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Politique sociale

La France plus timide que d’autres dans la réforme de l’Université

Politique sociale | publié le : 01.10.2007 | Anne-Cécile Geoffroy, Thomas Schnee, Joël Legendre, Éric Jozsef

L’Hexagone vient de réformer son Université. L’Italie, l’Allemagne et le Japon l’ont fait avant elle. Avec plus ou moins de succès. Liaisons sociales magazine passe en revue, dans ces pays, la performance des facultés, leur financement et leurs liens avec les entreprises.

Dans les couloirs du ministère de l’Enseignement supérieur, le syndrome Devaquet rôde. Jugée prioritaire par Nicolas Sarkozy et concoctée tambour battant par la ministre Valérie Pécresse au cœur de l’été, la loi « relative aux libertés des universités » est très critiquée par les syndicats étudiants. L’Unef, en tête, la juge « mauvaise et dangereuse », et annonce une « rentrée offensive ». Le texte n’est en fait qu’un premier socle de mesures pour aider l’Université à retrouver son aura. Derrière les histoires de gouvernance et d’autonomie, c’est la compétitivité des établissements et leur capacité à mieux insérer leurs étudiants qui est en jeu. En Allemagne, au Japon et en Italie, ces réformes sont allées plus loin, en abordant de front des tabous comme la sélection à l’entrée et l’augmentation des droits d’inscription. Des expériences dont pourra s’inspirer l’université française pour combattre ses démons.

Lutter contre l’échec des étudiants. Avec 90 000 étudiants sortis sans diplôme de l’enseignement supérieur chaque année, les performances de l’université française ne sont pas glorieuses. De là à penser que la sélection des étudiants s’organise par l’échec, il n’y a qu’un pas. Un sujet soigneusement écarté du débat afin de ne donner aucun prétexte aux étudiants pour descendre dans la rue. Les universités ont, du coup, hérité, avec la loi, d’une nouvelle mission : l’orientation et la préparation à l’insertion professionnelle des diplômés. « C’est un vrai défi, souligne Jean-Pierre Finance, premier vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU). Nous devons conduire au succès des étudiants que l’on ne sélectionne pas. » Concrètement, le texte promet des services dédiés dans toutes les universités pour mieux orienter les lycéens en amont et les étudiants en aval. Mais il n’en dit pas plus. « Sans moyen supplémentaire, cette mission restera un vœu pieux, prévient Jean Benkhelil, président de l’université de Perpignan. Pour aider les étudiants dans leur orientation et leur projet professionnel, nous allons devoir renforcer les équipes pédagogiques. » Les universités ne partent pas non plus de zéro. Certaines, encore trop rares, ont mis en place des dispositifs performants d’aide à l’orientation et à l’insertion professionnelles. C’est le cas à Poitiers où le Safire, un service universitaire commun chargé entre autres de l’insertion des étudiants et des relations avec les entreprises, a été ouvert en 1995. « Pour nous cette mission est acquise depuis longtemps. Mais, sans la volonté politique forte de la présidence, cela n’aurait pas pu fonctionner », souligne Bernard Chauveau, directeur du service.

Pour arrondir leurs fins de mois, les universités françaises pourront désormais lever des fonds auprès des entreprises

Renforcer les liens avec les entreprises. Il est loin le temps où l’Université était fermée au monde économique. Reste que les relations universités-entreprises sont encore loin d’être satisfaisantes. Pour y remédier, la loi votée l’été dernier n’innove guère, en dehors de la création de fondations partenariales. À Lyon, par exemple, l’université Claude-Bernard vient de créer sa fondation avec Sanofi Pasteur et la Banque populaire Loire et Lyonnais. Elle est seule pour le moment. Elle réaffirme la présence de personnalités du monde économique au sein des conseils d’administration mais, étrangement, ne les associe plus à l’élection du président, comme avant. « Les nouveaux conseils d’administration travailleront davantage sur la stratégie de l’université. Ce sera plus motivant surtout : le président de l’université pourra désormais prendre des initiatives, discuter d’égal à égal avec un chef d’entreprise. Nous allons retrouver notre crédibilité », assure Jean-Pierre Finance, à la CPU. Certaines entreprises ou branches professionnelles ont su déjà établir de vraies relations de travail autour des licences professionnelles ou de certains masters professionnels, comme l’Association française des banques. Des opérations de partenariat comme Phénix, organisée par le Medef avec l’université de Marne-la-Vallée pour favoriser le recrutement de diplômés en sciences humaines par les grandes entreprises, ont également vu le jour cette année et sont autant de signes d’ouverture de part et d’autre.

