logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Jean Tournoux s’attelle à décloisonner les métiers de SKF

Vie des entreprises | Methode | publié le : 01.11.2007 | Anne Fairise

Image

Remontée des effectifs de SKF en France (Nombre de salariés)

Crédit photo Anne Fairise

Processus alignés, travail en réseau, mobilité… le patron du spécialiste du roulement à billes en France applique la stratégie de la maison mère suédoise. La restructuration est continue et le dialogue social animé.

Le sigle couleur bleu roi de SKF se voyait de loin le 16 février dernier. Pour souffler les 100 bougies du groupe suédois, les 4 500 salariés des 10 usines françaises du spécialiste du roulement à billes ont formé autant de logos humains photographiés depuis le ciel. L’équipementier coté à Stockholm a profité de l’occasion pour annoncer, depuis Göteborg, la naissance de la première génération de matériel « vert », réduisant de 30 % la consommation énergétique des machines qui en seront équipées ! « Deux de ses produits ont été développés en France », s’enorgueillit Jean Tournoux, directeur général depuis 2000 de SKF en France, après avoir été près de dix ans directeur financier.

Depuis sept ans, ce diplômé de Sciences po, également aux manettes d’Artéma, la nouvelle fédération des équipementiers mécaniques, applique sans états d’âme la stratégie d’« augmentation de la valeur pour l’actionnaire » dictée par la Suède. Comprendre une restructuration continue s’accompagnant d’une réorientation vers les services et les fabrications sur mesure, assortie d’un enrichissement de la gamme de produits. Une politique payante sur le plan mondial, qui a permis à la multinationale de passer du rouge en 1998 à un profit historique de 475 millions d’euros en 2006. Sa traduction a été sévère dans l’Hexagone, où l’industriel a fermé une usine et racheté des PME leaders de la lubrification, des joints industriels ou des paliers magnétiques. Reste, pour devenir un véritable « fournisseur de solutions », à combiner les expertises entre les établissements. Autant dire une révolution pour les troupes absorbées dans leur culture métier et enjointes de faire davantage sans plus de moyens.

1-Intégrer en douceur.

Blouse blanche ou estampillée SNFA ? À dix jours de ses journées portes ouvertes, en octobre, le fabricant valenciennois de roulements pour l’aéronautique n’avait toujours pas reçu les tenues SKF… quatorze mois après son rachat ! À cela, une raison : le changement de nom attendu dans le cadre d’une réorganisation. Mais l’anecdote traduit bien la volonté de la multinationale suédoise d’intégrer en douceur les sociétés qu’elle rachète. Le dernier roulementier français indépendant a été choyé : Tom Johnstone, le P-DG de SKF, a rencontré le personnel et répondu aux questions du comité d’entreprise, avant le rachat. « Il a mis l’accent sur la complémentarité », rappelle Annette Vaubourgeix, DRH du site, qui ne voit aucun bouleversement majeur intervenu dans l’ADN de ce spécialiste de la mécanique de haute précision, où chaque roulement, peaufiné au micron, nécessite trois mois de travail : « Le management est inchangé, l’autonomie de gestion identique, l’identité sociale préservée. »

L’intégration au groupe passe, d’abord, par un alignement rapide des processus de fabrication sur les exigeants standards SKF. La préparation de la norme santé-sécurité au travail OHSAS 18001 « s’est faite en un temps record », reconnaît Damien Boudy, responsable de production, comme le lancement des procédures Six Sigma de management de la qualité. Et la PME n’a eu que six mois pour préparer la world climate analysis (WCA), menée simultanément sur les 140 sites dans le monde. Le jour J, les équipes interrogent les pratiques de leur manager, qui définit ensuite des axes d’amélioration, formation à l’appui. « Cela a exigé un travail d’appropriation du système avec l’identification de managers répondant aux critères du WCA », reprend la DRH.

Il y a d’autres conversions nécessaires. Car l’industriel entend devenir une « entreprise verte », et a diminué en 2006 ses émissions globales de CO2 de 8 % dans l’Hexagone, tablant sur 5 % cette année. Une préoccupation ancienne : voilà des années que tous les recrutés suivent une demi-journée de sensibilisation au développement durable. La démarche est conforme aux valeurs participatives, esprit d’équipe et responsabilité de SKF, qui ne mégote pas sur l’information des salariés. Au point de les déborder parfois. « C’est la règle du formalisme. Les procédures se multiplient. Nous croulons sous le reporting », grogne un cadre de l’ex-SNFA.

