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Politique sociale

Les couacs des préretraites amiante

Politique sociale | publié le : 01.11.2007 | Stéphane Béchaux

Des salariés qui en profitent sans raison, des secteurs entiers qui en sont privés, des entreprises qui s’en servent pour déguiser des plans sociaux… Décryptage d’un dispositif coûteux et inéquitable : les cessations anticipées d’activité des travailleurs exposés à l’amiante.

Gare à la patate chaude ! Victimes de bugs à répétition, les préretraites « amiante » vont une nouvelle fois sauver leur peau dans la loi de financement de la Sécu. Et pourtant, le bilan du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (FCAATA) n’est pas fameux. Parmi ses 33 000 bénéficiaires actuels, quelques milliers n’ont jamais inhalé la moindre fibre d’amiante. A contrario, des milliers d’autres en sont exclus, alors même qu’ils ont été très exposés. Retour sur les ratés de ce dispositif, qui coûte 850 millions d’euros par an.

Des secteurs injustement exclus. Mécaniciens, plombiers, électriciens, passez votre chemin ! Bien qu’ils aient été exposés à l’amiante dans l’exercice de leur métier, la préretraite ad hoc n’est pas pour eux. À moins d’avoir déclaré une maladie professionnelle, ils ne peuvent prétendre à cette retraite anticipée, autorisée à partir de 50 ans, moyennant 65 % de leur salaire brut. « Anormal. Car le FCAATA vise justement à compenser la réduction de l’espérance de vie chez les personnes exposées. Il n’a pas vocation à se limiter aux malades », rappelle André Le Touzé, membre du conseil de surveillance du fonds.

Depuis leur création, dans le cadre de la loi de financement de la Sécu pour 1999, les préretraites amiante sont en effet limitées à certains secteurs d’activité. Au départ, seuls les établissements de production de matériaux contenant de l’amiante pouvaient en bénéficier. Dès mars 1999, les sites les plus contaminés – ceux de Ferodo, Eternit, Everite, la mine corse de Canari… – intègrent le dispositif. Les années suivantes, le législateur élargit la cible. Rentrent dans le circuit les dockers, la construction et la réparation navales, les établissements de flocage et de calorifugeage à l’amiante. Mais pas le BTP, l’industrie du verre ni les garages automobiles, qui ont pourtant manipulé l’amiante à bonne dose.

Cette liste restrictive nourrit de lourds contentieux devant les tribunaux (161 affaires depuis 2005). Car le législateur a manqué de précision. En mentionnant le calorifugeage à l’amiante comme secteur éligible, les parlementaires ne visaient que les entreprises spécialisées dans cette activité. Pas les multiples usines dont les fours contenaient de l’amiante… Une vision restrictive adoptée par la Direction générale du travail (DGT). « De très nombreuses entreprises ont utilisé, dans le passé, des procédés mettant en oeuvre de l’amiante. On se doit de vérifier si l’activité entre dans le champ de la loi, et si elle a présenté un caractère significatif. Ce qui nous conduit à rejeter plus de 90 % des demandes », explique Patrick Guyot, responsable du dossier à la DGT jusqu’en octobre 2007. Dans 70 % des cas, les juges lui donnent raison.

Sous le prétexte que Moulinex utilisait des cordons amiantés dans ses robots ménagers, ses établissements ont tous été classés en 2002. Bilan : 1 200 préretraités, pour la plupart jamais exposés à la fibre tueuse

Des effets d’aubaine importants. Pour prétendre à la préretraite amiante, nul besoin d’avoir été personnellement exposé. L’administration ne regarde pas les dossiers un par un mais classe les établissements pour une période donnée. Secrétaires, directeurs ou commerciaux ont alors exactement les mêmes droits au départ que les ouvriers. Illogique ? Pas toujours. « Les fibres ne s’arrêtent pas à la porte des ateliers. Avec les systèmes de ventilation et de chauffage, elles se baladent partout. Chez nous, plusieurs secrétaires sont en train de mourir de mésothéliome. Et un directeur est décédé », assure Didier Payen, ancien salarié de Ferodo, à Condé-sur-Noireau (Calvados).

Sauf que cette gestion collective a perdu en pertinence avec l’extension du dispositif. Dernier exemple en date, Alstom Belfort. Dans les prochaines semaines, 300 à 400 salariés vont pouvoir faire leurs valises, après l’injonction du tribunal de Besançon d’inscrire le site sur les listes du FCAATA. « La moitié n’a probablement rien à voir avec l’amiante. Le site est immense, les bâtiments sont séparés. Mais on fait avec les textes », admet le cédétiste Alain Ogor. Le cas n’est pas isolé. De Tréfimétaux (Dives-sur-Mer) à Irisbus (Annonay), d’Eaton (Saint-Nazaire) à Atofina (Port-de-Bouc), tous les établissements entrés récemment dans le dispositif connaissent des effets d’aubaine importants.

Des preuves difficiles à collecter. Depuis février 2004, date d’une profonde réforme du mode d’instruction des dossiers, plus aucun établissement n’intègre le FCAATA sans une enquête des directions départementales du travail. Au préalable, syndicats et associations d’aide aux victimes doivent bétonner leurs dossiers en multipliant les témoignages et en fouillant les archives. Un travail de fourmi. « On dispose rarement de documents à caractère institutionnel, type procès-verbal de CHSCT ou de l’Inspection du travail. On s’appuie surtout sur des témoignages », précise l’avocat Jean-Paul Teyssonnière. Une charge de la preuve qui désavantage les travailleurs des PME. Mal informés, peu soutenus, ils n’ont guère d’espoir de mener à bien de tels combats, qui finissent le plus souvent devant les tribunaux.

Ces longues batailles n’ont pas toujours eu cours. Avant 2004, le ministère du Travail faisait parfois preuve d’une légèreté coupable. L’usine Valeo de Nogent-le-Rotrou, par exemple, a intégré le FCAATA sans la moindre enquête, en août 2001. « On utilisait de la poudre d’amiante pour certains moteurs, mais l’exposition était minime. On a envoyé un simple courrier, sans y croire », raconte Michaël Chevauchée, ancien secrétaire du CHSCT. Banco ! Depuis, près de 320 salariés ont quitté l’usine, et une quarantaine sont sur les rangs.

Un dispositif détourné. Plus de 600 interventions en trois ans… À la DGT, on croule sous les courriers d’élus locaux cherchant à inscrire tel ou tel établissement dans le dispositif. Pas toujours pour de bonnes raisons. Car l’amiante a bon dos quand il s’agit de limiter les dégâts des plans sociaux. Moulinex reste l’exemple le plus célèbre. Sous le prétexte que l’entreprise utilisait des cordons amiantés dans ses robots ménagers, ses établissements ont tous été classés, en 2002. Bilan : 1 200 préretraités, pour la plupart jamais exposés à la fibre tueuse.

« La montée en puissance du FCAATA a coïncidé avec la raréfaction des systèmes de préretraite. D’où la tentation des pouvoirs publics de régler par ce dispositif des problèmes sociaux sans aucun rapport », analyse François Desriaux, président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). Parmi les demandes farfelues, celle des anciens salariés… de la mutuelle de Moulinex ! Et celle de l’ancien secrétaire cégétiste du comité d’entreprise de la biscuiterie LU, à Calais.

Dénoncés par la Cour des comptes en 2004 et par l’Inspection générale des affaires sociales en 2005, ces plans sociaux déguisés n’ont plus cours. Ce qui n’interdit pas aux entreprises de faire de l’ingénierie sociale. Valeo et Alstom, notamment, ont su parfaitement freiner ou accélérer ces préretraites, au mieux de leurs intérêts. À Reims, Valeo Systèmes thermiques a vu d’un très bon œil l’inscription du site en juillet 2006. « Comme on était en plein PSE, la direction était très demandeuse. Alors qu’elle ne voulait pas en entendre parler quand l’usine tournait à plein », assure le cégétiste Jean-Luc Faillard. Une stratégie calquée sur celle des Chantiers de l’Atlantique qui, au début des années 2000, ont su parfaitement lier préretraites amiante et carnets de commandes. Des cailloux dans le jardin du patronat, qui peste contre les coûts du dispositif…

850 millions d’euros

C’est le coût des préretraites amiante prévu par la Sécu pour l’année 2008.

Des préretraites délicates à réformer

Xavier Bertrand a annoncé, fin septembre, la création d’un groupe de travail visant à réformer les préretraites « amiante ». Revue des principales pistes.

Réserver le dispositif aux malades

Très tentant, et souvent évoqué. Sur les quelque 50 000 bénéficiaires du FCAATA depuis sa création, seuls 6 500 sont entrés dans le dispositif à titre individuel, pour cause de maladie professionnelle. Réserver le fonds aux salariés malades, et l’étendre à tous les secteurs d’activité, fait partie des pistes privilégiées.

Inconvénient, une telle réforme modifierait radicalement la philosophie du FCAATA, qui vise à compenser la perte potentielle d’espérance de vie.

Ne plus raisonner par établissements

Tentant mais délicat. Rendre éligibles certains ateliers, et non tout un site, réduirait les effets d’aubaine. Écueil : les ateliers n’ayant pas de statut juridique, difficile de les nommer dans un arrêté ministériel. Sans parler des difficultés pour retracer les carrières…

Autre option, raisonner par métiers, au sein d’un établissement. Depuis 2000, la réparation et la construction navales s’y sont essayées.

Bilan mitigé : hormis les fonctions administratives, presque tous les métiers ont été admis.

Réduire le montant des allocations

Explosif. Le salarié touche actuellement 65 % de son salaire brut de référence jusqu’au plafond de la Sécurité sociale (2 682 euros) et 50 % entre un et deux plafonds. Baisser ce montant serait pénalisant pour les bas salaires, qui renoncent déjà parfois au dispositif pour des raisons pécuniaires.

Retarder le départ à la retraite

Probable. Aujourd’hui, les salariés malades peuvent partir à 50 ans. Pour les autres, le départ dépend de la durée d’exposition. Le principe : trois ans d’exposition valent un an de travail en moins (à déduire de l’âge de 60 ans, considéré comme celui de la retraite à taux plein pour tous). Diminuer la majoration et tenir compte de l’allongement de la vie active réduiraient la facture.

Auteur

  • Stéphane Béchaux