Exister à l’international. Le classement des meilleures universités mondiales réalisé depuis 2003 par des chercheurs de l’université Jiao Tong de Shanghai aura eu un mérite : piquer au vif les établissements français et leur faire prendre conscience de leur modeste place sur la scène internationale ! Depuis, elles se sont démenées comme des diablesses pour remonter dans les rangs. Recrutement d’étudiants étrangers ciblés via les forums et les salons organisés par CampusFrance, l’organisme de promotion des universités et des écoles françaises à l’étranger, multiplication d’articles de recherche publiés dans les revues internationales les universités ont fait feu de tout bois. Surtout, elles ont entamé des opérations de rapprochement au sein de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) qui associent non seulement les différentes universités d’une même ville ou d’une même région, mais aussi les écoles d’ingénieurs et les centres de recherche. À Toulouse, les trois universités et les trois écoles d’ingénieurs (Supaéro, l’Insa et l’INPT) avancent comme un seul homme. Les trois universités de Marseille envisagent aussi leur fusion pour 2009. « Nous atteindrons une taille inconnue en France avec plus de 70 000 étudiants, 200 unités de recherche et 800 millions d’euros de budget, détaille Philippe Tchamitchian, président de l’université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III). Il ne nous manquait plus que l’autonomie de gestion pour mener à bien ce projet. »

Enrayer le sous-financement de l’Université. Les universités françaises sont pauvres ! En leur consacrant 6 700 euros par an et par étudiant (contre 10 000 euros pour un lycéen), l’État ne donne plus depuis longtemps aux universités les moyens de leurs ambitions. « Pour les faire basculer dans le régime de l’autonomie, il va falloir mettre de l’argent sur la table. La loi seule ne suffira pas ! prévient Jean-Pierre Finance à la CPU. Nous avons besoin de 5 milliards d’euros. » Cette année, le gouvernement n’a promis qu’une rallonge de 1,8 milliard d’euros en 2008 (sur un budget de 22 milliards en 2007) et aucune suppression de poste. « Cet argent ira nourrir la dotation globale de fonctionnement pour nous permettre de financer le monitorat étudiant auquel tient beaucoup Valérie Pécresse », avance Jean Benkhelil, à Perpignan. La ministre a aussi annoncé la revalorisation de 8 % de l’allocation de recherche pour les doctorants.

Afin d’arrondir leurs fins de mois, les universités pourront désormais engager des campagnes de collecte de fonds auprès des entreprises. « Nous espérons récolter 8 à 10 millions d’euros en quatre ans », explique Gérard Posa, directeur de la fondation de l’université Claude-Bernard. « Cette nouvelle disposition intéresse toutes les universités. Mais il est illusoire de penser que les fondations vont répondre au sous-financement de l’État », pointe cependant Yves Lichtenberger, président du Pres de Paris-Est. En attendant, Valérie Pécresse n’a pas voulu toucher aux droits d’inscription pour gonfler les budgets des établissements en faisant payer les étudiants comme en Allemagne. Le sujet, trop explosif, aurait mis en échec l’autonomie. Reste à savoir si cette précaution suffira à calmer les esprits pour cette rentrée universitaire.

EN ITALIE
Sélection à l’entrée

Seules quelques facultés (médecine, vétérinaire, pharmacie, architecture) ont légalement le droit d’instituer des examens à l’entrée. En réalité, les tests d’admission sont pratiqués dans d’autres disciplines au nom de « la défense de standards de qualité ». Généralement payants, ils peuvent atteindre 100 euros, ce qui assure un financement supplémentaire aux institutions. Cette année, 70 000 bacheliers se sont présentés aux concours d’inscription en première année de médecine où seulement 7 000 places sont disponibles.