2-Développer la transversalité de l’organisation.

Impossible de manquer, dans les couloirs de l’usine de Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), les affiches annonçant le lancement du prix de l’Initiative partagée, qui récompensera en 2008 les projets intersites ou intermétiers. Désignation par établissement d’un expert, bon connaisseur du fonctionnement du groupe, rencontres entre ces « relais locaux » sur un site à chaque fois différent : une organisation dédiée a été mise en place. « Nous voulons faciliter l’émergence du travail en réseau », note Véronique Loriau, chargée de projets RH.

Le défi est de taille pour l’équipementier, une galaxie de sociétés filiales en France, qui a vu ses effectifs augmenter de 15 % en quatre ans et doit, à la fois, renforcer la culture de groupe et décloisonner les métiers. Une mission délicate vu le poids des cultures techniques et les habitudes issues de l’organisation verticale en trois divisions mondiales. « Des techniciens, occupant le même poste sur un même site mais dans des divisions différentes, communiquent déjà mal. Faire dialoguer des spécialistes du roulement, des graisses ou de la mécatronique ne sera pas aisé », lâche la CFE-CGC.

De quoi renforcer la DRH corporate France, jusqu’alors cantonnée dans un rôle de support. « La mise en place de plates-formes communes d’ingénierie renforce les pays dans leur soutien aux divisions », souligne Jean Thiébault, DRH corporate France, qui a expérimenté, lorsqu’il était responsable RH de site, le cloisonnement : c’est dans l’avion l’emmenant en Suède qu’il a rencontré son prédécesseur ! Pour mettre du liant, il mise sur les cadres, initie une politique de mobilité hexagonale et souhaite renforcer leurs compétences croisées.

Constitution d’un catalogue des formations, renforcement de la diffusion interne des postes vacants dans l’Hexagone : la DRH s’est outillée. Et les projets ne manquent pas, tels l’élaboration en 2008 d’un suivi systématique des cadres à l’échelon national ou un recensement des pratiques RH des sites, très disparates hormis les outils mis en place par les divisions mondiales. « Nous voulons distinguer les pratiques qui pourraient devenir communes », note, avec précaution, Véronique Loriau. Car, chez SKF, l’autonomie de gestion en matière de RH reste un principe sacré. « Chaque site doit garder ses marges de manœuvre pour pouvoir gérer les contraintes industrielles de son métier », renchérit Jean Thiébault.

3-Restructurer en continu.

Les syndicats en sont convaincus : le site vendéen de Fontenay-le-Comte, qui a vu un quart de ses postes supprimés en 2006, alimentera encore la rubrique sociale en 2008. La CGT, premier syndicat du groupe, craint un PSE concernant jusqu’à 40 % des 520 emplois. D’autres unités sont sur la sellette, comme le HBU (120 salariés), à Saint-Cyr-sur-Loire, qui produit une gamme en fin de vie. Mais, assure Georges Laubry, directeur de site, « nous pouvons absorber une éventuelle décroissance des effectifs. Car nous avons un certain nombre d’intérimaires pour faire face aux à-coups de l’activité ».

Pas de surprise : la chronique des fermetures annoncées est écrite longtemps à l’avance chez l’équipementier « en restructuration quasi permamente » selon la CGT. L’Hexagone, qui a échappé au plan mondial 2007 de 1 000 suppressions de postes, a payé son écot aux précédents, avec notamment la fermeture de l’usine de Thomery (252 salariés) en 2004 après trois mois et demi d’occupation. À la suite du conflit, le contenu du plan social a été amélioré, et son coût renchéri de 8 à 13 millions d’euros. « Sans la CGT qui tenait le site, nous serions partis avec les seules indemnités conventionnelles. SKF n’est plus aussi généreux », estime une régleuse, devenue assistante maternelle. Reste que l’équipementier, qui s’était engagé à reclasser tous les salariés, y a mis les moyens. « La cellule de reclassement, note Michel Ghetti, du cabinet CMI-FI & E, est restée ouverte dix-huit mois, et en contact avec les salariés pendant deux ans. » 95 % des 170 personnes y ayant participé ont retrouvé un emploi ou une formation.

