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Vie des entreprises

Convention collective et contrat de travail

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.11.2007 | Jean-Emmanuel Ray

Avec l’irruption des accords dérogatoires ou « donnant-donnant », la question de l’articulation entre contrat individuel de travail et accord collectif devient essentielle. Le premier n’est plus un rempart inexpugnable contre la flexibilité du droit conventionnel. Certains textes législatifs accordent en effet la primauté à l’accord collectif sur le contrat individuel.

La mention, dans le contrat de travail, du régime de prévoyance ou de retraite applicable dans l’entreprise n’a qu’une valeur informative et ne constitue pas un élément du contrat » (Cass. soc., 4 juillet 2007) : cruelle déception pour cette responsable de magasin croyant que le transfert de son contrat, en application de l’article L. 122-12, assurait également le transfert automatique de son très favorable régime de prévoyance, et cassation prévisible de l’arrêt d’appel ayant estimé que « la clause en question entrait dans le champ contractuel ». Bref, le contrat de travail est régi par les conventions collectives applicables et, même après la loi du 4 mai 2004, ne peut contenir que « des dispositions plus favorables » que les sources supérieures (C. trav., art. L. 135-2). Mais pour combien de temps encore ?

SIGNATURE DES SYNDICATS ET CONFLIT D’IMPÉRATIFS

« L’union fait la force ». Dans tous les pays du monde, la négociation collective est destinée à compenser l’inégalité inhérente au contrat individuel de travail. Et, en France, jusqu’en 1982, ne s’étaient guère posés de problèmes d’articulation : la forte croissance et l’inflation des Trente Glorieuses finançaient la montée harmonieuse des deux niveaux. Mais quand la crise des « Trente Pâteuses » fut venue et, avec elle, l’apparition des accords dérogatoires en 1982, puis des avenants de concession non unanimes en 1992, enfin des accords dits « donnant-donnant » dans nombre d’entreprises en difficulté où les syndicats n’avaient plus grand-chose à donner, ces derniers ont pensé pouvoir mettre aussi dans la balance des avantages que les salariés tiraient de leur contrat de travail.

« La clause par laquelle les parties signataires d’un accord collectif s’engagent à renoncer à toute réclamation concernant la période antérieure à la date de signature de l’accord ne peut engager que les seules parties à l’accord et ne saurait interdire aux salariés de faire valoir en justice les droits qu’ils ont acquis par application de la loi » : l’arrêt du 12 septembre 2007 a rappelé à l’ordre des syndicats et un employeur ayant voulu faire du passé table rase et remettre à zéro les compteurs (ici, des droits d’auteur des journalistes). Si les syndicats signataires peuvent effectivement renoncer eux-mêmes à agir en justice, ils ne peuvent interdire à un quelconque salarié de le faire au nom de son contrat individuel. Et, comme l’avait rappelé la chambre sociale le 14 juin 2006 à propos d’un accord collectif ayant proposé à des futurs licenciés pour motif économique une alléchante préretraite contre la même renonciation à agir en justice, « la mise en œuvre d’un accord collectif dont les salariés tiennent leurs droits ne peut être subordonnée à la conclusion de contrats individuels de transaction » (annulation des transactions cinq ans après). Ce qui, en l’espèce, était aller un peu vite en besogne : car aucun salarié n’était obligé d’accepter ce deal et pouvait aller contester en justice la cause réelle et sérieuse de son licenciement. Il semble par ailleurs socialement plus productif que les partenaires sociaux préfèrent investir d’un commun accord dans des avantages immédiats plutôt que de guerroyer six ans en justice pour le plus grand profit des lawyers.

Même motif et même sanction s’agissant du droit de grève qui, en France, appartient à chaque salarié et non au syndicat, qui ne peut donc valablement en restreindre l’exercice, par exemple par un délai conventionnel d’attente dans le secteur privé (Cass. soc., 7 juin 1995, Transport Séroul).