EN ALLEMAGNE
“Nous sommes libres de gérer notre budget”

Uwe Jens Nagel, vice-président de l’université Humboldt de Berlin.

Comment se déclinent les réformes initiées en 1998 puis en 2002 ?

Les universités dépendant des Länder, il n’y a pas de réforme homogène même si la tendance est la même. Le premier front a été l’adaptation au LMD, la réforme des cursus universitaires qui est déjà bien avancée. Le second est l’autonomisation des établissements. De plus en plus d’universités signent un contrat d’objectifs avec leur région et sont libres de gérer leur budget. Je n’ai plus besoin de négocier avec l’administration pour engager une assistante. Nous pratiquons la même politique en interne avec nos différentes facultés. Les budgets n’ont pas grossi, mais nous sommes libres de définir notre profil et de tisser des coopérations internationales comme bon nous semble.

En quoi consiste le projet d’université d’élite dont fait partie votre établissement ?

Les 10 universités d’élite du pays se partageront 1,9 milliard d’euros sur trois ans. Cela ne change pas vraiment la donne, mais nous a conduits à nous interroger pour la première fois sur ce qu’est une bonne université, un bon enseignement, sur comment les universités peuvent différencier leur offre, améliorer leur présence à l’international, etc. C’est positif.

EN ALLEMAGNE
Les gros QI paient moins

Jusqu’au milieu des années 90, l’inscription en fac dépendait du lieu d’habitation et des places disponibles. Désormais, ce qui compte, c’est la note au bac, voire le QI ! Les universités de Freiburg et de Constance offrent un an et demi d’études gratuites (1 500 euros d’économies) aux étudiants dont le quotient intellectuel dépasse 130 ! À Tübingen, les bacheliers dont la moyenne au bac est d’au moins 1,2 (la meilleure note étant 1, la moins bonne 6) ne paient rien pendant un an.

AU JAPON
L’université de Tokyo drague les entreprises étrangères

Pour le ministère de la Recherche et de la Science japonais, les relations avec les entreprises ne doivent plus être le talon d’Achille des universités. Pour y parvenir, l’université de Tokyo s’est dotée d’un service dédié : la Division of University Corporate Relations. Reste que, pour doper les relations encore trop timides avec les sociétés étrangères, une équipe de 14 personnes, baptisée Proprius 21, se charge d’établir des liens. Concrètement, l’université trouve les scientifiques qui pourraient travailler sur le programme de recherche de l’entreprise, assure le suivi et, cerise sur le gâteau, met des locaux à disposition.

EN ITALIE
“L’autonomie n’a pas donné de moyens”

Daniele Giordano est responsable national de l’Union des universitaires, liée à la CGIL, le principal syndicat transalpin.

Quand a été mise en pratique l’autonomie des universités ?

Elle est reconnue par la Constitution de 1948. Elle a été renforcée au cours des vingt dernières années, à travers une série de lois adoptées par des gouvernements de centre gauche. Mais elle n’est pas correctement appliquée. On est passé d’une gestion politique à une gestion académique avec les mêmes pesanteurs.

L’autonomie n’a donc rien amélioré ?

Elle a permis une plus grande flexibilité des enseignements. Mais elle a aussi provoqué la multiplication des tests d’examens payants à l’entrée ou encore de fortes disparités en termes de droits d’inscription entre le sud et le nord du pays. Surtout, elle n’a pas résolu la question des ressources.

Le recours à des financements extérieurs est pourtant prévu.

Oui, mais cela ne suffit pas. Le tissu industriel italien est avant tout composé de PME qui disposent de peu de moyens pour la recherche. Les collaborations avec les universités sont ainsi souvent liées aux nécessités des sociétés sur le très court terme. Au bout du compte, le problème n’est pas d’être pour ou contre l’autonomie. La question est de savoir si l’on veut véritablement mettre de l’argent pour l’université.

