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Vie des entreprises

Jacques Guers chamboule les métiers de Xerox

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.10.2007 | Fanny Guinochet

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(hors concessions)

Crédit photo Fanny Guinochet

Nommé à la tête de Xerox France en 2000, en pleine crise, Jacques Guers a multiplié les restructurations. Il lui faut à présent rassurer des salariés inquiets de l’évolution du leader bureautique vers le service. Ses recettes : mobilité, promotion et féminisation.

Passionné de rugby, Jacques Guers, le P-DG de Xerox, n’a eu que quelques centaines de mètres à faire pour aller supporter les Bleus au Stade de France : « Ce sport incarne pour moi la volonté mais aussi le sens du collectif », explique ce patron, dont le tout nouveau bureau de Saint-Denis est déjà décoré de maillots de joueurs célèbres. Des qualités dont il a dû faire preuve au cours des dernières années pour maintenir dans la course la filiale française. Il lui a fallu également une bonne dose d’optimisme pour garder le moral quand, à l’orée des années 2000, la maison mère américaine était accusée de malversations financières et que le cours de Bourse s’effondrait. « J’ai été nommé président au pire moment », reconnaît-il.

En 2000, Jacques Guers débarque tout juste de Stockholm, où il a dirigé la filiale suédoise. Dans l’Hexagone, les restructurations l’attendent. Mais les cinq plans sociaux qu’il a menés depuis son arrivée ont privilégié départs volontaires et transactions, en évitant quasiment les licenciements secs. Le service client a été l’un des plus touchés. Xerox France ne compte plus dans ses rangs que 1 000 techniciens chargés de l’après-vente, contre 2 500 il y a dix ans. Ces réorganisations ont profité au réseau des concessionnaires, en plein développement. Composées à 95 % d’anciens de Xerox, ces 150 concessions ont un statut indépendant à l’égard de la maison mère et leurs équipes ne sont pas comptabilisées dans les effectifs.

Pour survivre, Xerox a dû innover. Uniquement dédié à la vente de photocopieurs il y a encore cinq ans, l’ancien leader de l’équipement bureautique fait aujourd’hui la part belle aux services et au conseil, qui représentent déjà un bon quart de son activité. À charge pour Jacques Guers d’accompagner l’évolution des métiers des collaborateurs de Xerox et d’injecter du sang neuf.

1 Tranquilliser les troupes

Jacques Guers espère que le plan social en cours – 170 personnes concernées en 2007 – sera le dernier. Un optimisme que les syndicats ne partagent pas : « On a mangé notre pain blanc. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à faire illusion. L’entreprise s’est installée au printemps dernier dans ces locaux flambant neufs, à la Plaine-Saint-Denis. Mais nous n’en sommes que locataires ! Xerox n’a plus d’actifs immobiliers en France… Qu’est-ce qui peut encore empêcher la direction américaine de fermer le site si elle le désire ? » s’inquiète un représentant syndical.

« En dix ans, les effectifs de Xerox France ont été divisés par deux, et ce n’est pas terminé », se lamente Jean Capel, de la CGT. Présent depuis vingt-sept ans dans l’entreprise, il fustige le recours au L. 122-12, qui permet en toute légalité de transférer des salariés de la maison mère vers des filiales au statut social moins confortable. En ligne de mire, Xerox Global Services (XGS), dédié aux services, qui a le vent en poupe. « Certains salariés se voient proposer un contrat dans cette entité qui compte aujourd’hui près de 800 personnes, contre une poignée il y a encore cinq ans. Sauf que la convention collective en vigueur, celle du Syntec, est moins intéressante », pointe le syndicaliste.

Pour Jacques Guers, qui se targue de plaider l’exception française auprès des Américains, ce procès est particulièrement injuste : « Il y a une véritable phobie de l’externalisation. Depuis des années, j’entends dire que nous allons nous séparer des techniciens. Or la France est le seul pays d’Europe où Xerox ne les a pas externalisés. Je ne dis pas que nous n’y avons pas pensé, mais l’idée a été abandonnée car nous y aurions perdu en qualité client. »

Autre motif d’inquiétude, la mise en place, en 2008, du progiciel SAP. Même si Jacques Guers s’en défend, beaucoup y voient l’occasion d’une énième réorganisation, avec, à la clé, un nouveau plan social. Quant à la négociation sur la gestion prévisionnelle des compétences, engagée il y a plus d’un an, elle n’est pas de nature à rassurer les syndicats : « On n’arrête pas de nous rebattre les oreilles de l’impossibilité de prévoir le business à long terme, et là on nous demande d’anticiper les postes ! C’est incohérent », argue un délégué du personnel. Après plus d’un an de discussions avec les partenaires sociaux, aucune signature n’est en vue sur la GPEC.