DONJON DU CONTRAT FLEXIBILITÉ DU STATUT CONVENTIONNEL

Ébouriffante question pour un travailliste ayant appris que le contrat individuel de travail, suspect car simple contrat d’adhésion créant de plus un lien de subordination, devait évidemment s’effacer au profit de la convention collective assurant un minimum d’égalité et donc une meilleure protection : et si ce vaillant petit contrat, que la jurisprudence a érigé depuis 1987 en inexpugnable donjon, se révélait être le rempart le plus efficace contre la flexibilité ayant envahi le droit conventionnel ?

Ainsi en matière de rémunération : si toucher à un centime d’euro du salaire contractuel peut aujourd’hui légitimer une prise d’acte, tout le treizième mois conventionnel peut disparaître d’un coup par avenant à l’accord d’entreprise sans que le salarié ne puisse y voir la plus petite modification de son contrat. On comprend alors mieux l’intérêt renouvelé des entreprises pour la négociation collective à ce niveau, largement soutenu par le législateur, qui a multiplié les obligations de négocier, de jure ou de facto. L’éventuelle réversibilité des avantages conventionnels, sa capacité d’élargir le pouvoir de direction depuis 1982 grâce aux accords dérogatoires (exemple : annualisation), enfin son affranchissement de principe depuis mai 2004 à l’égard des normes conventionnelles supérieures (qui pourrait être bientôt élargie aux conventions signées avant 2004) rendent la négociation particulièrement attractive, a fortiori avec la rigidification jurisprudentielle du droit de la modification du contrat. Mais il faut trouver un délégué syndical pour y prêter la main et peut-être plusieurs, à compter de 2008, en cas d’accord nécessairement positivement majoritaire.

Prenant acte de cette évolution vers la loi de la majorité, faut-il, à l’instar du contrat collectif américain, permettre de lier chaque salarié déjà en poste par l’accord collectif, y compris dans ses éventuelles sujétions (clause de non-concurrence, clause de mobilité) ? Ce bouleversement radical de notre droit n’est pas techniquement impossible, la loi pouvant par exemple spécifier que le délégué syndical devient le mandataire de chaque salarié et négocie en son nom. Mais, dans la tradition française, nos « représentants du personnel » relèvent davantage de la science politique que du mandat du droit civil. Et c’est mieux comme ça, même si l’opération grignotage de l’individuel par l’acte collectif a déjà commencé.

DES EFFETS DÉJÀ NON NÉGLIGEABLES EN MATIÈRE DE RUPTURES

Confrontée à la nécessité d’échapper au montage obligé d’un plan social pour chaque entreprise souhaitant passer aux 35 heures (car plus de 10 modifications de contrat), Martine Aubry avait dû au bon vieux temps de la jurisprudence Framatome-Majorette faire voter en 2000 l’article L. 212-3, spécifique au passage aux 35 heures par accord collectif : « La seule diminution du nombre d’heures stipulées au contrat, en application d’un accord de RTT, ne constitue pas une modification du contrat de travail. » Article assujettissant donc l’individu à l’acte collectif, et que la jurisprudence applique aujourd’hui avec une grande vigueur, sinon une vision panoramique, comme un cadre en a fait l’amère expérience avec l’arrêt du 30 mai 2007. Refusant de signer une convention de forfait jours, il demande l’application de sa convention collective pour les heures supplémentaires, heures ayant naturellement disparu pour les nouveaux cadres autonomes. Solution inattendue de la chambre sociale : « Si le refus de signature d’une convention de forfait jours proposée en application d’un accord de réduction du temps de travail peut, le cas échéant, justifier le licenciement du salarié, l’employeur ne peut appliquer au salarié, qui refuse de signer l’avenant individuel prévu à l’article L. 212-15-3, ladite convention. » Si la seconde affirmation était prévisible, l’éventuel licenciement individuel pour refus de signature d’un avenant forfait jours paraît novatrice. Car il ne s’agit pas « de la seule diminution du nombre d’heures stipulé au contrat », et le passage d’un calcul horaire à un forfait jours constitue une évidente modification du contrat initial.

