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Vie des entreprises

Les conducteurs de fret mieux traités en France qu’outre-Rhin

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.12.2007 | Stéphane Béchaux, Thomas Schnee

Retraite, rémunération, conditions de travail… Le package des conducteurs de fret est plus avantageux à la SNCF qu’à la Deutsche Bahn. Mais l’opérateur français va devoir réduire son train de vie.

Attention, un conflit peut en cacher un autre ! Vent debout contre la réforme de leur régime de retraite, les conducteurs de la SNCF s’apprêtent aussi à guerroyer contre les projets de la direction du fret. Le patron de la branche, Olivier Marembaud, fait en effet plancher ses équipes sur une réorganisation complète de l’activité, avec de sérieux impacts sur les conditions de travail. Douloureux mais incontournable. Car, depuis sept ans, le déficit de l’activité se creuse, inexorablement. « Nous avons des raisons d’avoir peur », prévient la direction générale, dans un document interne qui liste les dangers : « pression sur les prix, arrivée de nouveaux opérateurs plus légers et plus réactifs, naissance de Railion Logistique ».

Pour la SNCF, la principale menace vient d’outre-Rhin. Cet automne, Railion, la très agressive filiale fret de la Deutsche Bahn, a certes connu de fortes tensions sociales avec ses conducteurs. Mais sa situation est autrement plus avantageuse. L’entreprise a pris le contrôle des réseaux hollandais et danois et des opérateurs britannique et espagnol EWS et Transfesa. Et les résultats suivent. L’an dernier, le géant allemand a enregistré 145 millions d’euros de bénéfices quand son challenger français épongeait 260 millions d’euros de pertes.

Refonte managériale. Pour sortir le fret de l’ornière, la SNCF n’a d’autre choix que de repenser complètement l’organisation de son réseau. Nouveau mot d’ordre, le « haut débit ferroviaire », qui vise à concentrer les forces sur les grands axes en délaissant les gares secondaires. Une stratégie dénoncée par la puissante CGT. « La force de la SNCF, c’est la capillarité de son réseau, qui irrigue tout le territoire. On doit être capable de répondre à l’ensemble des demandes en augmentant les volumes », assène Bernard Durand, secrétaire du collectif national CGT des agents de conduite. Des états d’âme que les Allemands ne connaissent pas. Ils disposent d’un réseau très concentré, capable de desservir leurs grands pôles industriels . À la SNCF, cette réorganisation logistique doit se doubler d’une refonte managériale. Depuis des mois la direction générale prépare les esprits à une autonomisation complète des moyens de la « famille fret ». Avec du matériel et des hommes dédiés. « Les conducteurs de fret doivent relever de notre ligne managériale pour que l’on puisse débattre ensemble des moyens d’améliorer et de fiabiliser l’activité. Il faut que leur cœur batte avec celui du fret », insiste Luc Nadal, nouveau directeur général adjoint chargé des opérations.

La réforme, qui prévoit des passerelles entre branches, s’annonce difficile. Car les agents de conduite tiennent à leur polyvalence, qui leur permet de transporter indifféremment des marchandises ou des voyageurs. « Traditionnellement, on se faisait la main sur le fret. Puis on montait progressivement vers le TER et les trains grandes lignes. On craint une remise en cause de cela », note Emmanuel Dubois, 40 ans, affecté à Saint-Pierre-des-Corps. Dans les faits, les passerelles sont difficiles à emprunter. Faute de places, nombre de conducteurs du fret n’accèdent jamais aux grandes lignes. Autre argument en faveur de la polyvalence : la peur de la monotonie. « Faire du fret toute sa carrière, non merci ! On veut pouvoir évoluer pour ne pas tomber dans la routine », justifie Didier Herzberg, rattaché à l’unité fret de Woippy, en Moselle.