Chez Xerox, les organisations syndicales sont jugées efficaces pour retarder les décisions douloureuses ou négocier au mieux les sorties. « La participation aux élections professionnelles s’élève à 65 %. C’est beaucoup pour une société commerciale, américaine de surcroît », assure Pierrette Foucaud, ancienne responsable des relations sociales, qui a elle-même bénéficié du dernier plan de départs volontaires. Toutes les confédérations sont représentées et entretiennent des relations étroites avec le président. Connu pour son management direct – tout le monde le tutoie à Saint-Denis –, cet ancien de l’Edhec tire une légitimité évidente de ses années passées sur le terrain. Sa plus belle victoire ? Avoir enregistré moins d’une dizaine de jours de grève dans les années de tourmente.

2 Reprofiler la pyramide des âges

Lorsque vous demandez à un salarié de Xerox depuis combien de temps il travaille dans l’entreprise, attendez-vous à une réponse à deux chiffres. En 2006, l’ancienneté moyenne chez Xerox France s’élevait à dix-huit ans et sept mois. La pyramide des âges conserve les traces de la vague de plans sociaux. Les derniers arrivés ont été les premiers à quitter l’entreprise. « Les jeunes entre 25 et 30 ans sont rares. Sur les 800 techniciens avec lesquels je bosse, la plupart ont l’âge d’être mon père », regrette ce trentenaire. Entré dans les années 2000, en prévision du bug informatique attendu, il a fait partie de la dernière grande vague de recrutements.

Conscient de la nécessité d’un rééquilibrage, Jacques Guers cherche à injecter du sang neuf : « Nous recrutons en moyenne 350 personnes par an, essentiellement des juniors issus d’écoles de commerce. » Mais, dans leur grande majorité, ces recrues rejoignent le réseau de concessionnaires et ne redynamisent pas la maison mère où la moyenne d’âge avoisine les 45 ans. « Les gens ont pris l’habitude d’attendre l’âge de la préretraite pour bénéficier du pactole », assure un ancien collaborateur. Jacques Guers reconnaît avoir fait la part belle aux PRTE, ces préretraites maison totalement financées par Xerox. Pour pallier le risque de sclérose, la solution passe par la mobilité interne. Xerox entend faciliter les passerelles entre les métiers, notamment pour les quadras. « Nous encourageons les “cross fonctionnalité”, c’est-à-dire les évolutions transversales qui permettent par exemple de passer de la logistique aux ressources humaines, ou de l’informatique au marketing… », précise Stéphane Bonnaud. Avec plus de vingt et un ans de maison à son actif, ce quadra vient d’endosser le costume de responsable des relations sociales après avoir occupé des fonctions dans le marketing. « Je suis rentré à 23 ans comme attaché commercial. À 28 ans, on m’a nommé patron d’une agence en Basse-Normandie, avant de me confier un réseau de concessionnaires puis le marketing national. »

En témoigne également le parcours de Romuald Leman, vingt ans de maison. Ce technicien de 43 ans se prépare à quitter le service client pour rejoindre le commercial, plus porteur. Mais, culture américaine oblige, pour bouger, il faut le faire savoir. « Si vous ne levez pas le doigt, il ne se passera rien. En revanche, si vous voulez avancer, on mettra des formations, du coaching et bien d’autres outils à votre disposition », assure-t-il.

3 Favoriser la promotion interne

À l’instar d’Anne Mulcahy, la CEO du groupe, Jacques Guers est entré chez Xerox comme simple attaché commercial dans les années 80, puis a gravi peu à peu les échelons. Xerox a instauré un véritable « process ressources humaines et développement », qui détaille la progression normale d’un collaborateur. « C’est comme un ascenseur qui, à chaque étage, serait balisé par des validations de compétences, avec passage devant un jury. C’est sans surprise, cela garantit un minimum d’équité et facilite les entretiens d’évaluation », assure un chef de division. « Sur le papier, c’est bien. Mais, dans les faits, c’est un processus extrêmement long, qui vous empêche de progresser si vous n’avez pas passé au minimum trois années à un poste », regrette toutefois un collaborateur.