Même puissance de l’accord collectif sur le régime de la rupture depuis la loi du 30 décembre 2006 avec le « congé de mobilité », ce terme très marketing social cachant une réalité plus brutale. Cette rupture amiable n’est ouverte qu’aux entreprises ayant signé un accord de GPEC qui en fixe les modalités (bénéficiaires, durée) : en cas d’acceptation, le contrat est rompu d’un commun accord, sans lettre de licenciement (cf. circulaire DGEFP du 7 mai 2007). Idem avec la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007 : décidément multifonctions, l’accord de GPEC peut ici porter « sur les catégories d’emplois menacés par les évolutions économiques ou technologiques » et peut alors prévoir le recours à des départs volontaires pour les salariés occupant un emploi classé dans l’une de ces catégories, avec un régime extrêmement attractif (exonération de l’impôt sur le revenu, de cotisations et de CSG, cf. décret du 25 avril 2007). Cette légitimation par accord collectif du TSL (« tout sauf un licenciement ») pourrait être bientôt élargie avec la banalisation de la séparation amiable souhaitée par le Medef au nom du TSJ (« tout sauf le juge »).

Vers le workchoice à l’australienne ? Le droit du travail français étant tout entier placé sous le signe de l’ordre public de protection, le salarié « ne peut valablement renoncer au bénéfice du statut collectif de l’entreprise qui l’emploie », a rappelé une fois de plus la chambre sociale le 18 octobre 2006. Mais l’opt-out individuel (pouvoir déroger in pejus par contrat à des stipulations conventionnelles de niveau supérieur) n’est-il pas déjà présent dans notre droit ? Depuis la loi sur le temps de travail du 31 mars 2005 (déjà « travailler plus pour gagner plus »), le salarié volontaire peut effectuer des « heures choisies » au-delà du contingent conventionnel.

Cette évolution ne serait d’ailleurs que l’aboutissement logique des vingt-cinq dernières années. Acte I : 1982, dérogation à la loi par accord collectif. Acte II : 2004, dérogation à l’accord collectif supérieur par accord de niveau inférieur. Acte III de ce glissement insidieux, qui monte dans nombre de pays d’Europe : la dérogation individuelle à l’accord collectif, en commençant bien sûr par les cadres supérieurs qui savent a priori négocier leur contrat. Mais que restera-t-il du droit du travail ?

FLASH
Une convention plus vraiment collective

L’arrêt du 14 mai 1998 avait posé le principe : « Un accord collectif ne peut, sans l’accord des salariés concernés, modifier les droits qu’ils tiennent de leur contrat de travail. » Qu’il s’agisse de classifications (modification des classifications conventionnelles, Cass. soc., 5 janvier 2000) ou de salaires (Cass. soc., 27 mars 2001), la chambre sociale de la Cour de cassation veille à ce que sa ferme jurisprudence sur la modification du contrat ne soit pas vidée de sa substance par l’irruption d’accords d’entreprise très permissifs, a fortiori après la loi du 4 mai 2004. Et ce même dans les cas où il s’agit d’un accord visant à éviter la liquidation de l’entreprise comme dans l’arrêt Air littoral du 25 février 2003, où l’accord prévoyait une réduction des rémunérations contractuelles. Alors que la cour d’appel l’avait acceptée « en cette période critique pour l’entreprise », la chambre sociale répète : « Attendu qu’un accord collectif ne peut modifier le contrat de travail… » Mais, par ailleurs, un salarié peut-il refuser l’application d’une convention… collective qui devient alors beaucoup moins collective, remettant en cause la sacro-sainte unité du statut collectif à la française, a fortiori si l’accord doit être désormais majoritaire pour être valide ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray