le spécialiste des radars, quelque 500 collaborateurs – près du quart des effectifs – ont franchi la porte de l’une des cellules d’accompagnement mises en place après la signature, en mars 2006, d’un accord unanime de « gestion active de l’emploi ». Résultat, 400 mobilités réalisées, pour l’essentiel à l’intérieur du groupe. À IBM France, en revanche, les tensions sont palpables. Et ce malgré l’annulation, en juillet, d’un PSE annoncé quelques mois plus tôt. « La nouvelle direction sait parfaitement qu’elle peut dégraisser autant, et pour moins cher, sans recourir à un PSE. Afin de trouver des volontaires au départ, il lui suffit de muter des salariés à l’autre bout de la France, ou de ne pas leur donner de boulot », explique Régine Delebassée, la leader cégétiste.

Les départs sécurisent les restants. Les guichets départs font toujours beaucoup jaser dans les couloirs. Et génèrent des sentiments ambivalents. « D’un côté, les gens sont déprimés de voir partir leurs collègues, et de récupérer leur charge de travail. De l’autre, ils sont soulagés car chaque départ sécurise un peu plus leur propre poste », résume un syndicaliste de Carrefour. Les quelque 4 000 salariés de Thales Airborne Systems sont actuellement dans cette situation. Engagée dans un plan de suppression de 300 postes, l’entreprise recherche des candidats à la mobilité, dans le groupe ou vers l’extérieur. « On n’a eu aucun mal, bien au contraire, à trouver des candidats pour les 100 “mises à disposition”, nos préretraites maison. Maintenant, il faut trouver les autres », confirme Dominique Roland, délégué CGC sur le site de Pessac.

À France Télécom, l’ambiance est aussi morose. Dans certains sites, les salariés ont le choix entre trouver un emploi à l’extérieur, dans la fonction publique notamment, ou allonger considérablement leur temps de transport pour rester dans l’entreprise. À Niort, par exemple, la disparition du service d’accueil commercial clients se traduit par un transfert des équipes à Poitiers et La Rochelle. « Sur les 24 salariés du service, 5 sont partis avec un projet personnel : garde d’enfants, secrétariat de mairie, expertise en plomb et amiante… Les autres vont rejoindre l’une des deux villes, en espérant qu’on tienne compte de leur préférence », détaille un syndicaliste de SUD. Des salariés plutôt âgés qui, faute d’opportunités, n’ont pu tirer le gros lot du guichet départs…

Auteur

  • Stéphane Béchaux