Marque de fabrique de Xerox, ces promotions internes sont largement adossées à la formation. Jacques Guers y consacre entre 6 et 7 % de la masse salariale de l’entreprise : « Même durant les années les plus noires, nous avons veillé à ne pas descendre au-dessous de 6 % et à maintenir ce budget qui, en 2007, représente 6 millions d’euros », dit-il. Chaque année, plus de 20 000 journées stagiaires sont dispensées. Depuis 2002, chaque salarié bénéficie également d’un accès à l’e-learning, dans les domaines technique, comptable, mais aussi linguistique. Sur le Web interne sont aussi offertes des aides au management, à la gestion du temps… Lancé en 2006, le DIF, en revanche, ne fait pas recette. « Nous tenions à ce qu’il s’inscrive dans un parcours en lien avec l’univers professionnel », assure Jacques Guers. En d’autres termes, pas question de développement personnel… Une position jugée trop rigide par les syndicats qui, du coup, n’ont pas signé d’accord.

Reste que Xerox est réputé pour son école de vente. « À peine ai-je été recruté que Xerox m’a proposé un programme intensif de trois mois au cour duquel j’ai acquis les ressorts de la vente. Encore aujourd’hui, j’utilise ces méthodes d’une efficacité redoutable », se souvient Jérôme, parti chez un opérateur téléphonique. Constamment réactualisés, ces modules top secret passent désormais par des certifications établies au niveau européen.

4 Féminiser l’entreprise

À 39 ans, Isabelle Negro est reconnaissante à Xerox de n’avoir jamais freiné sa progression, même lorsqu’elle a accouché : « En 1999, quand on m’a proposé de devenir responsable intégration vente, j’étais au début de ma grossesse. La direction a réservé le poste et a attendu mon retour de congé maternité. Je ne suis pas sûre que beaucoup d’entreprises l’auraient fait… » Entrée chez Xerox il y a seize ans en tant qu’ingénieure commerciale, cette mère de deux enfants compte parmi les quatre responsables RH du siège. Jacques Guers met un point d’honneur à encourager les carrières féminines. En 2004, il donne carte blanche à Ghislaine Auxoux, la DRH, seule femme sur les sept membres du comité exécutif, qui crée le club X’Elles pour promouvoir les carrières des femmes dans l’entreprise. « Cette volonté était portée par Anne Mulcahy aux États-Unis. Mais il fallait l’adapter aux spécificités françaises. Par exemple, sensibiliser les managers pour qu’ils ne fixent plus les réunions après 18 heures », note Jacques Guers. Si la gent féminine représente les trois quarts des salariés dans les services administratifs, cette part chute à 2,5 % chez les techniciens. « Nous pâtissons de notre environnement technologique. Seuls 20 % des CV que nous recevons proviennent de femmes. Nous souhaitons porter cette proportion à 50 % », assure-t-il. Plus un forum de recrutement ne se tient sans la présence d’une salariée qui vient témoigner des bienfaits de la méthode Xerox. Du moins pour la place que l’entreprise réserve aux femmes…

Repères

Présent dans 160 pays, Xerox compte 53 700 salariés dans le monde. Aujourd’hui, Xerox France emploie environ 4 100 collaborateurs (2 700 chez Xerox SAS et XGS et 1 400 dans les concessions). Après avoir frôlé la faillite en 2000, l’entreprise a rebondi, affichant en 2006 un chiffre d’affaires de 16 milliards de dollars (11,5) milliards d’euros). Xerox France en réalise 1/16, avec 731 millions d’euros, pour 30 % dans les ventes et 70 % dans les services, en plein essor.

1948

Création de Xerox aux États-Unis.

1960

Ouverture de Xerox en France.

1983

Xerox lance son réseau de concessionnaires en France.

1998

Premier plan social en France.

Effectifs Xerox France (hors concessions)
ENTRETIEN AVEC JACQUES GUERS, PRÉSIDENT DE XEROX FRANCE DEPUIS SEPT ANS
“Plutôt que d’apprendre un nouveau métier ou de bouger, les seniors préfèrent la préretraite”

Xerox effectue un virage vers les services. Comment accompagnez-vous ce changement ?

