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Vie des entreprises

Pas de relâche pour les commerciaux des sites d’emploi

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.10.2007 | Domitille Arrivet

Chez le géant américain Monster, les salariés sont à rude école mais bien payés de leurs efforts. Le challenger français est un peu moins généreux. Le style de management y est plus soft, mais la pression monte depuis son entrée en Bourse.

Les offres d’emploi sur Internet explosent. Les entreprises consacrent déjà 20 % de leur budget de recrutement à ce média pour faire connaître leurs besoins. Et le marché français d’annonces on line offre de telles perspectives de développement que les enseignes spécialisées sont à couteaux tirés. À première vue, la partie est déséquilibrée entre le géant américain Monster, aux dents aussi longues que Trump, la mascotte lui servant de logo, et son challenger hexagonal Adenclassifieds. Un jeune groupe né de la fusion de sites réputés comme Cadremploi ou Keljob. Petit à l’échelle mondiale, il n’a pas dit son dernier mot face au numéro un mondial du recrutement en ligne, présent dans 36 pays, du Koweït à la République tchèque.

Deux offres distinctes.

Pour mettre en relation recruteurs et candidats, la méthode est la même chez les deux opérateurs : une armée de commerciaux se charge de vendre aux entreprises, aux cabinets de recrutement ou aux sociétés d’intérim la mise en ligne des postes qu’ils ont à pourvoir ainsi que des services qui facilitent le recrutement des candidats, comme la CVthèque, dans laquelle les entreprises peuvent puiser, moyennant abonnement. Parallèlement, des marketeurs aguerris assistés d’informaticiens chevronnés font feu de tout bois pour capter les candidats à l’embauche. À chacun sa méthode : Monster est un métamoteur avec un site et une adresse uniques qui ouvrent sur de multiples portails thématiques par régions, par métiers, mais aussi par publics, tels que les femmes et les handicapés. Le site américain propose aussi des liens vers les sites dédiés de ses clients – institutions, entreprises ou cabinets. Adenclassifieds, ou Aden dans le microcosme de la pub on line, a plutôt pris le parti de conserver une grande variété de sites ayant chacun une cible spécifique : l’emploi pour Cadremploi et Keljob (85 % du chiffre d’affaires), la formation pour Kelformation, ou l’immobilier avec Explorimmo. Des marques totalement autonomes, qui étaient encore jusqu’à l’an dernier dans le giron de leur actionnaire principal, Publiprint, la régie publicitaire du Figaro. Société ombrelle, Aden fédère les ressources humaines et techniques.

Cadremploi, Keljob, Explorimmo… Aden est un mélange de cultures

Le leader Monster achète des sites pour les avaler, alors qu’Aden privilégie la coexistence de marques différentes pour ratisser plus large, même si c’est plus difficile à gérer », analyse une professionnelle du secteur qui travaille quotidiennement avec les deux opérateurs. Reste que, chacun à sa façon, Aden et Monster sont engagés depuis trois ans dans une course à la croissance externe qui ne va pas sans provoquer des secousses au sein des équipes.

« En huit ans, j’ai déménagé huit fois », sourit Thibaut Gemignani, le jeune directeur général d’Aden. Entré comme débutant au service des petites annonces du Figaro, ce workaholic a ensuite, à partir de 1998, développé Cadremploi, un service Minitel qu’il a transformé en site Internet d’emploi spécialisé dans les profils bac + 2. Sous la houlette de son actionnaire Publiprint, il a racheté en 2006 son concurrent Keljob, avec lequel il venait de vivre dix-huit mois de procès, conclu à l’amiable, pour concurrence déloyale. Durant l’été 2006, Aden a fusionné les deux équipes et intégré au passage celles d’Explorimmo. « Nous sommes passés de 50 à 130 commerciaux, avec des cultures très différentes. Ceux de Cadremploi, avec une culture de leader ; ceux de Keljob, avec des habitudes de challenger qui se sont construits contre les autres, le couteau entre les dents. Le personnel d’Explorimmo, lui, était un peu de l’un et de l’autre, il a fait le pont entre les deux », décrit Thibaut Gemignani, qui a pris, en 2006, la direction générale de la nouvelle structure Adenclassifieds, laissant la présidence à un quadra, Cyril Janin, fondateur de Keljob en 1998. Ce dernier, qui a fait toute sa carrière dans la publicité de ressources humaines, a pour mission d’accélérer l’internationalisation de l’entreprise. Les 50 millions d’euros levés en Bourse ont déjà permis à Aden d’acquérir début 2007 le site allemand Seminus. Et d’autre rachats sont à venir…

Choc des cultures. Du côté de Monster, les troupes sont aussi accoutumées aux big bangs. Arrivé en France en 1999, l’américain s’est jeté le premier dans la bataille en reprenant Jobpilot en 2004, puis Emailjob l’année suivante. Des marques aujourd’hui disparues, dont les salariés ont été soumis bon gré mal gré au choc des cultures. « Chez Monster, il y a une pression énorme, témoigne un ancien commercial. Les chiffres, il n’y a que cela qui compte. Avec ce management à l’américaine parfaitement rodé, il n’y a aucune place pour l’initiative individuelle. Cela ne me correspondait pas. »

Un turnover de 14 %.

Dans cette course au développement, les états d’âme sont proscrits. « En 2005, nous étions 70 salariés ; après le rachat d’Emailjob, 140 ; aujourd’hui, 250 », indique Bruno Brémond, le directeur général. À 44 ans, cet ancien de Monster en Grande-Bretagne, formé au marketing, vit au rythme des réorganisations et du reporting quotidien. Après avoir animé les forces commerciales de Glasgow, il a été chargé de doper les ventes en France, en Italie et en Espagne. Partout en Europe, Monster recrute à tour de bras, d’autant que la société continue d’accuser un turnover de 14 % tous services confondus, et même de 23 % chez les commerciaux. « Un taux raisonnable, comparé aux 57 % dont souffrent les centres d’appels », relativise Claude Monnier, le DRH. Mais pas un taux de 3 % revendiqué par la direction d’Aden…

Monster recrute à tour de bras, d’autant que le turnover y est de 14 %

Changement de style, en tout cas, chez le concurrent de Monster où, pour amortir le choc de la fusion Cadremploi-KelJob, Adenclassifieds a fait appel au cabinet BPI. Les consultants ont interrogé des panels de salariés des différentes entités pour comprendre la culture de chaque maison. Les conclusions ont d’abord été restituées aux managers de la nouvelle entité, puis à leurs collaborateurs immédiats. « Enfin, au mois de juin 2006, ce fut le kick-off. Nous avons réuni 250 salariés au Théâtre du Gymnase où les résultats de l’étude ont été joués sous forme de saynètes par des comédiens professionnels », raconte Thibaut Gemignani. Quelques semaines plus tard, les équipes se sont installées dans des locaux flambant neufs près de l’Opéra, en plein Paris. Et, trois mois après, Aden faisait son entrée en Bourse. « Dans le secteur d’Internet les gens sont jeunes, ils s’adaptent vite », explique le directeur général d’Aden. De fait, la moyenne d’âge y est de 28 ans ; 27 ans chez son concurrent américain.

Si les salariés de Monster sont à rude école, ceux qui réussissent à se mettre au diapason sont choyés. Salaires confortables, avec un fixe de l’ordre de 25 000 euros par an pour les commerciaux – contre 20 000 euros chez Aden –, primes substantielles et promotions rapides sont au programme. Et, pour les plus méritants, une voiture de fonction et même des stock-options. « La rémunération totale des commerciaux peut atteindre 100 000 euros, primes comprises, quel que soit leur niveau de formation initial. Nous avons ici un thésard qui gagne, à moins de 30 ans, dix fois ce qu’il aurait gagné dans la recherche », assure Claude Monnier.

Blacks, Blancs, beurs. Monster donne une chance à tous. Dans les bureaux colorés, le personnel black, blanc, beur est présent à tous les niveaux hiérarchiques. Et même si elle recrute en majorité des bac + 2, la société américaine a aussi embauché des gens dont la seule expérience était la vente sur les marchés, ainsi qu’un champion d’arts martiaux. Du moment que les résultats suivent…

Chez Aden, la pression existe aussi. La terminologie maison en dit long : les débutants qui sont affectés au développement sont les « chasseurs », les seniors qui entretiennent un portefeuille de clients existants sont les « éleveurs »… Au deuxième étage règnent les commerciaux sédentaires en jeans et baskets qui ne travaillent qu’au téléphone. Dans les locaux tout de gris et de beige, la seule décoration acceptée aux murs est un tableau Velleda sur lequel est inscrit, en temps réel, le chiffre d’affaires généré par chacun d’entre eux, nominativement. De même, le classement des commerciaux est réactualisé chaque semaine et placardé dans les couloirs. Cette année, les meilleurs commerciaux de chaque équipe, 16 au total, seront récompensés par un voyage au Cap-Vert. « Les objectifs sont élevés, mais on peut les atteindre et bien gagner sa vie », témoigne une salariée. Avec les primes mensuelles, trimestrielles et semestrielles, un commercial peut rapidement atteindre 60 000 euros annuels.

La course au chiffre d’affaires n’empêche pas la start-up française de se montrer sensible aux heureux événements qui concernent ses collaborateurs. La preuve, elle a eu la joie d’annoncer deux mariages au sein de son personnel !

Adenclassifieds

CA France en 2006 :

33,3

millions d’euros

Salariés :

300

4 sites principaux :

Keljob.com,

Cadremploi.fr,

Kelformation.com,

Explorimmo.com

Monster

CA France en 2006 :

41,6

millions d’euros

Salariés :

250

Un site :

Monster.fr

De la rotative de papa au serveur mondial

Les générations à venir auront-elles bientôt oublié qu’à une époque on achetait encore le journal pour trouver du travail ? Possible, si l’on en croit les tendances de fond qui traversent le marché des offres d’emploi en France. Depuis l’arrivée des sites Internet d’emploi, dans les années 90, les rubriques emploi des journaux n’ont cessé de s’amenuiser, jusqu’à parfois disparaître. Presse quotidienne nationale ou régionale, hebdomadaires d’actualité, journaux professionnels, tous ont pâti de la concurrence des sites, à la fois réactifs et économiques.

D’après Monster, les journaux ne diffusaient plus en 2005 que 25 000 offres d’emploi (une baisse de 17 % en un an), alors que l’on en trouvait déjà 650 000 sur Internet (30 % de plus). Certes, pour tirer leur épingle du jeu, les journaux ont compensé la défection des offres d’emploi classiques par des espaces publicitaires permettant aux entreprises de vanter leur politique de ressources humaines. Une réorientation qui permettait encore à la presse de récolter une manne publicitaire de 170 millions d’euros en 2005, alors qu’Internet ne recueillait que 71 millions d’euros de chiffre d’affaires avec les offres d’emploi. Mais la tendance reste défavorable à la presse, car les recruteurs ont bien mesuré les économies réalisées grâce à ces annonces vendues dix fois moins chères.

Au vu de cet engouement, conjugué à la reprise générale de l’emploi en France, les professionnels de l’offre d’emploi en ligne tablent sur un chiffre d’affaires de 188 millions d’euros en 2008. Une hausse de 260 % en quatre ans !

Auteur

  • Domitille Arrivet