Afin d’anticiper d’autres réductions d’effectifs, l’industriel a organisé en 2005 les mobilités, via un accord de GPEC. Depuis, les propositions de mobilité hexagonales concernent aussi opérateurs et techniciens. Un tournant : jusqu’à présent, l’essentiel des départs se faisait via des mesures d’âge. Mais le vivier de salariés éligibles aux mesures d’État va décroissant. L’an passé, l’usine de Fontenay a connu ses premiers licenciements depuis les années 70. Un « choc » pour Claude Migné, de la CGT : « Le PSE de 2003 s’était réglé grâce aux préretraites. » La pilule de la mobilité, principal outil des restructurations à venir, reste difficile à avaler. Sur les 162 licenciés 2006, une poignée ont choisi la mutation. Prise en charge du déménagement, reclassement du conjoint, « les conditions étaient pourtant favorables », reconnaît la CGT.

4-Normaliser le dialogue social.

Olivier Maxime, délégué syndical central CGT, prévient d’emblée : « Plus aucun membre du bureau du syndicat n’a sa carte au PC. » Une précision d’importance car, derrière les conflits qui ont émaillé l’histoire de SKF, on a longtemps vu l’influence de la Place du Colonel-Fabien. À l’instar de l’occupation, de 1983 à 1986, de l’usine d’Ivry, qui a finalement fermé ses portes. La direction a sa part de responsabilité dans ce lourd héritage : les 35 licenciements minute de Saint-Cyr-sur-Loire en 1993, rebaptisés « l’affaire des taxis de la honte » (parce qu’ils attendaient les licenciés à la sortie de l’usine pour les conduire à la cellule de reclassement), ont marqué les esprits. Cette dureté des relations sociales n’a pas empêché une politique contractuelle novatrice. En témoignent les accords dérogatoires de pluriannualisation du temps de travail signés en 1996 et 1998.

Depuis, à Saint-Cyr-sur-Loire, le climat a changé. Les NAO sont moins tendues : « Direction et syndicats se sont entendus pour arriver avec des propositions réalistes », note Christophe Bodin, de FO. « Nous nous concentrons sur les conditions de travail, qui se détériorent en raison des exigences croissantes de performance », plaide Olivier Maxime, le leader cégétiste qualifié par la direction du site de « Bernard Thibault local ». Ce pragmatisme accompagne le changement d’époque : la CGT ne gère plus la mutuelle maison, remplacée en 2006 par un contrat de groupe. Elle voit son assise historique ébranlée, les rachats réduisant le poids de SKF France, la partie roulement automobile et l’unique société multisite intégrée (35 % des effectifs en 2007 contre 55 % en 2003).

Mais « SKF France continue de donner le la pour les revendications salariales », affirme la CGT, seul syndicat présent sur tous les sites. Avec une enveloppe d’augmentation annuelle de plus de 3 % ces dernières années, il y a du grain à moudre. Salaire mensuel moyen d’un ouvrier chez SKF France : 1 793 euros. Le climat reste néanmoins tendu. « Nous sommes écoutés mais pas entendus », déplore Joaquim Pinho, leader de la nouvelle CFE-CGC. « SKF n’a pas la politique sociale qu’il pourrait s’autoriser. Nous voulons une juste redistribution des bénéfices », renchérit la CGT. Un débat qui ressurgira lors des futures restructurations.

Repères

Santé florissante en 2006 pour le groupe SKF, détenu par la célèbre famille Wallenberg : depuis l’arrivée du nouveau P-DG Tom Johnstone en 2003, l’industriel a doublé son profit net, à 475 millions d’euros. La nouvelle politique de croissance externe et d’extension des implantations en Asie a aussi permis un retournement à la hausse des effectifs (39 780 salariés en 2006), en chute depuis la fin des années 90. Mais le poids de l’Europe de l’Ouest va décroissant (54 % des effectifs en 2006 contre 60 % en 2001).

1908

Implantation de SKF en France, un an après sa création en Suède.

1998

Les comptes mondiaux plongent dans le rouge.

1999

Premier des cinq plans de restructuration, qui se sont succédé depuis.

Remontée des effectifs de SKF en France (Nombre de salariés)
ENTRETIEN AVEC JEAN TOURNOUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE SKF EN FRANCE
“Les mesures incitant à travailler plus auront un impact économique limité”

La France reste-t-elle attractive pour SKF, sachant que 60 % de la production hexagonale est exportée ?