La production et l’impression de documents restent notre métier de base mais, aujourd’hui, nous nous orientons vers les services. Par exemple, pour Bouygues Telecom, nous centralisons et numérisons les courriers des clients. Nous assurons aussi l’édition et l’envoi des factures EDF. Cette partie conseil représente désormais 15 % de notre chiffre d’affaires et exige des compétences nouvelles. Pour les trouver, une solution consistait à acheter des entreprises, mais nous en sommes restés à des acquisitions mineures. Nous avons surtout privilégié la formation interne. Enfin, nous avons recruté des profils issus du consulting capables de conduire des projets, en avant et en après-vente.

Comment gérez-vous le vieillissement du personnel ?

Quand je suis entré dans l’entreprise en 1980, le turnover de la force de vente frôlait 30 %. Aujourd’hui, il ne dépasse pas 10 %. Entre vendre un simple photocopieur et interfacer des clients sur un processus complexe, les perspectives de carrière sont plus stimulantes. On reste plus longtemps dans l’entreprise. Cette stabilité est bénéfique. Car la confiance des clients s’acquiert avec le temps. Chez Xerox France, les techniciens après-vente, qui ont en moyenne 46 ans, avec un turnover autour de zéro, constituent la population la plus âgée. Progrès technologique aidant, le besoin d’intervention a beaucoup baissé. Pour cette catégorie de salariés, les plans de préretraite proposés connaissent un grand succès : près de 98 % sont candidats au départ. Pour les collaborateurs de plus de 55 ans, nous garantissons près de 70 % du salaire jusqu’à l’âge de la retraite. Mais, et j’insiste sur ce point, sans que cela coûte un centime à l’État.

Pourquoi ne pas les redéployer vers d’autres métiers ?

Nous le faisons pour une minorité, quand les reclassements sont possibles. Dans le dernier plan social, outre les 240 postes supprimés, nous avons réalisé plus de 100 reclassements ou mutations vers d’autres fonctions ou zones géographiques. Mais, entre bénéficier d’un système de préretraite avantageux, apprendre un nouveau métier ou bouger, l’expérience prouve que les seniors préfèrent la préretraite. L’adoption, d’ici à fin 2008, d’un programme SAP nous amène à envisager le redéploiement de nos effectifs. La négociation sur la GPEC engagée fin 2006 va dans ce sens. Même si elle n’a pas encore abouti, elle présente l’avantage de nous offrir un espace de discussion avec les partenaires sociaux.

Comment jugez-vous le climat social ?

Nous avons géré une cascade de plans sociaux, en 2001, 2003, 2005…, où nous avons surtout travaillé à la survie de l’entreprise. Aujourd’hui, il s’agit d’envisager l’avenir de façon positive. Les syndicats jouent leur rôle et, parfois, nos relations sont conflictuelles. En France, le dialogue social doit arriver à un autre niveau de maturité. J’ai passé quatre ans en Suède où j’ai pu apprécier des relations sociales plus abouties.

Est-ce pour cela que vous avez rejoint la commission dialogue social du Medef ?

Il y a une vraie spécificité française. Les partenaires sociaux peuvent être « bloquants » et peu enclins à accompagner le changement. Ils sont souvent sur la défensive. En Suède, où le taux de syndicalisation atteint 85 %, les organisations sont de véritables partenaires. La France peut suivre ce chemin. Même si je ne crois pas beaucoup aux seules vertus de la loi, il faut forcer le trait. Il me semble que les mentalités évoluent pour dépasser les crispations habituelles.

Faut-il légiférer sur le contrat de travail ?

Chez Xerox, la plupart des recrutements se font en CDI. Parfois, nous avons recours à l’intérim et aux CDD. À surprotéger le CDI, des blocages apparaissent. Le CDI à tout prix peut être dissuasif. Notre direction américaine a déjà refusé des acquisitions en France tant l’Hexagone apparaît coûteux sur le plan de la sauvegarde de l’emploi. Pour les Américains, le juge n’est jamais loin. Quant à savoir si le contrat unique résoudra le problème, les contours actuels sont bien trop flous pour se prononcer.

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Fanny Guinochet

JACQUES GUERS

52 ans.

1980

Diplômé de l’Edhec, entre chez Xerox comme vendeur.

1986-1991

Responsable de région (Lyon-Lille-Paris).

1992-1994

Entre au comité exécutif de Xerox France, chargé du service client.

1995-1999

Prend la direction de Xerox Suède à Stockholm.

2000

Président de Xerox France.

Auteur

  • Fanny Guinochet