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Vie des entreprises

Les profs d’anglais ne sont pas logés à la même enseigne

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.01.2008 | Anne-Sophie Bellaiche

Face au Wall Street Institute, à sa méthode franchisée, à son organisation carrée et à ses CDI, les profs de Telelangue ont plus d’aléas à gérer, mais un meilleur salaire horaire et une plus grande liberté pédagogique.

Dans le Fusac, le journal de la communauté anglophone de la capitale, les annonces de recrutement de professeurs d’anglais se bousculent. Elles chassent une denrée qui devient rare : le native speaker possesseur du TEFL, le diplôme d’enseignement de l’anglais aux étrangers. Les quelques poids lourds et la myriade de microentreprises du secteur de la formation linguistique se l’arrachent. Car l’appétit des entreprises et de leurs collaborateurs pour l’anglais (90 % de la demande en langues étrangères) grandit avec l’internationalisation de l’économie. Cette année encore, selon Philippe Marec, le président de la commission langue de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), la croissance devrait tourner autour de 8 %. Mais deux entreprises font encore mieux que le marché. Wall Street Institute, le leader toutes catégories, et Telelangue, le numéro un de l’offre aux entreprises.

Deux modèles opposés. Créé en 1972 en Italie, et une quinzaine d’années plus tard en France, Wall Street Institute a fait le choix d’une implantation physique, très visible, sur le terrain. Le rythme s’est accéléré dans l’Hexagone depuis l’an 2000. Sous la houlette de Nathanaël Wright, HEC, et fils de Peter Wright, importateur du concept en France, l’enseigne est passée en sept ans de 17 à 59 centres. Au menu : une méthode, un marketing agressif tourné vers le grand public et le recrutement de franchisés. Dans chaque zone géographique : un patron à part entière. Il colle aux besoins de son territoire pour le développement commercial et gère sa boutique à sa guise, en particulier sur le terrain social. Deux impératifs tout de même : appliquer à la lettre le concept pédagogique qui fait le succès de l’enseigne et investir dans ses locaux pour un aménagement intérieur soigné qui rassure le chaland.

Chez Wall Street, la majorité des clients suivent en effet leur formation dans le centre, avec une bonne dose de multimédia. C’est là que se retrouvent les professeurs. Le site de la place de la République, à Paris, offre la vision d’un Wall Street idéal : sol parqueté, design soigné des salles de cours, enfilade de bureaux de commerciaux rebaptisés language consultants, et un grand laboratoire où, casque sur la tête, une vingtaine d’élèves bûchent face à des ordinateurs flambant neufs. Un modèle quasi industriel et très rentable qui a séduit le fonds d’investissement Carlyle, acquéreur de l’entreprise en 2005.

Chez Wall Street, on vient plutôt chercher un travail bien organisé et une paie régulière

Autre ambiance à Telelangue, toujours possédée, vingt-sept ans après sa création, par Michel Dubedout et ses deux associés, l’Uruguayen Alvaro Camp et l’Allemande Christina Bork. L’entreprise, installée à Ivry dans des locaux à l’agencement gentiment foutraque, se développe de manière centralisée depuis l’Ile-de-France en cumulant le métier de formateur et d’éditeur. Elle réinvestit aujourd’hui ses 10 % de croissance annuelle en attaquant trois marchés étrangers, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, sous le nom plus international de World Speaking. Telelangue compte aussi des antennes locales, sept en Ile-de-France, mais on y donne peu de cours, car la plupart des professeurs se rendent directement en entreprise ou dispensent leur expertise depuis chez eux au téléphone.

Travail à domicile. Inventeur du concept du cours au bout du fil au milieu des années 80, Telelangue fait travailler la moitié de ses 500 formateurs, éventuellement en pyjama, depuis leur appartement de Paris, Londres, New York, Sydney ou Ottawa… Une recette intéressante qui économise des transports, des locaux et, surtout, des charges sociales. Selon Christina Bork, directrice pédagogique et RH, « les États-Unis, qui sont déjà très compétitifs sur les charges, le sont encore plus à cause du cours du dollar. Quant à l’Allemagne, autrefois au même niveau que la France, les charges y représentent aujourd’hui 30 % du salaire alors qu’il faut toujours compter 45 % pour un Français ».

