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Politique sociale

Comment nos voisins financent la dépendance

Politique sociale | publié le : 01.12.2007 | Nadia Salem

Les États européens sont confrontés à une population vieillissante et de plus en plus dépendante. Qui va payer la facture ? À l’heure où la France s’apprête à réformer, reportage chez trois de nos voisins.

Comment financer la dépendance ? Le gouvernement devrait trancher cette délicate question dans le courant du premier semestre 2008. Pilier du dispositif envisagé, la création d’une cinquième branche de la protection sociale nécessitera de définir les parts respectives du financement public et des mécanismes de prévoyance individuelle ou collective. Pour bâtir ce dispositif, le gouvernement devrait s’appuyer notamment sur le rapport du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, remis en octobre à Xavier Bertrand et Valérie Létard, secrétaire d’État chargée de la Solidarité.

Dans son rapport 2007, la CNSA, créée par la loi du 30 juin 2004 à la suite de la canicule de l’été 2003 et dotée de 15 milliards d’euros de budget, défend le principe d’une prestation universelle de compensation du handicap et d’aide à l’autonomie dès 2010, que la dépendance soit liée à l’âge ou au handicap. Elle recommande en outre de conforter les départements dans leur rôle d’opérateurs locaux tout en renforçant la péréquation nationale. Elle propose aussi deux modes d’intervention des opérateurs « mutualistes, assurantiels ou paritaires », soit « à titre complémentaire, dans le champ des biens et des services liés à la perte d’autonomie » ou bien sous la forme d’une assurance complémentaire obligatoire, assortis d’aides financières ou fiscales à la souscription.

Actuellement, la prise en charge de la dépendance des personnes âgées se partage entre l’assurance maladie, qui supporte les dépenses de soins, et les départements, qui, au travers de l’allocation personnalisée d’autonomie, financent les deux tiers des coûts de l’aide quotidienne dont la personne dépendante a besoin. La différence reste à la charge de la personne âgée et de sa famille, tout comme le coût d’hébergement proprement dit. Ce reste à charge représente en moyenne de 1 000 à 1 500 euros par mois, soit environ 50 % du coût total de la dépendance, et un montant bien supérieur à celui de la pension de la plupart des personnes âgées dépendantes (900 euros en moyenne).

Selon la Fédération française des sociétés d’assurances, favorable à une articulation entre public et privé de la couverture du risque, près de 3 millions de Français sont déjà assurés contre le risque dépendance sur une population globale de personnes âgées de 45 à 75 ans estimée à 20 millions. Selon l’Insee, les personnes de 60 ans et plus seront 17 millions en 2020 (+ 40 %) et près de 21,5 millions en 2040, soit un tiers de la population totale. Et le nombre de personnes âgées dépendantes devrait augmenter en moyenne de 1 % par an jusqu’en 2040. Qui paiera la facture ? L’État ou les particuliers ? Si la solidarité nationale prime partout en Europe, l’étendue des risques couverts, les conditions d’attribution des prestations et les responsabilités en matière de gestion varient d’un pays à l’autre. Reportage en Allemagne, qui a mis en place un système assurantiel ; aux Pays-Bas, où l’aide à la dépendance s’inscrit dans une politique de santé publique ; et en Italie, où la solidarité familiale occupe encore une grande place.

ALLEMAGNE

Le cinquième pilier de la protection sociale

En déficit chronique depuis 1999, l’assurance dépendance (Pflegeversicherung) en vigueur en Allemagne vient de faire l’objet d’une nouvelle réforme. Courant octobre, le gouvernement fédéral a amendé sur plusieurs points la législation existante. Mais, contrairement à ce que souhaitait une partie du camp conservateur, elle n’introduit aucune variante privée dans le financement de ce que l’on appelle, outre-Rhin, le « cinquième pilier de la protection sociale ».

Créée en 1995, l’assurance dépendance allemande est obligatoire pour les bénéficiaires des caisses publiques d’assurance maladie (90 % des assurés), ceux des caisses privées, mais aussi les fonctionnaires. Ce système par répartition s’appuie sur les cotisations versées par les salariés et les employeurs. En théorie du moins. Car, pour alléger les cotisations patronales, le Buss- und Bettag, un jour férié légal protestant tombant en semaine, a été supprimé. À partir de 1995, chaque caisse d’assurance maladie a créé sa propre caisse d’assurance dépendance, qui couvre l’aide aux soins corporels et à l’alimentation, l’aide à la mobilité ou encore une assistance ménagère. Le montant des prestations varie selon le niveau de dépendance (trois niveaux). En revanche, les personnes atteintes de sénilité ou de maladie mentale sont exclues du système tant qu’elles sont capables d’assumer leurs soins quotidiens. Aujourd’hui, l’assurance dépendance allemande concerne 2,13 millions de personnes, dont 1,45 million soignées à domicile (980 000 par un proche et 472 000 par un service de soins) et 677 000 en résidence spécialisée. Cependant, compte tenu du vieillissement rapide de la population, les experts estiment que le nombre de personnes dépendantes devrait passer à 2,8 millions à l’horizon 2020 : « Nous serons bien obligés un jour ou l’autre d’introduire un financement privé », insistait Angela Merkel quelques jours seulement après l’adoption de la nouvelle réforme. Pour la chancelière allemande, le compromis adopté avec le partenaire social-démocrate de la coalition gouvernementale ne s’attaque pas au problème de fond lié au vieillissement de la population ni au mode de financement de l’assurance.

