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Vie des entreprises

Le poker menteur des clauses de non-concurrence

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.10.2007 | Stéphane Béchaux

Menotter ses salariés clés pour leur interdire de passer à l’ennemi est un exercice difficile. Les clauses de non-concurrence peuvent se retourner contre les DRH. Et là, gare à l’addition !

Ligoté, Gérard ! Directeur de département chez un organisateur de salons professionnels, ce trentenaire se démène depuis des mois pour prendre la poudre d’escampette. En vain. Car son contrat de travail contient une pilule empoisonnée : une clause de non-concurrence, qui lui interdit pendant deux ans de travailler chez un ancien client, partenaire, prospect ou fournisseur… « Excessive, ma clause ? Les avocats que j’ai consultés sont assez circonspects. Mais pas un ne peut m’assurer d’une victoire devant les tribunaux », confie l’intéressé.

Son cas n’est pas isolé. La plupart des salariés haut placés qui, dans les directions générales, les services marketing ou commerciaux, ont connaissance des petits et grands secrets de leur maison doivent composer avec de telles clauses, qui restreignent leur champ de prospection. Tel ce manager de Capgemini qui, pendant un an, ne peut rejoindre ni IBM, ni Accenture, ni aucun concurrent direct francilien. Ou, chez Siemens, cet ingénieur qui, pour douze mois, ne peut s’« intéresser de quelque manière que ce soit » au secteur aéroportuaire.

Culot et discrétion. Il est possible de faire sauter ces verrous. À condition d’avoir du culot et de taire ses projets professionnels. Car, lors de la rupture du contrat de travail, l’employeur se trouve face à un redoutable dilemme : maintenir la clause du salarié – et donc, en contrepartie, le rémunérer – ou la lever. Un petit jeu de poker menteur qui voit patron et salarié se jauger mutuellement. « Il y a un moment de solitude pendant lequel on pèse les risques, admet Bernard Duigou, DRH du loueur Hertz. Mais neuf fois sur dix on lève la clause. » Autrement dit, on y renonce. Et tant pis si un directeur, la porte à peine franchie, se précipite chez l’ennemi Avis ! Même stratégie à Capgemini. « On maintient rarement la clause. Un ancien collaborateur peut devenir un client. Et, quand il a un gros salaire, ça coûte cher de lui en payer 55 à 65 % pendant un an ! » confie l’un des managers. Parfois, les démissionnaires tirent le gros lot. Chez Dior, un responsable du secteur parfums et cosmétiques a ainsi fait courir le bruit qu’il avait été débauché par un concurrent direct. Un coup de bluff qui lui a valu double salaire pendant un an : l’indemnité versée par son ancien employeur, qui a exercé sa clause, s’ajoutant à la rémunération de son nouveau job… dans la haute couture.

Protection délicate. Outre le coût, un autre argument plaide pour la levée des clauses : même bien rédigées, elles restent imparfaitement protectrices des intérêts de l’entreprise. Sauf à faire espionner son ancien collaborateur par un détective – pas si exceptionnel –, il n’est pas aisé de s’assurer qu’il respecte l’obligation de non-concurrence. De plus, il existe des astuces pour contourner l’interdiction. « Un salarié débrouillard peut trouver le moyen, avec un contrat de travail adroitement rédigé, de toucher la contrepartie financière sans changer de secteur d’activité », note l’avocat dijonnais Christian Decaux, du cabinet du Parc. Exemple : un salarié interdit de job en Ile-de-France pourra se faire embaucher à Lyon puis détacher à Paris.

Plus gênant encore pour les entreprises, depuis cinq ans, les tribunaux n’ont cessé de faire évoluer la jurisprudence. Dès lors, gare aux additions salées ! En juillet, le conseil de prud’hommes de Versailles a ainsi condamné la SSII Steria à verser 40 000 euros de dommages et intérêts à l’un de ses anciens salariés. Au motif que celui-ci avait respecté à la lettre sa clause qui, ne prévoyant pas de contrepartie financière, était nulle. D’autant plus rageant pour la société que ladite clause était parfaitement licite en juin 2001, lors de la rédaction du contrat du salarié. Avant que la Cour de cassation rende, en juillet 2002, la contrepartie obligatoire. « Seul le salarié peut invoquer la nullité de sa clause pour s’en libérer. Pas l’employeur », rappelle l’avocat Pierre-Xavier Boubée, du cabinet DBC.

