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Enquête

Le paysage social ébranlé

Enquête | publié le : 01.01.2008 | Stéphane Béchaux, Anne Fairise, Anne-Cécile Geoffroy

Critiques à l’égard de l’UIMM, les syndicats n’osent se réjouir de son affaiblissement. La mise en cause de Denis Gautier-Sauvagnac ouvre une ère d’incertitude dans plusieurs domaines : la négociation collective, les rapports avec l’État, le paritarisme et le financement du dialogue social.

Dialogue social

Du flottement dans les négociations interprofessionnelles

Depuis la démission forcée de Denis Gautier-Sauvagnac, ça tangue sacrément dans la négociation interprofessionnelle. L’éviction du puissant président de l’UIMM, conservateur notoire auquel le patronat a délégué le social depuis quinze ans, a ouvert le champ des recompositions patronales et remis des sujets à l’arbitrage interne. Sans que personne ne mesure toute l’ampleur des changements potentiels. « C’est comme un coup de billard à plusieurs bandes dont on ne voit pas tous les effets », note Jean-Yves Le Gall, directeur d’études à Entreprise & Personnel.

Ainsi du sujet de la démocratie sociale, avec ses épineuses questions sur la représentativité et la validité des accords. Un dossier que refusait d’ouvrir « DGS », arc-bouté sur l’arrêté de 1966 qui fige la représentativité des cinq confédérations. Comme il l’a montré, fin 2006, en bataillant au Conseil économique et social (CES) contre l’adoption d’un avis modifiant les règles de la négociation collective. « L’UIMM ne veut pas dépendre de la CGT ou de la CFDT pour signer des accords de branche, mais choisir ses interlocuteurs », résume Christian Larose, président CGT de la section travail au CES.

Sitôt connue l’affaire des retraits en liquide de l’UIMM, la centrale ouvrière a demandé l’ouverture de négociations sur ce sujet, remis à l’agenda par le Premier ministre. La patronne du Medef a saisi la balle au bond, en proposant l’établissement d’un état des lieux… avant négociations. Histoire de recompter les partisans du changement Avenue Bosquet ? Laurence Parisot, qui avait déjà sondé en février la CGPME, l’UPA et l’Afep sur ce thème, a reposé la question, en octobre, à 50 présidents de fédération. « Les représentants de l’UIMM, qui ont plaidé le statu quo, se sont fait huer, raconte-t-on au sommet du Medef. En deux heures, l’assemblée a basculé en faveur de nouvelles règles. » Mais la partie ne semble pas encore jouée, vu les réticences profondes de certaines fédérations face à l’inconnu du changement…

L’Arlésienne de la pénibilité. Si « l’affaire UIMM » semble favoriser une évolution du Medef quant à la démocratie sociale, elle n’a pas éclairci les négociations en cours. À commencer par l’Arlésienne de la pénibilité, qui tente de définir, depuis février 2005, à quelles conditions les salariés usés par leur travail pourraient partir à la retraite anticipée. Le remplacement de DGS par François-Xavier Clédat, président de Spie Batignolles, s’est soldé par six semaines d’interruption. Et son secteur d’origine – les travaux publics – ne semble pas plus novateur que la métallurgie, qui a toujours refusé de payer de sa poche. « Dans le BTP, les salariés sont souvent éjectés avant l’âge, grâce aux dispositifs liés à l’invalidité ou aux dispenses de recherche d’emploi de l’assurance chômage », fait remarquer Éric Aubin, négociateur CGT issu de la Fédération du bâtiment, néanmoins attentif à la méthode Clédat. Une première : celui-ci a proposé des bilatérales avant reprise des discussions.

La méthode Cathy Kopp, aussi, a suscité du flottement dans la délicate négociation sur le marché du travail visant à poser les bases d’une flexicurité à la française, que la DRH d’Accor a reprise en main fin octobre. Côté patronal, d’abord. « DGS était une pièce maîtresse : il savait articuler les rapports entre les représentants patronaux pour offrir une façade unie, note Gabrielle Simon, de la CFTC. Depuis son départ, des mécontentements émergent. » Côté syndical aussi, on a cherché ses marques. « Cathy Kopp aspire au consensus alors que DGS privilégiait le compromis avec quelques-uns », observe Stéphane Lardy, de FO. Au point que, trois semaines après son éviction, l’UIMM a sonné le tocsin dans sa revue mensuelle : « Personne ne serait dupe d’un consensus de façade, même s’il était orchestré médiatiquement par l’ensemble des partenaires sociaux »…

De fait, si la DRH d’Accor a fait évoluer les propositions patronales, en reconnaissant d’entrée de jeu la nécessité d’aborder les éléments de sécurisation des parcours professionnels alors que sa délégation se contentait jusqu’alors d’aborder les conditions d’une nouvelle flexibilité, la négociation a vite piétiné. « Les dissensions internes au patronat ont éclaté. Il y a ceux qui font le pari d’avancer, ceux qui ne voient pas pourquoi ils prendraient des risques sous un gouvernement de droite qui leur est favorable, et une partie de l’UIMM qui joue les perturbateurs dans les couloirs pour se venger d’avoir été exclue », note la CFE-CGC. De quoi autoriser toutes les issues, y compris une reprise en main de la négociation par les pouvoirs publics.

