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Vie des entreprises

Le rendez-vous manqué de l’entretien d’évaluation

Vie des entreprises | zoom | publié le : 01.12.2007 | Anne-Cécile Geoffroy

Le fameux rituel annuel suscite beaucoup de scepticisme. Mal mis en œuvre, il est difficile à exploiter, mais les DRH persistent à en faire l’outil roi de la gestion des hommes, faute de mieux.

La fin de l’année n’annonce pas seulement Noël, ses cadeaux et ses boîtes de chocolats. Elle sonne aussi l’heure des entretiens annuels d’évaluation. Ce moment « privilégié » où tous les managers sont à l’écoute de leurs collaborateurs pour retracer les événements de l’année écoulée, les objectifs atteints ou non, les formations nécessaires ou souhaitées et la prime ou l’augmentation individuelle qui récompensera ou sanctionnera les performances du salarié. Pour les DRH, il représente l’outil de gestion des hommes par excellence. C’est en tout cas ce que révèle le dernier baromètre RH Liaisons sociales-CSC-Entreprise & Personnel (voir LSM n° 86, pages 71 à 80), où il devance de très loin les référentiels d’emplois et de compétences, le plan individuel de formation ou encore le bilan de compétences. Mieux, d’une année à l’autre, il confirme sa suprématie. 90 % des DRH affirment l’utiliser pour évaluer la performance des cadres alors qu’ils n’étaient que 79 % l’année précédente.

Les dés sont pipés. Reste que les salariés ont bien souvent le sentiment que cet exercice ne sert finalement pas à grand-chose. « Je n’en attends rien, explique Muriel, ingénieure chez IBM. Mon manager opérationnel, basé à l’étranger, se charge de remplir le formulaire de l’entretien et m’attribue une note sans même m’en parler. L’entretien en lui-même se passe avec mon manager hiérarchique basé en France. Et ce dernier ne contestera jamais l’appréciation de son homologue. Les dés sont pipés dès le début. » Pour Valérie, commerciale chez Pierre et Vacances depuis cinq ans, les entretiens ne sont jamais qu’un agrégat de belles intentions. « Il est écrit noir sur blanc que ma responsable doit me donner les moyens d’atteindre les objectifs qu’elle fixe, par exemple en me permettant de dégager du temps pour améliorer mes capacités commerciales. En cinq ans, elle n’a jamais pris cette peine. À moi de me débrouiller. »

Côté manager, c’est plutôt le sentiment de courir après le temps qui domine. « Les RH viennent de me relancer pour savoir si j’avais organisé les entretiens avec mon équipe. Je leur ai répondu que j’étais débordé. Sur l’échelle de mes priorités, les entretiens annuels sont plutôt en mauvaise place cette année », reconnaît Paul, cadre chez Siemens. « Les responsables des RH ont par ailleurs des sentiments ambivalents envers cet outil, ajoute de son côté Gérard Layole, consultant pour Entreprise & Personnel. D’un côté, ils se déchargent de la gestion administrative en voulant faire des managers les premiers responsables RH ; de l’autre, ils ont encore des difficultés à réellement prendre en compte les remarques de ces mêmes managers et finissent par réduire d’eux-mêmes l’utilisation de ces entretiens. »

Le groupe textile breton Beaumanoir a fait une piqûre de rappel pour insister sur la préparation de l’entretien annuel qui ne doit pas se résumer “à un quart d’heure sur un coin de table”

Une piqûre de rappel. Finalement, personne ne semble plus vraiment croire à cet exercice imposé. Sa pratique tend à se réduire à un simple rituel managérial sans grande conséquence pour les différentes parties. « Les responsables des RH en font surtout leur propre outil d’évaluation en cherchant à dépasser les taux de retour d’une année à l’autre », affirme encore Gérard Layole.

Les entreprises n’hésitent donc pas à investir beaucoup pour rappeler à leurs troupes le b.a.-ba de l’entretien réussi. Chez LCL, difficile de l’oublier. « Dès le mois de novembre on relance les managers. Cette année, nous avons également organisé une campagne de formation, avec la création d’un kit et d’un film pour rappeler les grands principes de l’exercice et les thèmes à aborder, comme la rémunération, explique Claire Pittelioen, responsable des études et du pilotage des ressources humaines. L’année dernière, nous avons eu 95 % de retour. » Même chose au sein du groupe textile breton Beaumanoir. « Nous faisons une piqûre de rappel cette année pour insister sur la préparation de ce rendez-vous qui ne doit pas se résumer à un quart d’heure sur un coin de table », indique Benjamin Amice, responsable du développement des ressources humaines.

La première des difficultés pour les responsables RH réside tout simplement dans l’exploitation des données recueillies, tant elles sont hétérogènes. Car, au moment des entretiens, on parle de tout ou presque : objectifs, carrière, mobilité, formation et rémunération. « Tous les entretiens sont saisis manuellement au niveau régional puis remontent au siège. Nous utilisons avant tout ces données pour bâtir le plan de formation », précise Claire Pittelioen, chez LCL. Pour le Groupe Beaumanoir, c’est le même constat. L’entretien est à la base de la construction du plan de formation et des augmentations individuelles, selon les performances réalisées par le salarié. Pour ce qui est de la mobilité professionnelle à moyen terme des salariés, les entreprises ont plus de mal à s’appuyer sur le contenu de ces entretiens.