Un salarié interdit de job en Ile-de-France peut se faire embaucher à Lyon puis détacher… à Paris

Rares sont les entreprises à l’abri de pareille mésaventure. Il faut en effet, pour rendre conforme une clause de non-concurrence, obtenir l’aval du collaborateur. Sans carotte à offrir, c’est mission impossible. « Beaucoup d’entreprises ont décidé de régler le problème au fil de l’eau, à l’occasion de promotions ou de réorganisations », constate David Jonin, avocat chez Gide, Loyrette, Nouel. Hertz en fait partie. « Lors des promotions, on profite des avenants pour glisser de nouvelles clauses. On n’essuie pas de refus », précise Bernard Duigou, qui réserve le tour de passe-passe à une soixantaine de personnes clés.

Cette remise à jour tient parfois de la loterie. « On est encore dans la phase de construction juridique. C’est source d’insécurité pour les employeurs dont les clauses, parfaitement valables lors de leur signature, tombent parfois rétroactivement », souligne l’avocate Sophie Uettwiller, associée chez UGGC. Dernier exemple en mars, avec un arrêt de la Cour de cassation qui spécifie que la contrepartie financière doit intervenir après la rupture du contrat de travail. Un revirement qui met à mal les pratiques de nombreux employeurs. Aussi bien celles de salons de coiffure, qui versent une prime mensuelle de non-concurrence de 4 % à leurs employés, que celles du cabinet Lowendal qui, depuis deux ans, majorait de 15 % les salaires de ses nouveaux consultants.

Sélection accrue. Amorcé en juillet 2002, le renchérissement des clauses conduit les entreprises à faire preuve de plus de sélectivité. Plus question d’introduire par défaut des dispositions types dans les contrats de travail. Chez CSC par exemple, la direction réserve à présent les clauses aux postes sensibles. Même politique chez l’équipementier automobile Valeo. « Les clauses sont désormais réservées aux ingénieurs d’études ou d’industrialisation », précise Olivier, ingénieur en production, qui a vu sa clause disparaître l’an dernier lors d’une mutation. À son grand regret. Débauché par un groupe aéronautique cet été, il n’a pas pu prendre le pactole…

Un cadrage juridique très précis

Objets de nombreux contentieux devant les tribunaux, les clauses de non-concurrence ont donné lieu à une jurisprudence abondante. Voici les principales règles qui les régissent.

Protection des intérêts de l’entreprise. L’employeur doit spécifier en quoi cette clause est nécessaire.

Limitation dans l’espace et dans le temps. La clause doit préciser le secteur géographique concerné et la durée de l’interdiction. Ces limitations doivent être raisonnables et ne pas porter atteinte à la liberté de travail du salarié. Le juge peut en restreindre l’étendue.

Contrepartie financière. Sans indemnité compensatrice, la clause est nulle. Idem si celle-ci est d’un « montant dérisoire », comme l’a jugé la Cour de cassation en novembre 2006 pour un VRP qui touchait chaque mois 10 % de son salaire sur la durée de la clause. Les avocats estiment désormais qu’à partir de 30 % la clause a toutes les chances d’être jugée valide. Le paiement doit intervenir après la rupture du contrat de travail.

Mise en œuvre. La clause s’applique en cas de rupture du contrat de travail, quelle qu’en soit la cause : démission, licenciement, fin de période d’essai, retraite, invalidité…

Renonciation. Sauf mention expresse dans le contrat de travail ou les textes conventionnels, l’employeur doit obtenir l’accord du salarié pour le libérer de sa clause. S’il y renonce hors délais, la contrepartie financière est due tant que le salarié respecte la clause.

Auteur

  • Stéphane Béchaux