A. F.

Rapports avec l’État

Des partenaires sociaux affaiblis face à l’intervention publique
Les 33 accords nationaux signés par l’UIMM, en majorité avec la triplette FO, CFTC et CFE-CGC, ont structuré la politique conventionnelle

Le verdict est tombé, le 6 décembre. En présentant son projet de fusion ANPE-Unedic en Conseil des ministres, Christine Lagarde a certes tenu compte des remarques des partenaires sociaux : oublié, le droit de veto du ministère du Travail sur les décisions du nouveau conseil d’administration ; écartée, la possibilité qu’un décret établisse le montant de l’écot Unedic au financement de l’ensemble. Mais, finalement, la ministre ne les a pas pleinement satisfaits. « La réforme réduit le paritarisme de gestion à un rôle assurantiel. Nous avons perdu la main sur le reclassement des chômeurs indemnisés, effectif depuis 2001. L’État a su imposer son schéma tripartite », notait la CFTC, ralliée avec réserve à la fusion, comme la CFDT, la CFE-CGC et le Medef.

Un rôle de « régulation sociale ». Que cette « victoire » intervienne après l’affaire UIMM et le retrait forcé de son président, farouche opposant à la fusion ANPE-Unedic et défenseur acharné du paritarisme, n’est pas anodin. Les Cassandre y voient l’annonce d’un affaiblissement durable des partenaires sociaux. « Écarter DGS, c’est lever un frein à quelques dossiers phares du gouvernement », explique un représentant patronal. De fait, la réforme de la formation professionnelle, prévue en 2008, annonce la mise à mal d’un autre paritarisme de gestion tenu par l’UIMM. Et celle de la démocratie sociale menace le rôle d’influence joué par la métallurgie depuis les années 70. Avec succès : ses 33 accords nationaux signés, en majorité avec la triplette FO, CFTC et CFE-CGC, ont structuré la politique conventionnelle. À commencer par l’innovant accord de 1975 instaurant un système de classification, copié par plusieurs branches. De quoi décrocher le monopole de l’élaboration de la doctrine sociale du patronat.

Cette stratégie constituait une véritable arme pour contrer l’intervention de l’État. « Être le premier à signer un accord de branche a un avantage. Cela force l’administration à se positionner au moment de l’agrément ou de l’extension, et à entériner des dispositifs qu’elle n’avait pas prévus », note un ancien du ministère du Travail, spécialiste de ces questions. Les juristes de l’UIMM sont capables de vider une loi de sa substance. Ainsi, sur les 35 heures, l’accord de 1998 a pris à revers la première loi Aubry sur la RTT. « Nous avons un rôle de régulation sociale », a coutume de dire Dominique de Calan, délégué général de l’UIMM, prompt à revendiquer l’invention du cumul emploi-retraite, du compte épargne temps, de l’association de garantie des salaires… « Le contenu des accords est parfois purement politique. Prenez les contrats de mission à l’exportation. Un an après leur création, aucun n’avait été signé ! » précise Daniel Pellet-Robert, de la CGT métallurgie.

L’UIMM exerce aussi son magistère d’influence lors de l’élaboration des lois. Dernier exemple, en décembre 2006, avec la prolongation de 2010 à 2014, contre l’avis du gouvernement, des exonérations de charges sur les indemnités de départ anticipé : une doléance du secrétaire général de Renault, Michel de Virville. Autant de tours de force autorisés par la puissance juridique de l’UIMM, dont 50 % des 160 permanents parisiens sont experts en droit social. Au point de faire de leur siège un véritable « ministère du Travail bis ». Le patron de la Direction générale du travail, Jean-Denis Combrexelle, déjeunait une fois par mois avec DGS.

Reste que ce mano a mano entre l’Avenue de Wagram et l’État touche peut-être à sa fin. « L’affaire de l’UIMM, c’est le symptôme d’un épuisement de la mécanique du partenariat social. Nous vivons une crise de gouvernance, avec un besoin fort de renouvellement. On le voit avec l’émergence de nouvelles formes de concertation lors des Grenelle », note Laurent Duclos, chercheur en relations industrielles. « L’UIMM, dans ses relations avec les autres acteurs, reste marqué de la culture du rapport de force et du conflit, apparaît en décalage complet avec une démocratie sociale rénovée, fondée sur davantage de coopération entre les partenaires sociaux et avec l’État », renchérit le consultant Jean Kaspar, ex-leader cédétiste. Mais gare à la tentation d’un retour au tout-État ! Pour Nicolas Sarkozy, « ce serait un pis-aller que d’avoir à prendre seul la responsabilité de mesures dont certaines seront impopulaires », prévient Jacques Freyssinet, du Centre d’études de l’emploi.

A. F.

Paritarisme

Menaces sur la gestion de la formation et de la protection sociale

Réunies en convention fin novembre, les troupes de l’UIMM se serrent les coudes. DGS est en garde à vue, mais, sur la scène du palais des congrès de Poitiers, Thierry Gagnez, vice-président par intérim, se veut offensif. « L’Union avance et poursuit son action », assure-t-il. À ses côtés, Dominique de Calan, délégué général adjoint, peut se réjouir. La manifestation montre la force de l’appareil de formation des métallos, et son potentiel d’innovation. Car, dans ce domaine, l’UIMM pèse très lourd. Notamment dans la gestion des instances paritaires. « Dans tous les lieux où l’on parle sérieusement de formation, l’UIMM impose ses choix », admet un syndicaliste. « Elle en a fait sa chasse gardée. Les autres branches sont complètement inaudibles, même quand elles innovent et œuvrent efficacement », râle un directeur d’organisme paritaire collecteur agréé.

Sa force, le patronat de la métallurgie l’a acquise en organisant son appareil de formation pour recycler en permanence la collecte de fonds au seul bénéfice de la branche. L’amendement déposé par la députée Roselyne Bachelot en 1995 pour exonérer la métallurgie et le bâtiment de reverser 35 % de leur collecte des fonds de la formation en alternance au bénéfice des organismes interprofessionnels le prouve. Une omnipotence qui fait dire à certains administrateurs salariés qu’ils participent à un simulacre de paritarisme. « L’UIMM assure défendre la gestion paritaire. Mais elle fait tout pour la contourner en déléguant la gestion des fonds à des associations départementales qui n’ont rien de paritaire », affirme l’un d’eux.

Sa force dans le domaine de la formation, le patronat de la métallurgie l’a acquise en organisant son appareil pour recycler la collecte de fonds au seul bénéfice de la branche

Si l’affaire DGS fait vaciller le paysage de la formation, elle va aussi forcer les partenaires sociaux à rénover un paritarisme à bout de souffle. Faute de troupes et de capacités d’expertise, ils se sont fait aliéner par les institutions qu’ils gèrent et qui les font vivre. « Les partenaires sociaux ont perdu l’idée originelle. On sent bien qu’ils ne savent plus vraiment pourquoi l’État leur en a délégué la gestion, en 1970 », remarque Olivier Mériaux, directeur de la stratégie d’Amnyos Consultants, cabinet spécialisé dans l’accompagnement des politiques publiques et paritaires. Beaucoup voient donc dans le scandale de l’UIMM une opportunité pour le gouvernement de se débarrasser d’un acteur trop puissant, perçu comme un obstacle à une réforme radicale du système. Selon plusieurs spécialistes, le deal serait de garder une place aux partenaires sociaux dans le service de l’emploi rénové et de réattribuer à l’État la gestion de la formation professionnelle, via des conventions de gestion sur le modèle des caisses d’allocations familiales. Une manière de faire entrer la formation dans le champ de l’intérêt national.

Juteux marchés. En matière de protection sociale, la métallurgie étale aussi sa puissance. « Elle a toujours été moteur dans les caisses de retraite complémentaire, reconnaît Bernard Devy, président FO de l’Arrco. Quand l’UIMM vient en négo, elle arrive avec des billes. Elle a une vraie stratégie. » Côté syndical, cette omnipotence en arrangeait plus d’un. Elle permettait aux groupes de protection sociale et à leurs administrateurs salariés de contrer les appétits des banques et de l’assurance. Deux branches qui, lorgnant les juteux marchés de la complémentaire santé et de la prévoyance, font preuve d’un intérêt moins vif pour le paritarisme… « En matière de protection sociale, il nous faut garder à l’esprit l’intérêt général et le long terme. L’UIMM les défend plus que d’autres branches trop sectorielles », pointe Roger-Pol Cottereau, président CFTC du groupe Mornay. « Il ne faudrait pas mettre à l’écart l’UIMM au prétexte que certains de ses dirigeants ont des pratiques douteuses. Si la prochaine nomination à la présidence de l’Agirc se fait contre l’UIMM, on en verra les conséquences lors du rendez-vous de 2008 sur les retraites », alerte un syndicaliste.

A.-C. G.

L’accord instaurant une contribution des artisans au financement du dialogue social signé par l’UPA en 2001 a été ardemment combattu par le patronat, UIMM en tête

Financement

Une remise à plat nécessaire pour tous les acteurs

Joli tour de passe-passe ! Il aura suffi à Denis Gautier-Sauvagnac d’affirmer que les valises de l’UIMM servaient à « fluidifier les relations sociales » pour que tous les projecteurs se braquent sur les syndicats. Et pourtant, les organisations patronales bricolent elles aussi pour boucler leurs budgets. Et ça ne date pas d’hier. « Le Medef a toujours tiré le diable par la queue. Ses ressources viennent des fédérations, qui ne jouent pas toutes le jeu », raconte Jean-Louis Giral, ex-président de la commission sociale du CNPF. En 2006, 19 des 34 millions d’euros de son budget provenaient de ses fédérations, le solde venant des fonds du paritarisme, en particulier de la formation professionnelle. Les Medef territoriaux, eux, versent à peine 2 millions d’euros chaque année… Pour survivre, ils bidouillent. En partageant – à prix d’ami – des locaux avec la médecine du travail, des organismes de formation ou les chambres territoriales de l’UIMM. Ou en faisant payer par les mêmes des permanents.

Ouverture patronale. La découverte des comptes cachés de la métallurgie fait enrager la petite Union professionnelle artisanale (UPA). « Ces pratiques sont tout à fait anachroniques. Elles rendent d’autant plus incompréhensible l’acharnement du Medef à contester devant les tribunaux notre accord de financement du dialogue social », note Pierre Martin, son président. Signé en décembre 2001, le texte instaure une contribution (0,15 % de la masse salariale) des artisans au financement du dialogue social. Ardemment combattu par le patronat, UIMM en tête, l’accord vient d’être validé par la Cour de cassation. « À plusieurs reprises, DGS a expliqué qu’il ne voulait pas institutionnaliser un impôt sur les entreprises. Mais, finalement, qu’a-t-on fait pour régler les problèmes de financement du dialogue social ? » interroge Bernard Van Craeynest, le leader de la CFE-CGC. L’éclatement de l’affaire UIMM permet d’espérer une ouverture patronale sur la question.

Pour les organisations syndicales, il y a urgence. Faute de troupes suffisantes, aucune de leur structure ne peut vivre des seules cotisations. La plupart des unions départementales et des fédérations du secteur privé crient famine. Ainsi de la CGT Textile qui, récemment, n’a dû son salut qu’à la vente d’onéreuses pages de pub dans son canard interne, payées par des entreprises compréhensives. Ou de la CFDT des Services qui, par le passé, a fait appel à de généreux mécènes pour financer ses activités. Désormais, les regards se tournent vers la CFTC, la CGC et FO. Le soutien indéfectible de leurs fédérations de la métallurgie à la politique conventionnelle de DGS et de ses prédécesseurs alimente les soupçons. Financement des congrès, paiement de travaux, achats de locaux… Faute de preuves, les rumeurs vont bon train.

Souvent promise, jamais menée à bien, la remise à plat du financement des partenaires sociaux devrait revenir sur la table en ce début d’année. Le sujet s’annonce d’autant plus explosif qu’il est couplé à celui de la réforme de la représentativité des syndicats. Pour l’instant, Laurence Parisot se montre discrète sur ses intentions. « Sa réflexion n’est pas aboutie. Elle manque de recul et de culture sociale », note le patron de la CFTC, Jacques Voisin, plutôt en froid avec la dirigeante. Celle-ci s’est néanmoins résolue à lancer des discussions sur le sujet. Et à nommer Patrick Bernasconi, président de la FNTP, comme chef de file. Une fédé qui, selon l’un de ses prédécesseurs, possédait une caisse noire jusqu’à la fin des années 80…

Côté syndical, les centrales rejettent, à l’unisson, l’idée d’un financement public. « On veut majoritairement dépendre de nos adhérents. Pas question d’être financés comme les partis politiques », prévient Gaby Bonnand, le trésorier cédétiste. Reste que de nombreux tuyaux alimentent déjà les caisses : subventions du ministère du Travail, pourcentage sur la collecte de la formation professionnelle, prise en charge de conseillers techniques… Des fonds mal contrôlés et parfois détournés de leur objet, malgré les rappels à l’ordre de l’Igas ou de la Cour des comptes. Bien malgré lui, DGS contribuera peut-être à assainir les pratiques.

S. B.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Anne Fairise, Anne-Cécile Geoffroy