La réforme pare donc au plus pressé en haussant de 0,25 % le taux de cotisation à l’assurance dépendance à partir du 1er juillet 2008 (de 1,7 % à 1,95 % du salaire mensuel brut pour les salariés ayant des charges familiales et de 1,95 % à 2,2 % pour les personnes sans enfants). Par ailleurs, le niveau des pensions sera relevé, des centres de conseils à l’assistance seront créés (Pflegestützpunkte). Enfin, le contrôle de la qualité des soins sera plus fréquent. En effet, fin août 2007, un rapport du service médical de surveillance de l’assurance dépendance, un organisme rattaché aux caisses, a fait sensation. Il révélait que, malgré une nette amélioration par rapport à 2004, les soins étaient très largement insuffisants pour 10 % des patients en résidence et 5 % des patients à domicile (sous-alimentation, suivi médical déficient, etc.) Thomas Schnee, à Berlin

ITALIE

Dotations publiques et solidarité familiale

Avec 7 millions de personnes âgées – et un citoyen sur trois qui aura plus de 65 ans en 2030 –, l’Italie est l’un des plus « vieux pays » d’Europe. « Dans ces conditions, la question de la prise en charge des personnes âgées dépendantes est cruciale », explique Romolo De Camillis, l’un des experts du ministère du Travail et des politiques sociales. Cependant, le pays ne s’est toujours pas doté d’une législation ad hoc. Longtemps, les « personnes non autosuffisantes », comme on les appelle en Italie, ont dû compter sur la solidarité familiale et locale. Le Code civil précise notamment que les parents sont tenus de s’occuper de leurs proches en difficulté. Le milieu associatif, en particulier les organisations de volontaires catholiques, ont également contribué à la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

« Mais, en réalité, il faut distinguer l’assistance sanitaire de l’assistance sociale aux individus qui ne sont plus autonomes », détaille Romolo De Camillis. Les prestations sanitaires sont garanties par la Constitution. Cette règle est valable sur tout le territoire national, pour toutes les structures d’accueil publiques. Par ailleurs, depuis une dizaine d’années, une indemnité de 458 euros est versée à quiconque n’est plus en mesure d’accomplir les tâches quotidiennes, et cela quel que soit son niveau de revenus. Le coût de cette mesure – 3,2 milliards d’euros – est directement pris en charge par le budget de l’État. Pour le reste, il appartient aux régions, aux provinces ou aux communes d’offrir éventuellement d’autres prestations liées à la prise en charge du ménage ou aux courses quotidiennes. Les différences de traitement sont ainsi parfois notables. De l’avis de certaines collectivités locales, tous les soins à la personne sont considérés comme de l’assistance sanitaire, alors que d’autres refusent l’aide au motif qu’elle est considérée comme de l’assistance sociale.

« La tutelle n’est pas assez forte », estime-t-on au ministère des Politiques sociales, où l’on écarte l’idée de recourir à des assurances privées pour la prise en charge, dans le futur, des personnes âgées dépendantes. Au contraire, le gouvernement s’apprête à présenter un projet de loi élargissant les prestations sociales. Déjà, il y a quelques mois, un fonds spécifique dédié aux personnes dépendantes (qui ne concerne donc pas seulement les personnes âgées) a été institué. Financé par l’impôt, il a été doté de 100 millions d’euros pour 2007 et de 200 millions pour 2008. Le gouvernement entend doubler les ressources de ce fonds d’ici à deux ans. Reste à savoir si cette dotation publique sera à la hauteur des besoins. Éric Jozsef, à Rome

Jusqu’à présent, tous les résidents des Pays-Bas sont couverts pour la dépendance, quels que soient leurs revenus ou leur situation sociale
PAYS-BAS

Une couverture universelle remise en question

Bientôt, aux Pays-Bas, les personnes âgées les plus aisées vont devoir cotiser pour les moins bien nantis, qu’il s’agisse de personnes soignées à domicile ou placées en maison de retraite médicalisée. La vieille loi de 1975 sur les « dépenses médicales exceptionnelles » (AWBZ), déjà modifiée en 2003, est à nouveau en chantier. L’heure est à la réforme, dans un pays qui veut anticiper sur le vieillissement de sa population, sans dérapage incontrôlé des dépenses publiques.