Et, bien souvent, seuls les salariés qui ont le plus d’entregent se débrouillent pour décrocher la promotion qu’ils attendent. « Conscientes des limites de cet exercice, certaines entreprises commencent à séparer l’évaluation des performances de la partie développement des compétences, indique Gilles Verrier, directeur du cabinet de conseil Identité RH et auteur de Réinventer les RH, paru cette année aux éditions Dunod. Pour le manager, il est en effet très difficile d’être à la fois le juge et le coach de son collaborateur. Or lorsque l’entretien aborde l’ensemble des items, c’est un peu ce qui se passe. »

15 entretiens pour… 560 salariés. Chez Radiospares, un distributeur de composants électroniques installé à Beauvais, l’entretien annuel et l’entretien professionnel sont distincts. Jusqu’à l’an dernier, le manager abordait les souhaits d’évolution professionnelle du salarié lors de l’entretien annuel. « Généralement, il se contentait de recueillir ses attentes, sans approfondir le sujet, explique Marie-Claire Demonchy, responsable du développement des ressources humaines. Cela a changé. Lors de cet entretien professionnel, le manager n’est plus en posture d’évaluer son collaborateur mais de l’accompagner dans l’étude de ses souhaits d’évolution. » Si ce système a été mis en place en février dernier, seuls 15 entretiens professionnels ont eu lieu pour un effectif total de 560 salariés. « Cet entretien se fait à la demande du salarié. Il n’est pas imposé », précise Marie-Claire Demonchy. De fait, il est difficile pour les services RH de demander aux managers d’organiser deux entretiens dans l’année.

Un autre obstacle de taille à l’exploitation des entretiens annuels est le manque de courage managérial. « Dire les choses qui fâchent et, a fortiori, les écrire noir sur blanc, c’est parfois très difficile pour un manager, assure Gilles Verrier. Quel DRH n’a pas vu débouler dans son bureau un manager qui souhaitait se débarrasser d’un collaborateur incompétent ? Après consultation des différents entretiens d’évaluation, rien dans son dossier ne soulignait cette incompétence. » Là où l’on voit que les entretiens d’évaluation renferment des informations minimalistes difficilement exploitables par les RH. Et la prudence des managers redouble lorsqu’ils abordent à proprement parler l’évaluation des performances et la rémunération qui y est liée. « Les entretiens d’évaluation deviennent source de contentieux, pointe Gérard Layole, d’Entreprise & Personnel. Les salariés accusés d’insuffisance professionnelle par leur employeur vont défendre leur cause auprès des prud’hommes en invoquant l’irréalisme des objectifs qui leur sont assignés et en s’appuyant sur les écrits de leurs managers. Pour ces derniers, la prudence est donc de mise. »

E-évaluer ses collaborateurs. Malgré les difficultés à exploiter les informations fournies par l’entretien annuel, les DRH ne le lâchent pas, car ils ne disposent d’aucun autre outil qui permettrait une évaluation fiable. Au contraire. La fréquence des reportings allant croissant, les entreprises tentent d’automatiser la remontée des informations collectées lors des entretiens et se dotent d’outils en ligne pour « e-évaluer » leurs collaborateurs. « Les DRH qui imaginent qu’en changeant d’outil ils vont améliorer l’exploitation des données se trompent sur toute la ligne, affirme Gilles Verrier. C’est moins l’entretien annuel d’évaluation que la façon dont les managers l’utilisent qui le rendra vraiment utile et constructif. »

80 % des DRH déclarent que l’entretien d’évaluation est leur outil favori (baromètre RH 2007 Liaisons sociales-CSC-Entreprise & Personnel)

90 % des cadres passent un entretien annuel, contre 74 % des non-cadres. (baromètre RH 2007)

63 % des DRH notent les salariés lors de l’entretien annuel d’évaluation. Ils n’étaient que 46 % en 2006. (baromètre RH 2007)

80 % des DRH proposent une évolution de carrière à leurs salariés à la suite d’un entretien annuel d’évaluation. (baromètre RH 2007)

Peut nuire à la santé

Les entretiens d’évaluation ne sont pas des outils de management anodins ! Les juges ne manquent pas de le souligner dans leurs arrêts. Le 3 novembre 2006, la cour d’appel de Paris a ainsi rappelé au Groupe Mornay que le projet de mise en place d’entretiens individuels exige, d’une part, une déclaration simplifiée à la Cnil et, d’autre part, la consultation préalable du CHSCT. Un arrêt conforté le 20 novembre par la Cour de cassation. Avec ces utiles précautions, les juges entendent protéger la santé mentale des salariés.

« Il y a deux ans, un de nos collègues a fait un malaise cardiaque à la suite d’un entretien trop stressant », raconte Jean-Michel Daire, délégué syndical CFDT à IBM. Pour Gérard Layole, d’Entreprise & Personnel, les dernières méthodes d’évaluation, tels le forced ranking, qui répartit les salariés en catégories (10 % d’excellents, 30 % de bons, 50 % de moyens et 10 % d’insuffisants), ou encore le 360 degrés, qui invite les collaborateurs à évaluer leur supérieur hiérarchique, « sont extrêmement intrusives à l’égard de la personnalité des salariés et en contradiction avec l’attention portée à leur santé mentale ».

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy