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Politique sociale

Comment les patrons traquent les faux malades

Politique sociale | publié le : 01.10.2007 | Nadia Salem

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La durée des arrêts de travail selon l’âge

Crédit photo Nadia Salem

Pour endiguer l’absentéisme, les entreprises recourent de plus en plus à la contre-visite médicale. La méthode ne fait pas l’unanimité, et ne les dédouane pas d’une politique de prévention. Mais fait le bonheur des prestataires.

Des chiffres à tomber malade. En 2006, 237 millions de journées d’arrêts de travail ont été indemnisées en France. Soit la coquette somme de 5,3 milliards d’euros versés par la Caisse nationale d’assurance maladie. Verdict des limiers de la Sécu : 6 % de ces arrêts seraient injustifiés. Un taux corroboré par les contrôleurs privés qui recensent entre 5 et 8 % de fraudes avérées. Pas de quoi hurler au scandale ni taxer tous les salariés absents de malades imaginaires. Néanmoins, l’ardoise des faux arrêts se monterait à 420 millions d’euros. Sans compter que l’absentéisme n’est pas sans conséquence pour l’entreprise : heures supplémentaires, désorganisation des services, frais de recrutement et de formation d’un éventuel remplaçant, gestion du retour… Autant de complications qui poussent les employeurs à traquer le faux souffrant.

« Ce qui pénalise le plus les entreprises, c’est la fréquence des arrêts de travail », assure Pascal Gallois, consultant en relations sociales, associé de Pactes Conseil et auteur de l’ouvrage l’Absentéisme : comprendre et agir (Éd. Liaisons, 2005). Selon lui, l’impact est d’abord social et humain, financier ensuite. Il reste que, dans une enquête réalisée par l’ANDCP en 2005, 43 % des entreprises interrogées considèrent le coût comme la principale répercussion de l’absentéisme. Ce qui les conduit parfois à prendre des initiatives pour le moins étonnantes. Ainsi, en octobre 2002, le DRH du site Valeo de Nevers a envoyé une lettre à tous les médecins de la Nièvre afin d’améliorer la situation « en matière d’absentéisme ». Il leur demandait tout simplement de partager leurs analyses avec le médecin du travail « dans le cadre des règles éthiques ». Une initiative que la CFDT et la CGT ont condamnée, affirmant que de nombreux médecins ont été « choqués par ce courrier ». De la même manière, chez PSA Peugeot Citroën, à Mulhouse, la CGT dénonçait récemment l’envoi de lettres « culpabilisantes » aux salariés en congé maladie leur demandant de « modifier [leur] comportement de façon notable et durable ».

La contre-visite, un marché florissant. Convaincues, pour la plupart, que les arrêts maladie bidon sont à l’origine du mal, les entreprises ont multiplié ces dernières années les recours à la contre-visite médicale. La loi du 19 janvier 1978, dite loi de mensualisation, autorise en effet les employeurs qui versent le complément de rémunération du salarié absent à procéder à une contre-visite médicale si l’arrêt de travail d’un de leurs salariés ne leur paraît pas justifié. En fonction du résultat, le patron est en droit d’interrompre les paiements de sa part d’indemnités maladie et la Sécurité sociale de suspendre les indemnités journalières. Si la pratique dispose d’un cadre juridique depuis près de trente ans, elle n’a gagné la confiance des entreprises que récemment. Mais toutes n’en usent pas de la même façon. Directrice des affaires sociales d’Accenture, Élodie Roueil indique n’avoir eu recours à la contre-visite que deux fois au cours des deux dernières années « parce qu’il y avait un gros doute ». Mais d’autres la généralisent. Il y a un an, alors qu’il connaissait une poussée d’absentéisme à 6 %, le DRH d’un grand groupe parapharmaceutique a mis en place une politique de contre-visite systématique. Au bout de six mois, ce taux était redescendu à 3 %.

Une chose est sûre, depuis le début des années 2000, les spécialistes de la contre-visite médicale prospèrent. Parmi la dizaine de sociétés qui se partagent ce marché florissant (+ 10 % en 2005), Securex (plus de 4 millions d’euros de chiffre d’affaires) est la plus ancienne avec ses trente-cinq ans d’existence. Leader du secteur, elle réalise quelque 40 000 contre-visites chaque année. Médica Europe (plus de 1 million d’euros de chiffre d’affaires), le numéro deux, en assure 12 000. Fort d’une vingtaine d’années d’expérience en la matière, Medicat-Partner (800 000 euros de chiffre d’affaires) compte à son actif 8 000 contre-visites par an. Poids plume sur cette niche, Synéance, créé il y a deux ans, effectue déjà plus de 600 contrôles par mois.

Pour gagner des parts de marché, ces spécialistes ont adopté la même stratégie commerciale. Tout d’abord, constituer un réseau de médecins – agréés par le préfet du département – avec lesquels ils signent une convention transmise au Conseil national de l’Ordre. Il s’agit de garantir aux clients la meilleure couverture possible du territoire et des interventions rapides : en vingt-quatre heures dans les grandes villes, trois jours dans les zones rurales, en semaine, les week-ends et jours fériés. Securex affiche un réseau de 1 800 médecins, Medicat-Partner 2 000, Médica Europe 4 500…

Seconde arme commerciale : le tarif de la contre-visite. Sur ce terrain, la guerre des prix fait rage. Environ 100 euros chez Medicat-Partner, entre 100 et 120 chez Securex, de 80 à 100 pour Synéance, sans compter les nouveaux venus qui bradent parfois leurs services ou exonèrent les entreprises d’adhésion annuelle. « Lorsque nous facturons 105 euros la contre-visite à une entreprise, 60 sont reversés au médecin et 45 à la société, indique Michèle Laporte, gérante de Medicat-Partner. Pour que l’activité soit rentable, il faut donc atteindre un certain seuil. »

100 euros la contre-visite chez Medicat-Partner, entre 100 et 120 chez Securex, 80 à 100 pour Synéance, la guerre des prix fait rage entre les prestataires, sans compter ceux qui bradent leurs services

Pour Marie-Stéphane Lelaurin, directrice de Securex, « la contre-visite ne consiste en aucun cas à piéger les salariés mais à rétablir des règles du jeu. D’ailleurs, notre travail n’a pas pour nature de remettre en cause ce qui a motivé le choix du médecin qui a prescrit un arrêt. Il est de vérifier qu’au jour de la visite du médecin contrôleur, l’arrêt est encore justifié. C’est pourquoi nous n’avons pas le droit de dire à un employeur que celui-ci est injustifié mais qu’il n’est plus justifié ». Le médecin contrôleur exerce un contrôle inopiné dans les quarante-huit heures puis il adresse une conclusion administrative à l’employeur, en déclarant le salarié apte ou inapte à reprendre le travail.

Éric Debieuvre, médecin généraliste lillois, est l’un de ces pères Fouettard. À son planning habituel de consultations se greffent des missions que lui confie Securex. Depuis vingt-cinq ans, il arrondit ainsi ses fins de mois avec des contre-visites rémunérées 45 euros, le double d’une consultation, auxquels s’ajoutent les frais kilométriques. « J’ai commencé à faire de la contre-visite au retour de mon service militaire. J’avais besoin de gagner de l’argent pour m’installer en médecine générale. La contre-visite a été un tremplin pour moi », raconte le généraliste. Aujourd’hui, cette activité représente 10 % de son chiffre d’affaires total.

La Sécu s’y est mise aussi. Il n’est pas rare que ce praticien trouve porte close lors de ses visites surprises. Dans la région, un quart des salariés convalescents sont absents de chez eux en dehors des heures de sortie autorisées, confirme-t-on chez Securex. Des résultats qui ressortent des 4 767 contrôles réalisés en 2005. Et, quand les portes s’ouvrent, l’accueil n’est pas toujours des plus cordiaux. « Voir un médecin envoyé par votre entreprise débarquer chez vous à l’improviste, ce n’est pas très agréable. Où est la confiance ? » s’interroge Mireille, technico-commerciale au sein d’une filiale d’un grand groupe électrique basée dans l’est de la France. Sans compter que la Sécurité sociale s’y est mise aussi. Depuis 2005, elle a renforcé les contrôles (voir encadré) et l’arrêt peut être déclaré injustifié dès lors que la personne est absente en dehors des horaires de sortie ou encore si l’adresse est erronée. Ainsi, une mère qui avait accompagné sa fille de 4 ans à l’école en début d’après-midi s’est vu retirer ses indemnités journalières. Idem pour un assuré qui était en retard de quelques minutes et avait immédiatement appelé la caisse pour se justifier. Selon Éric Debieuvre, environ 10 % des arrêts de travail soumis à contrôle ne sont pas médicalement justifiés. Selon un sondage BVA-l’Express de décembre 2006, seuls 2 % des salariés interrogés avouaient avoir déjà pris un arrêt maladie « pas vraiment justifié ».

Mieux vaut prévenir que punir. « Pour éviter que le personnel ressente le contrôle médical comme de la répression, il faut en faire un outil de gestion de l’absentéisme », affirme Marie-Stéphane Lelaurin. Avant l’arrêt maladie, il faut prévenir, c’est-à-dire « mesurer avec l’entreprise son taux d’absentéisme, son évolution et en analyser les causes, explique la directrice de Securex. Car, en contrôlant systématiquement, l’employeur montre qu’il n’a aucune confiance et alimente ainsi les tensions en interne. Nombre d’entreprises optent donc pour des mesures d’ordre préventif : ergonomie des postes de travail, vaccination systématique contre certains virus, lutte contre l’alcoolisme ou le tabagisme… Au sein du groupe Bouygues, les restaurants d’entreprise proposent des menus diététiques, une salle de sport est mise à disposition des salariés du siège… D’autres sociétés mettent en place de vrais dispositifs pour faire face aux pathologies lourdes engendrant des absences longues. À BNP Paribas, 35 assistantes sociales du groupe se trouvent ainsi chargées d’accompagner les salariés malades. Chronopost propose de son côté un service spécialisé dans le soutien psychologique. Disposant de douze heures de crédit de consultation par an, chaque salarié peut se confier en toute confidentialité. Une mesure qui semble porter ses fruits : entre 2003 et 2004, le taux d’absentéisme a diminué de 30 %. « Nous faisons de la prise en charge de crise sans tomber dans le psychologue pompier », explique Dominique Héraudet, de Solareh, société de conseil qui intervient auprès des salariés et des managers de Chronopost. À moyen terme, l’avenir des contrôleurs privés passe d’ailleurs par une diversification de leur activité. Et notamment par la prévention de l’absentéisme.

420 millions

c’est le coût des faux arrêts de travail en 2006

Arrêt maladie : l’arsenal répressif renforcé

Présenté en juillet 2007, le nouveau plan de redressement de l’assurance maladie (417 millions d’euros d’économies) prévoit notamment le renforcement de la « lutte contre les abus et les fraudes », avec contrôle systématique des arrêts de travail à partir de 45 jours, au lieu de 60 jusque-là.

Depuis la loi du 13 août 2004 réformant l’assurance maladie, un arsenal répressif s’applique aux patients et médecins accusés d’abuser des arrêts maladie : les premiers peuvent se voir réclamer des indemnités journalières indues, les seconds voient leurs prescriptions soumises à l’autorisation de la Sécu.

Depuis 2005, la Cnamts a accru les contrôles et instauré de nouvelles limites à la prescription des arrêts de travail. Ainsi, leur renouvellement ne peut désormais être signé que par le médecin ayant signé le premier arrêt, ou par le spécialiste consulté à la demande du médecin traitant.

L’assuré doit par ailleurs respecter les délais d’envoi de l’arrêt de travail ou de sa prolongation, la Sécurité sociale ayant dorénavant la possibilité de diviser par deux les indemnités dues pour le retard de réception. L’assuré a aussi le devoir d’avertir l’entreprise dans les délais impartis (quarante-huit heures en cas d’absence pour maladie).

Les députés avaient introduit dans la loi du 13 août 2004 une limitation des horaires de sortie autorisée à trois heures consécutives. L’assurance maladie est allée plus loin en imposant un imprimé où les horaires doivent être notifiés. La Cnamts dressait en décembre dernier un bilan relativement positif de ces contrôles « plus nombreux et plus ciblés ».

Fin septembre 2006, 443 000 contrôles d’arrêts maladie de plus de deux mois avaient été effectués, contre 385 000 en septembre 2005 et 234 000 contrôles sur les arrêts de courte durée (34 000 en 2003), soit un « résultat supérieur à l’objectif annuel » qui était de 220 000. À la clé, une baisse des IJ de 3,8 % à la fin de l’année.

Des résultats corroborés par une étude récente de la Drees consacrée aux indemnités journalières, qui constate que « cette politique semble efficace, la variable contrôle expliquant une part significative des évolutions observées par les arrêts longs et courts ».

Auteur

  • Nadia Salem