L’AWBZ accorde une aide financière à tous les assurés sociaux à partir du 366e jour d’hospitalisation ainsi qu’aux personnes âgées vivant dans des maisons de santé ou aux handicapés physiques et mentaux vivant dans des institutions spécialisées. L’assurance collective couvre aussi les soins à domicile permanents ou de longue durée pour les personnes dépendantes. Elle ne comporte pas de plafond, contrairement aux prestations d’assurance maladie, qui ne peuvent pas excéder 29 178 euros par an et par personne. Dans le cadre de l’AWBZ, le reste à charge pour les familles ne peut dépasser 1 597 euros par mois lorsque la personne dépendante vit en établissement de soins.

Tous les résidents des Pays-Bas sont donc couverts pour la dépendance, quels que soient leurs revenus ou leur situation sociale – un principe universel que les démocrates-chrétiens, au pouvoir, remettent aujourd’hui en question. Jos Werner, un sénateur de l’Appel démocrate-chrétien (CDA), estime que « les personnes âgées qui ont les moyens de se payer une maison de retraite en dehors du système de l’AWBZ ne doivent plus bénéficier d’aucun remboursement ». Ce tour de vis s’inscrit dans la logique de la réforme du système de retraite qui a instauré une cotisation obligatoire au Fonds de retraite publique (AOW) pour les retraités les plus aisés. Une mesure qui fait aujourd’hui l’objet d’une controverse.

Actuellement, l’allocation dépendance est financée par une cotisation fixe versée par tous les bénéficiaires d’une retraite publique et/ou du Fonds d’assurance des conjoints d’une personne décédée (ANW), ainsi que par tous les actifs dont le revenu imposable se situe dans les deux tranches les plus élevées (à partir de 31 122 euros de revenus bruts annuels).

L’AWBZ a représenté 12,5 % de toutes les cotisations sociales en 2006. Et les dépenses (plus de 20 milliards d’euros par an, en hausse de 7 % en 2005) sont plus importantes que les recettes. L’Autorité néerlandaise de la santé (NZA), un organe gouvernemental consultatif, a recommandé en mars dernier le transfert de la quasi-totalité de l’AWBZ vers l’assurance maladie classique. Objectif : introduire plus de concurrence parmi les fournisseurs de soins de santé concernés – sauf pour les handicapés mentaux – de manière à réduire la facture de la dépendance.

Sabine Cessou, à Amsterdam

971 000

C’est le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans dépendantes en France.

Source : Drees, octobre 2006.

ÉTATS-UNIS
L’affaire de l’État

Même aux États-Unis, la prise en charge de la dépendance des personnes âgées reste très largement l’affaire de l’État. Selon un récent rapport présenté au Congrès, 60,5 % des dépenses consacrées à ce poste – plus de 140 milliards de dollars par an au total – sont couvertes par les deux programmes fédéraux Medicaid,destiné aux personnes dotées de faibles ressources, et Medicare, réservé aux plus de 65 ans. Les particuliers concernés et leurs familles doivent sortir de leur poche 22 % des frais, notamment s’ils souhaitent rester à domicile – les programmes publics couvrant essentiellement les placements et les soins en établissements spécialisés. Les assurances privées ne prennent finalement en charge que 10,7 % des dépenses, le reste revenant aux États, aux municipalités et à certains programmes publics annexes comme celui profitant aux vétérans.

Même si les premières assurances dépendance privées – que l’on désigne ici sous l’expression politiquement correcte de long term care insurance, ou « LTC » – sont apparues dès 1975, elles ont eu du mal à s’imposer malgré un certain succès au cours des années 80 et 90. Aujourd’hui, 120 compagnies proposent ce type de prestations, mais six assureurs se partagent 80 % du marché. Les LTC ont plutôt mauvaise réputation. Les primes sont chères – un couple sexagénaire en bonne santé doit payer 3 000 dollars par an minimum – et les produits opaques, malgré la tentative des pouvoirs publics d’en améliorer la qualité afin de réguler le secteur.

Isabelle Lesniak, à New York

11 %

C’est l’augmentation de l’enveloppe consacrée à la prise en charge des personnes âgées dépendantes en France (PLFSS 2008).

Auteur

  • Nadia Salem