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Politique sociale

La Chine muscle son droit du travail

Politique sociale | publié le : 01.01.2008 | Joris Zylberman

La loi sur le contrat de travail et les droits des salariés entrée en vigueur le 1er janvier en Chine est une avancée décisive. Mais toutes les entreprises ne sont pas prêtes à jouer le jeu.

Je préfère rédiger soigneusement le document avec mon avocat avant de le soumettre à mes salariés. » Dans son bureau de Shanghai, Emmanuel Gros reste prudent. Le « document » en question est le règlement intérieur de PCM, une entreprise de pompes pétrochimiques dont il est le directeur Asie-Pacifique. À partir du 1er janvier, la nouvelle loi sur le contrat de travail en Chine oblige les entreprises à faire valider leurs règles de fonctionnement par les employés. « Nous avions un règlement très basique, reconnaît Emmanuel Gros. Il nous faudra aller plus dans les détails. » Autrement dit, rien de moins que définir les cas de licenciement, la notion de rémunération, la durée du travail, la protection sociale ou la clause de non-concurrence. « Sans compter ce que voudront inclure les salariés, ajoute-t-il. La loi leur donne bien plus de place ! »

La prudence d’Emmanuel Gros n’est pas anodine. La question du nouveau rôle des représentants des salariés et du Syndicat, organe du Parti, symbolise à elle seule le long chemin parcouru – deux ans – jusqu’à l’adoption de la loi. Plus de 190 000 experts et acteurs du monde du travail ont été consultés et le texte a dû être modifié trois fois. Au début, la loi accordait aux syndicats un « droit d’ingérence » dans les règles de l’entreprise. Résultat : une sainte colère des milieux d’affaires, surtout étrangers, inquiets d’une « européanisation » du modèle social chinois, signant la fin de sa flexibilité. Le gouvernement de Pékin a finalement accepté de réduire l’intervention des syndicats à une simple « consultation », néanmoins obligatoire.

Renforcement du CDI. La législation sur le travail est un phénomène récent en Chine, la première sur le contrat de travail datant de 1994. Mais, comme souvent dans le pays, le texte n’a jamais été vraiment appliqué. Dans le secteur privé, près de 80 % des travailleurs n’ont pas signé de contrat. La plupart des employeurs licencient sans véritable justification, refusent de payer les heures supplémentaires ou de couvrir les accidents du travail. Au printemps dernier, la presse chinoise a dévoilé un rapport dénonçant l’usage du travail forcé par près de 8 000 briqueteries et petites mines de charbon dans les provinces centrales du Shanxi et du Henan. La police a libéré moins de 600 de ces travailleurs esclaves, des enfants en majorité, embrigadés dans des fabriques appartenant à des hommes d’affaires et des fonctionnaires locaux corrompus.

La loi entrée en vigueur ce 1er janvier est aussi la dernière illustration de la nouvelle politique sociale du président Hu Jintao. Renforcé dans son pouvoir lors du XVIIe congrès du PC en octobre dernier, le numéro un chinois cherche à éteindre l’explosion de colère au sein du monde du travail. Officiellement, le pays compterait chaque jour environ 300 mouvements de protestation, forcément « illégaux » en l’absence de droit de grève. « C’est le changement le plus important dans le droit du travail en Chine depuis le début de la réforme de Deng Xiaoping », se réjouit Qiu Jie, chercheur à l’Université du peuple, à Pékin. La période d’essai sera réduite de trois ans à un an en fonction de la durée du contrat. Les licenciements massifs (plus de 10 % des employés) devront être justifiés auprès des syndicats et effectués avec un préavis de trente jours. Surtout, la loi renforce considérablement le contrat à durée indéterminée. Un salarié pourra désormais y prétendre lors du second renouvellement consécutif de son CDD. Les employés ayant plus de dix ans d’ancienneté bénéficieront automatiquement d’un CDI. « Le renforcement de la notion de longue durée est une bonne chose car les entreprises chinoises ont du mal à retenir leurs salariés compétents », souligne Emmanuel Gros, de PCM.

Un CDI renforcé, donc plus difficile et plus cher à rompre… l’avancée n’est pas du goût de tout le monde. En novembre, Huawei, le géant chinois des télécommunications, a « incité » 7 000 salariés ayant plus de huit ans d’ancienneté à démissionner « volontairement », puis à réintégrer l’entreprise. Ils signeront prochainement de nouveaux contrats de un à trois ans. Pour encourager cette démission massive, la direction de Huawei a prévu une compensation fondée sur les états de service, le salaire et les bonus. Au total, la compagnie chinoise va débourser 100 millions d’euros. La mesure a provoqué un tollé dans les médias chinois, accusant la firme de contourner la nouvelle loi. « Je ne comprends pas comment Huawei a pu prendre une mesure aussi imprudente, s’étonne You Yunting, avocat au cabinet JoinWay, à Shanghai. L’entreprise se heurtera à d’autres problèmes et les coûts augmenteront de toute façon. Il est plus intelligent d’améliorer la gouvernance interne à l’entreprise dans le cadre des lois existantes que de chercher à les contourner ! » Huawei a répondu que l’opération s’inscrivait seulement dans un « programme destiné à rendre la compagnie plus compétitive ».

La manœuvre de Huawei n’est pas isolée. Selon la presse nationale, LG Electronics China a procédé à des licenciements secs d’employés ayant plus de cinq ans d’ancienneté, juste avant l’adoption de la loi sur le contrat de travail par l’Assemblée nationale populaire chinoise le 29 juin. La compagnie a démenti toute tentative de court-circuiter la nouvelle régulation, avançant un « plan d’ajustement interne ». Autre exemple : fin octobre, l’américain Wal-Mart a décidé de licencier 100 salariés de son service achats en Chine. « Une restructuration qui touche les effectifs de la compagnie dans le monde entier », a justifié le leader mondial de la distribution.

Mais les explications des employeurs n’ont pas clos le débat. Selon un sondage récent du Quotidien de la jeunesse de Chine, 14,5 % des 2 212 personnes interrogées rapportent que leur patron est revenu sur les contrats des salariés de longue date. L’inquiétude qui s’est manifestée dans l’opinion a contraint les autorités à ouvrir des enquêtes chez Huawei et Wal-Mart. Des réglementations pour aider à l’application de la loi sont également en préparation. Responsable du département du Travail et de la Sécurité sociale de la province du Guangdong, Lin Jingqing se veut catégorique : « Les contrevenants à la loi paieront le prix fort. » Avertissement sans frais ou menace bien réelle ?

Auteur

  • Joris Zylberman