Le groupe dispose en France d’un portefeuille d’activités diversifié, sur des produits à valeur ajoutée, et a été distingué comme pôle d’excellence sur plusieurs produits. Grâce à ces implantations, nous pouvons proposer des solutions sophistiquées. SKF en France est donc bien placé pour défendre son outil industriel et le développer. Les investissements en témoignent. Cela n’empêche pas certains sites d’être en difficulté sur des produits standardisés, ni de constater que la France souffre d’un coût du travail élevé, d’un temps d’ouverture trop limité des installations et d’une résistance au changement.

Votre usine vendéenne a supprimé 140 postes en 2006. Y en aura-t-il d’autres ?

Ce site est en réorganisation. Elle n’est pas encore achevée. Nous voulons le soustraire à la compétition agressive à laquelle il est soumis. Nombre de nos clients ont relocalisé une partie de leur fabrication hors d’Europe et exigent des baisses de prix que nous ne pouvons accorder. Nous réorganisons donc le site pour le rendre plus compétitif et comptons développer de nouveaux produits. C’est un pari. Notre réussite repose aussi sur l’attitude de nos clients, les fluctuations des cours de l’euro et du dollar.

Le groupe a une organisation très décentralisée. Mais la nouvelle stratégie favorise l’échelon « pays ». Quelle traduction sur le plan social ?

Ce changement répond au nouveau positionnement du groupe, qui veut être identifié comme un fournisseur de solutions, et non plus de produits. Cela pousse à mieux combiner les expertises de nos différents métiers et à plus communiquer entre sites. Pour créer des réseaux internes, nous avons lancé un prix de l’Initiative partagée. Nous mettons aussi l’accent sur la gestion des cadres, la mobilité interne et la formation. Mais la décentralisation reste une nécessité, nos métiers étant soumis à des cycles différents. Je ne souhaite pas d’intégration juridique.

La culture du consensus appartient aux valeurs de SKF. Comment expliquer la récurrence des conflits ?

Comparé à d’autres grands groupes en France, on ne peut parler de récurrence des conflits chez SKF. Certes, lorsque nous avons décidé en 2005 de fermer le site de Thomery, nous nous sommes heurtés à un refus de négocier de la CGT. La confrontation est devenue inévitable. Mais je suis certain que nous pouvions atteindre notre objectif – permettre à chaque salarié de retrouver un emploi – sans passer par douze semaines d’occupation.

Comment qualifiez-vous l’état du dialogue social ?

Le rapport de confiance est correct. Nous abordons les vrais sujets, sans polémiquer, ni que ces discussions soient faussées par des enjeux externes. Nous nous écoutons. Et nous faisons tout pour éviter les conflits potentiels.

Êtes-vous intéressé par un assouplissement des 35 heures ?

Nos accords de pluriannualisation du temps de travail, qui permettent de lisser les effets de cycle, sont un must absolu. L’enjeu porte davantage sur une meilleure utilisation des installations. Nos collaborateurs travaillent en moyenne mille six cents heures par an, en semaines de cinq jours. Nous réfléchissons à une semaine de six jours.

Tirerez-vous profit de la défiscalisation des heures supplémentaires ?

Elle ne nous concerne pas plus que l’assouplissement des 35 heures, en raison de nos accords. Ces mesures incitant à travailler plus auront un impact économique limité. Elles relèvent plus d’une communication pour changer les attitudes et en finir avec l’envie de travailler moins.

Comment envisagez-vous la fin des préretraites ?

Sauf événement social extraordinaire, nous n’y substituerons pas de préretraite maison. Je l’ai clairement dit aux syndicats. Mais il est de notre responsabilité d’offrir à nos collaborateurs des possibilités de maintien en emploi. Nous travaillons l’ergonomie des postes d’opérateurs. Pour les cadres seniors, nous recherchons encore des solutions. J’espère que le dispositif des carrières longues sera maintenu en l’état, par mesure de justice sociale.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Anne Fairise

JEAN TOURNOUX

52 ans.

1979

Débute chez Price Waterhouse.

1980

Contrôleur de gestion à la Compagnie générale d’électricité.

1982

Ingénieur commercial chez Rank Xerox, puis Carrier.

1989

Entre à SKF.

1991

Promu directeur financier.

2000

Directeur général de SKF en France.

Auteur

  • Anne Fairise