AU JAPON
À la chasse aux étudiants

Le Japon a du mal à remplir ses facs. En cause, le déclin démographique du pays. Pour enrayer la faillite de ses universités et leur fermeture, le gouvernement de l’ex-Premier ministre Junichiro Koizumi a institué en 2003 un paquet de réformes structurelles. Une loi transforme les universités d’État en établissements autonomes de droit public. À peine créées, les nouvelles institutions universitaires nationales (IUN), se sont lancées dans la chasse aux étudiants. Avec en ligne de mire les étudiants étrangers et ceux spécialisés dans les domaines techniques.

EN ALLEMAGNE
Une soif d’international

Pour attirer les meilleurs professeurs, les meilleurs élèves et les meilleurs sponsors, rien de tel qu’une bonne renommée internationale. Or, dans les classements internationaux, les universités allemandes n’occupent pas le haut du tableau : « Les échanges d’étudiants marchent bien. 14 % de nos étudiants sont étrangers. Pour le reste, nous avons une représentation à New York et une à Moscou. Nous comptons en ouvrir une à Bruxelles et, à terme, peut-être en Chine et en Inde », explique le Pr Nagel, de l’université Humboldt de Berlin. Les Länder ont décidé de mieux vendre leurs universités à l’étranger et ont lancé Gate Germany en 2001. L’organisme gère la présence et l’image de 113 universités allemandes sur la scène internationale (salons, publications) ou recrute étudiants et enseignants étrangers selon les besoins.

EN ITALIE
Une autonomie financière

Les universités italiennes peuvent accéder aux financements privés (donations, consultations, recherches) sans aucune limite. Ceux-ci représentent en moyenne 12 à 13 % du budget des universités avec des pointes à 20 % pour certains instituts polytechniques. La capacité à attirer de l’argent privé est un facteur pris en compte par le ministère de l’Université. En clair, plus une faculté est capable d’obtenir des ressources extérieures, plus elle bénéficie du financement public. Chaque université peut fixer librement le montant des droits d’inscription à condition que la somme totale ne dépasse pas 20 % du budget alloué par l’État. Malgré ce dispositif, les universités italiennes souffrent en général d’un manque de ressources, et certaines connaissent un grave déficit à la suite d’une mauvaise gestion.

AU JAPON
“La formation devient hyperspécialisée”

Yuko Harayama, professeur à l’université nationale de Tohoku, membre du Conseil scientifique et technologique auprès du Premier ministre japonais.

Qu’ont obtenu les universités depuis la réforme de 2004 ?

Elles ont obtenu leur autonomie de gestion, ce qui les a obligées à s’ouvrir sur le monde extérieur. Les entreprises japonaises ciblent les filières les plus intéressantes pour elles et préfèrent embaucher des étudiants de masters pour les former ensuite selon leur modèle interne. Une hyperspécialisation des formations se met en place, encouragée par les entreprises.

Autre conséquence, l’insertion professionnelle des postdoctorants est plus difficile car ils sont moins recherchés par les recruteurs.

Quelles solutions sont proposées à ces diplômés ?

Les universités apportent parfois une formation technologique complémentaire, ou encore des formations plus générales à l’entreprise et à son fonctionnement pour lui permettre de s’adapter aux attentes.

EN ALLEMAGNE
Les étudiants passent à la caisse

Les universités allemandes doivent former mieux sans dépenser plus ! Leur budget global est passé de 30,6 milliards d’euros en 2003 à 31 milliards en 2006. Dès cette année, il augmentera de 1,2 milliard d’euros par an pendant trois ans. En échange de cette rallonge budgétaire, les universités devront créer 90 000 places d’études. Pour améliorer l’ordinaire, les facs peuvent également percevoir des droits d’inscription depuis l’an dernier. De Munich à Hambourg, la plupart des universités ont introduit des frais d’inscription. À Hambourg, 40 000 étudiants paient jusqu’à 500 euros par semestre. Ce qui doit rapporter 12,5 millions d’euros à l’université. En Bavière, le résultat de la « collecte » du dernier semestre se monte, lui, à 74 millions d’euros.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Thomas Schnee, Joël Legendre, Éric Jozsef