Sur le terrain, la mono-activité est déjà en marche. Les établissements SNCF tendent à spécialiser leurs agents sur quelques engins moteurs et des types de trains. Car la polyvalence, complexe à gérer, a aussi un coût. Celui des formations qu’il faut dispenser pour maintenir les compétences. À la Deutsche Bahn également les conducteurs sont formés à la conduite de tous les types de trains. Mais, depuis la filialisation du groupe en 1995, ils sont clairement affectés à une branche d’activité.

Derrière ces crispations se cachent aussi des histoires de gros sous. Car la rémunération des agents de conduite de la SNCF ne se limite pas à leur « traitement », indifférencié selon l’activité. À ce salaire de base, qui s’étage de 1 364 euros à 2 166 euros, s’ajoute une flopée de primes, qui peuvent majorer la rémunération de 30 à 75 %. Parmi celles-ci, la prime dite de parcours, la plus rémunératrice, qui varie en fonction des distances effectuées. Pour 1 000 kilomètres, elle atteint 50 euros pour un conducteur de TGV, et 82 euros pour son collègue du fret. De quoi avantager sérieusement le premier qui, lancé à 300 kilomètres-heure, avale les distances plus sûrement que le second. « Au fret, la rémunération s’est améliorée. Mais les primes de nuit ne compensent pas le peu de kilomètres parcourus », note Gilles Desfrançois, leader des agents de conduite à FO Cheminots.

Chez Railion, les conducteurs sont à la retraite à 67 ans, comme n’importe quel salarié allemand

Modération allemande. Les salaires des conducteurs français soutiennent pourtant la comparaison avec ceux de leurs homologues allemands. D’après les chiffres du principal syndicat allemand, GDL, un conducteur de train de la Deutsche Bahn gagne aux alentours de 1 300 euros (nets d’impôt) par mois en début de carrière et 1 630 euros après quinze ans de maison. S’y ajoutent de 150 à 300 euros de primes, liées pour l’essentiel au travail de nuit. Des rémunérations sérieusement revues à la baisse lors du changement de statut de l’entreprise. « À âge égal, en tant que fonctionnaire, je gagne 1 200 euros de plus que mes collègues embauchés après 1995 », témoigne Michaël Haas. À 46 ans, ce conducteur de Railion, affecté au dépôt de Mannheim, émarge à 3 000 euros net par mois, primes comprises. Ces écarts de salaire expliquent la colère des conducteurs non fonctionnaires, qui se sont mis en grève cet automne pour obtenir de fortes revalorisations, à hauteur de 31 %.

Dans l’Hexagone, le climat est aussi très tendu chez les cheminots. En cause, la remise à plat de leur régime de retraite. Le mécontentement est particulièrement palpable chez les conducteurs de fret qui, soumis à des horaires décalés, vivent mal d’être considérés comme des privilégiés. « Certaines locos ont un demi-siècle. Travailler de nuit sur un engin bruyant, qui vibre et pue le diesel, c’est infernal », assure le cédétiste Laurent Mornet, qui tire des wagons de marchandises entre Avignon et Dijon. « Le salaire ne vient pas compenser la perte de sommeil et la pression du travail. Depuis des années on met en garde sur les problèmes d’hypovigilance », abonde son collègue Thierry Gleyroux, secrétaire du CHSCT de l’unité d’Hourcade, en Gironde.

De quoi amplement justifier, à les entendre, la retraite à 50 ans. Un privilège que leur envient leurs confrères germaniques. Car, chez Railion, les conducteurs partent en retraite à 67 ans, comme n’importe quel salarié allemand, fonctionnaires inclus.

