Il n’a rien oublié. Stress, culte de l’urgence, dépressions, suicides, TMS, harcèlement, licenciements… En quatre-vingt-deux minutes, le réalisateur Jean-Michel Carré passe au scanner les séquelles d’un capitalisme débridé et d’une organisation du travail qui met les salariés en concurrence. L’avocate Rachel Saada rappelle avec justesse la solitude des individus et la violence des rapports qui caractérisent désormais le monde du travail. Et certaines séquences sont particulièrement éloquentes. Poignante, une « ex-Moulinex » revit son licenciement, « trente ans de ce qu’on a et de ce qu’on est » partis en fumée. Un ex-agent de la sécurité d’un hypermarché détaille froidement les manigances de la direction pour piéger et virer deux salariés.

Mais, sans aucune voix discordante, Corinne Maier (l’auteur de Bonjour paresse), le politologue Paul Ariès, les sociologues Nicole Aubert et Andreu Solé ou encore le psychanalyste Christophe Dejours achèvent de sonner la charge. Le management est une idéologie, le salarié un guerrier. Il n’est question que de servitude volontaire, d’esclavagisme, de totalitarisme et d’entreprise fascisante. Christophe Dejours ose même un parallèle entre le zèle des salariés à soutenir le système et celui du nazi Eichmann. Ici, point de résilience ou de faculté individuelle à s’abstraire de l’enfer du travail. Point de solutions non plus. Assommé dans son fauteuil, le spectateur se prend à rêver à une reconversion professionnelle sur le plateau de Millevaches. Là où le documentaire Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés (voir LSM n° 69) décodait finement la souffrance au travail, J’ai (très) mal au travail charge trop la barque et rate son coup.

J’ai (très) mal au travail, film documentaire (1 h 22) de Jean-Michel Carré. Sortie le 31 octobre.