Pour réduire les frais dans un marché, qui pour être en croissance n’en est pas moins durement disputé sur les prix, Wall Street Institute a une recette encore plus efficace : réduire le nombre de professeurs. Nathanaël Wright, le patron des centres parisiens et master franchiseur pour la France, l’explique sans détour : « Nous avons trois à quatre fois moins de professeurs que nos concurrents. » Le gros des troupes est constitué de commerciaux. Ainsi, le franchiseur de Bordeaux, qui compte seize collaborateurs, ne rémunère que cinq professeurs dont deux seulement à temps plein. L’autoapprentissage est l’un des piliers de la méthode. L’élève n’a accès à un cours collectif de trois à cinq élèves que lorsqu’il a entièrement maîtrisé le module sur ordinateur. Il peut faire quatre à cinq heures en multimédia pour une heure en cours. À cela s’ajoutent des heures de conversation autour d’un petit déjeuner, d’un film ou autre événement convivial. Résultat de l’opération, l’heure d’une formule Wall Street se vend au maximum 27 euros, avec une dégressivité selon la durée, alors que le marché est plutôt aux alentours de 45 euros. Ces deux modes d’organisation influent radicalement sur la gestion des professeurs. Telelangue s’appuie sur leur autonomie, Wall Street sur leur conformité.

Des CDI, intermittents ou non. Chez Telelangue comme dans les centres parisiens de Wall Street qui ont une bonne assise financière, les contrats sont des CDI. C’est une sécurité par rapport aux petites structures qui n’hésitent pas à enchaîner les CDD. Mais alors que Telelangue propose des CDI intermittents, un engagement annuel d’heures avec une flexibilité dans leur répartition, les centres parisiens de Wall Street s’engagent, eux, sur des contrats à durée fixe, en majorité de trente et une heures hebdomadaires. Wall Street anticipe mieux l’occupation des professeurs en proposant des plages de cours auxquels s’inscrivent les élèves. De plus, avec peu de cours particuliers, ce planning est moins soumis aux annulations de dernière minute. « Une plaie dans la profession », selon Philippe Marec, de la FFP. Car, en conséquence, les professeurs ne sont pas rémunérés. Wall Street l’a bien compris. Mais, en contrepartie d’une régularité de temps et de lieu de travail garantie aux profs, les antennes parisiennes pratiquent des tarifs horaires nettement au-dessous du marché, mais légèrement au-dessus de la convention collective, à 10,39 euros, par un système de prime qui récompense la qualité du suivi administratif.

Fiona Goodyear, anglaise et prof depuis quinze ans pour Telelangue, est mieux lotie en termes de salaire : elle touche environ 20 euros l’heure avec ses cours de visu. Ses collègues débutants sont payés environ 17 euros. Contrairement à un enseignant de Wall Street, elle doit s’organiser avec une durée du travail qui varie (de cent à cent vingt heures selon les mois). Elle fait partie des deux tiers de professeurs de Telelangue qui ont choisi un plein-temps. Pour éviter les irrégularités de revenu et fidéliser son personnel, Telelangue propose depuis quelques années un lissage de la rémunération. Fiona doit également gérer la contrainte des déplacements d’un site à l’autre. « Mais ces déplacements sont indemnisés (sur la base du smic horaire) et en général plutôt bien organisés par mon manager. » Elle connaît ses élèves, qu’elle suit chaque semaine, et a une visibilité sur l’allure de son planning à environ six mois même si s’opèrent des réaménagements en cours de route.

Pour Simon Farnham, un Anglais basé dans le sud de Londres, le système Telelangue est plus simple. Il a déterminé une plage horaire de disponibilité et travaille six heures par jour à raison de 12 cours d’une demi-heure. Christina Bork estime qu’« il est difficile de faire un plein-temps par téléphone », mais apparemment cela ne l’empêche pas d’appliquer la formule à Simon. Notre Anglais, qui apprécie le confort du domicile, même s’il se sent parfois un peu isolé, retrouve aussi les mêmes élèves pendant la durée de leur apprentissage. Ils réservent via Internet sur un logiciel d’emploi du temps « très pratique et convivial », explique-t-il.

Peu de créativité. À Wall Street, quel que soit le centre, la relation entre élève et professeur est nettement plus frustrante, de l’avis de ceux qui l’ont expérimentée. En cause, l’organisation : l’élève choisit prioritairement un niveau de cours et un horaire qui lui conviennent et non un professeur. Sarah Frericks, qui a enseigné au Wall Street Institute en Allemagne avant de rejoindre Telelangue, n’a même pas contacté l’enseigne à son arrivée en France. « J’avais été très frustrée car je n’avais aucune relation personnalisée. Je ne voyais pas les progrès réalisés et je n’avais aucune marge de manœuvre pour personnaliser mes cours. » Chez Telelangue, Sarah peut adapter ses supports comme elle le souhaite, en fonction des besoins spécifiques.