1 200 heures par an. À la direction du fret, la retraite anticipée des conducteurs pose pourtant moins problème que la réglementation du travail. En ligne de mire, le honni « RH 0077 » qui, depuis la seconde loi Aubry, régit l’organisation du travail. L’accord, qui fait le malheur des gestionnaires de plannings, contraint l’entreprise à sous-utiliser ses conducteurs. Supposés travailler 1 568 heures par an, ceux-ci n’en font pas plus de 1 200. « La somme des règles qu’on s’est fixées rend impossible de les faire travailler davantage. Ce qui nous coûte très cher », déplore Luc Nadal, le DG adjoint. Parmi les innombrables verrous, la règle du « 2-5-7 » s’avère particulièrement pénalisante. Elle stipule qu’une journée de service « ne peut excéder sept heures si [elle] comporte au moins cinq heures de conduite dont deux au moins dans la période comprise entre 0 h 30 et 4 h 30 ». Impossible de faire rouler un train sur longue distance sans prévoir un relais entre conducteurs. Une contrainte inconnue des concurrents français de la SNCF (voir encadré ci-contre) et de son rival allemand. Chez Railion, les conducteurs travaillent quarante et une heure par semaine. Et l’amplitude d’une journée de travail peut atteindre quatorze heures, à condition de prévoir des pauses après cinq heures de conduite. De quoi abaisser sérieusement les coûts !

Les conducteurs français, soumis à des horaires décalés, vivent mal d’être tenus pour privilégiés

Assouplir les règles. À la SNCF, on entend bien mettre les syndicats au pied du mur. Des négociations doivent s’ouvrir dans les prochaines semaines pour assouplir la réglementation du travail du fret. D’après la direction, sa remise à plat pourrait résorber l’essentiel du déficit. « On va avoir une discussion de grands garçons. Si les syndicats restent rivés au RH 0077, le fret est mort. Il faut toucher au texte, de façon non marginale », prévient Luc Nadal, qui parle d’expérience. Ex-patron de Naviland Cargo, il a déjà fait sauter le pas à cette filiale de la SNCF spécialisée dans le transport combiné maritime. Sa cinquantaine de conducteurs, issus pour l’essentiel de la SNCF, vient de troquer le RH 0077 contre une revalorisation salariale de l’ordre de 7 %. Un projet que les syndicats, CGT en tête, ont combattu avec force, allant jusqu’à faire du porte-à-porte pour dissuader les conducteurs de se porter volontaires. Autant dire qu’à la SNCF les prochains mois s’annoncent brûlants.

Railion/Deutsche Bahn

Chiffre d’affaires : 3,2 milliards d’euros (2006)

Bénéfice : 145 millions d’euros

Nombre de conducteurs : 5 500

Fret SNCF

Chiffre d’affaires : 1,8 milliard d’euros (2006)

Résultat d’exploitation : – 260 millions d’euros

Nombre de conducteurs : 3 000 (équivalents temps plein)

Le privé au régime maigre

Fini le monopole. Depuis l’ouverture du fret domestique à la concurrence, le 31 mars 2006, la SNCF n’est plus maîtresse chez elle.

Son principal concurrent, Veolia Cargo, dispose actuellement d’une centaine de conducteurs, formés par d’anciens cheminots de la SNCF sur son campus de Jouy-le-Moutier. Des jeunes, pour la plupart, mais aucun transfuge de la SNCF.

« On préfère former nos propres équipes. On veut des conducteurs polyvalents, capables d’accrocher la loco, de vérifier les attelages ou la signalisation arrière du train », justifie Franck Tuffereau, patron de la formation chez Veolia Cargo et ex-SNCF.

Pas sûr, de toute façon, que les conditions d’emploi soient de nature à attirer les cheminots. Les conducteurs de Veolia Cargo sont soumis à la convention collective des voies ferrées d’intérêt local, nettement moins favorable que le statut SNCF en matière de rémunération ou de temps de travail. Sans parler des conditions de départ à la retraite. Reste que ce fossé pourrait en partie se résorber. Une convention collective des opérateurs ferroviaires privés est actuellement en cours de négociation. Actif dans la délégation patronale, le patron de Veolia Cargo y tire plutôt les discussions vers le haut.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Thomas Schnee