50 % des profs de Telelangue travaillent depuis leur domicile, de Paris, Londres, New York…

La liberté pédagogique et le partage des connaissances sont au cœur de l’approche de Telelangue. L’entreprise en a fait, au-delà d’une philosophie, un système original de motivation. « Le service de recherche et développement recueille en permanence les remarques des professeurs pour les intégrer à l’outil d’e-learning comme aux éditions de la maison », note la directrice pédagogique. En soutien, l’entreprise a créé un poste de knowledge manager. Ces interactions entre les professeurs français et étrangers sur l’outil lors de réunions de travail interenseignants s’avèrent un bon moyen de fédérer les collaborateurs. Telelangue incite aussi les professeurs qui en ont les compétences à monter des ateliers spécifiques pour vendre des produits sur mesure aux entreprises. Sarah travaille à la préparation d’un atelier sur « l’interculturel » en plus de son enseignement généraliste, car elle a fait un master d’administration des affaires.

À Wall Street, on n’attend pas des professeurs qu’ils interviennent sur la méthode. « Elle est solide, reconnaît la dirigeante d’une structure concurrente, mais elle vient d’en haut et ne fait pas l’objet d’adaptation. » Dans la petite communauté des profs d’anglais, Wall Street évoque une maison où le formateur est relativement interchangeable. On ne viendrait pas y chercher un épanouissement pédagogique et un bon salaire mais plutôt un travail bien organisé et une paie régulière. Seule façon de sortir de la nasse : grimper. « Chez nous, les perspectives d’évolution sont verticales, confirme Nathanaël Wright, on peut devenir directeur pédagogique d’un centre pour former et gérer les autres professeurs, puis directeur régional ou national. » La méthode semble moins fidélisante que celle de Telelangue, puisque Wall Street à Paris admet un turnover de 25 % alors que son concurrent ne revendique « que » 15 %. Des affirmations difficiles à vérifier vu le relatif désert syndical de ces deux maisons.

Plutôt dispersés, les professeurs de la formation continue ne sont pas des familiers de l’action collective. Le minimum conventionnel n’a pas bougé depuis 2002. Et, selon Olen Shiver, délégué Ile-de-France du Syndicat national de la formation de la CFDT, « comme la demande est là, les professeurs préfèrent aller voir ailleurs plutôt que de se battre pour améliorer leur condition dans leur propre entreprise ». Des espérances pas toujours au rendez-vous.

Wall Street Institute

Nombre de centres : 59 en France (350 dans 26 pays)

Nombre de salariés : 500

Chiffre d’affaires : 32 millions d’euros

Telelangue

Nombre d’antennes : 7 en Ile-de-France (+ un réseau de 41 partenaires)

Nombre de salariés : 600 dont 500 profs

Chiffre d’affaires : 17 millions d’euros

Précaires des petites sociétés

Selon Me Albouy, avocat spécialisé dans le secteur de la formation, « si les grands opérateurs respectent peu ou prou la convention collective, c’est loin d’être le cas pour la myriade de petites sociétés ». Mais les leaders montrent peu d’appétit à s’investir sur la dimension collective. Symptomatique, leur faible implication, à l’exception de Berlitz, dans la fédération FFP. Résultat, selon Olen Shiver, délégué Ile-de-France du Syndicat national de la formation de la CFDT, « nombre de petites entreprises continuent de s’exonérer de leurs obligations ».

Principaux points noirs : le non-paiement des heures de transport entre deux clients, les CDD à répétition et l’utilisation abusive des CDI d’intermittents. Ce CDI peut être un redoutable outil de pression sur le formateur. « On s’engage sur un nombre d’heures minimal, on donne des heures complémentaires et, s’il y a un problème avec le salarié, on ferme subitement la vanne », explique Me Albouy. Pour Olen Shiver, au-delà des atteintes au droit, le principal problème est celui de la revalorisation salariale. « Les formateurs qui ont besoin de perspectives quittent souvent le secteur. Surtout s’ils ont des compétences complémentaires. »

Auteur

  • Anne-Sophie Bellaiche